Vincent Van Quickenborne: "La Sûreté de l’État aura plus de libertés pour lutter contre les menaces"
Le ministre de la Justice et vice-Premier ministre, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), présente sa note de politique générale qu’il défendra, mardi, en commission Justice.
Publié le 07-11-2020 à 06h52 - Mis à jour le 09-11-2020 à 10h42
:focal(2399x1607:2409x1597)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/UNBNYSFE4JDKJM76DVFQ5OC5YE.jpg)
Le libéral évoque brièvement son prédécesseur, Koen Geens. "J’ai beaucoup de respect pour lui. C’est un homme de codes, je suis un homme de terrain. Il a entamé des réformes, je veux les concrétiser", explique Vincent Van Quickenborne, qui prône une justice "rapide, ferme et humaine". Vous êtes favorable à une "politique sécuritaire vigoureuse pour sécuriser le pays". L’actualité démontre, justement, que la menace terroriste n’est pas éradiquée. On l’a vu en France et en Autriche, mais également en Belgique avec l’arrestation, il y a quelques jours à Eupen, de deux jeunes qui préparaient un attentat visant notre pays. La menace terroriste est-elle plus sérieuse en Belgique ?
Pour le moment, le niveau de la menace reste à 2 et il n’y a aucune indication concrète permettant de relever ce niveau. La décision est d’ailleurs déterminée par l’Ocam, l’organe de coordination pour l’analyse de la menace. Mais nous restons vigilants. Nos services travaillent d’arrache-pied. La preuve avec cette arrestation à Eupen. Je peux toutefois vous dire qu’après les attentats récents en France et en Autriche, nos services ont constaté qu’il y avait, sur les réseaux sociaux, plus d’activités suspectes de la part d’extrémistes. Et quand je parle d’extrémisme, nous ne ciblons pas le terrorisme islamiste uniquement, la menace est également grandissante de la part de l’extrême droite. Les investigations menées sur Internet sont fondamentales. Beaucoup de choses s’y préparent et c’est donc important que nos services y soient présents de façon concrète.
Justement, dans votre note, vous évoquez une modification de la loi de 98 sur la Sûreté de l’État pour donner plus de latitude à ses agents qui pourraient, finalement, commettre des infractions dans le cadre de leurs enquêtes. Expliquez-vous.
Aujourd’hui, les agents de la Sûreté de l’État peuvent être actifs sous de fausses identités sur les réseaux sociaux. Mais leurs activités restent limitées. Ils ne peuvent pas, par exemple, "liker" une publication suspecte. Car c’est punissable par la loi. Or, si nous voulons que l’infiltration soit plus efficace, les agents doivent être plus libres dans leurs actions. Dans certains cas, ils doivent pouvoir commettre des infractions pour gagner la confiance d’auteurs potentiels d’actes terroristes. Mais attention, il ne s’agira pas d’opérations visant à provoquer des actes criminels, ce qui est effectivement interdit. Sans rentrer dans le détail, la modification de la loi sur la Sûreté de l’État permettrait la mise en place de certaines opérations strictement encadrées par des magistrats. Et pas seulement dans le domaine du terrorisme. Les activités liées à l’extrême droite nous inquiètent, tout comme la problématique de la drogue ou encore les cas d’espionnage économique, surtout à Bruxelles. Nous voulons d’ailleurs pénaliser l’espionnage, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pourtant, il y a probablement plus d’espions sur notre territoire que d’agents de la Sûreté de l’État.
De nombreuses réformes ont été entamées ou, en tout cas, évoquées par Koen Geens. C’est le cas de la fonction du juge d’instruction qu’il voulait transformer en juge de l’enquête, mais aussi du jury d’assises qu’il voulait rendre professionnel. Où en êtes-vous dans ces réformes ?
Pour la cour d’assises, le débat a été lancé en vue du procès des attentats de Bruxelles qui se tiendra sur l’ancien site de l’Otan fin 2021 ou début 2022. Ce procès sera long, c’est pourquoi certains, comme le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw, veulent qu’un jury professionnel remplace le jury populaire. Je ne suis pas opposé à l’idée, mais pour y arriver, il faudrait changer la Constitution. Mais aucune majorité ne se dégage sur la question. Je suis ministre de la Justice. Je ne suis pas au-dessus de la Constitution. Il n’y aura donc pas de réforme de la cour d’assises. Cela ne nous empêche pas de nous préparer pour le procès qui sera donc très probablement un procès d’assises.
Concernant la réforme de la fonction de juge d’instruction ?
La question sera débattue. Mais je souhaite d’abord avancer sur des points moins conflictuels en réformant la procédure pénale. Mon objectif, c’est d’avoir une justice plus rapide. Pour cela, je souhaite notamment étendre les comparutions immédiates, surtout pour les délits mineurs (vol de vélo, participation à une émeute, etc.). Les audiences en chambre du conseil et en chambre des mises en accusation seront plus rapides, le rôle du juge sera celui d’un juge de fonds qui décidera donc plus rapidement du sort des prévenus. Pour que cela puisse aboutir, nous souhaitons intégrer davantage les juges d’instruction dans ce processus.
Le gouvernement a fait de la lutte contre les violences sexuelles une priorité. Comment mieux lutter ?
Nous n’attendrons pas que le code pénal soit réformé pour s’attaquer à ce problème. Les victimes de violences sexuelles auront une place encore plus considérable dans le système judiciaire. Nous prévoyons d’ailleurs de mettre en place une intervention automatique du service d’Accueil des victimes pour les agressions sexuelles et l’Accueil des victimes pourra proactivement prendre contact avec les victimes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Qu’en est-il de la politique carcérale ?
La détention ne doit pas uniquement être une mesure répressive, il faut que les personnes en tirent un apprentissage, que la détention puisse permettre également une réinsertion dans la société. Sinon, c’est la récidive assurée, et ça, je n’en veux pas. La nouvelle prison de Haren, opérationelle en 2022, suit cette logique mise en place par le masterplan approuvé par Koen Geens et que nous allons poursuivre. Haren sera basée sur le modèle scandinave avec une politique de détention moins restrictive et plus humaine, ce qui devrait diminuer la récidive. Nous avons perdu trop de temps pour mettre en place ce type de politiques, mais je souhaite avancer. Par ailleurs, d’autres prisons sont en cours de rénovation, tandis que des maisons de transition seront développées pour poursuivre nos objectifs.
Quel est le rôle de ces "maisons de transition" ?
Certains délits ne nécessitent pas un renvoi dans un établissement pénitentiaire dont les capacités sont déjà réduites. L’idée des maisons de transition, c’est donc d’y envoyer les personnes, comme les jeunes qui n’ont pas de carrière de délinquants et qui pourraient encore être récupérés avant de commettre des délits plus graves. Les jeunes visés auraient entre 18 et 25 ans, mais il est évident qu’un jeune de 19 ans accusé de meurtre n’ira pas dans ce type d’établissement.
Avec les soins de santé, la Justice est le ministère qui a eu la plus belle enveloppe budgétaire, à savoir 1,9 milliard d’euros. Comment sera réparti ce budget ?
Après des années d’économies et de sacrifices, la Justice a besoin de cet argent. Au cours de cette législature, un montant supplémentaire de 250 millions d’euros sera investi annuellement, auquel s’ajouteront les crédits d’investissement pour la numérisation qui s’élèveront à 50 millions d’euros supplémentaires par an. La digitalisation est d’ailleurs une de mes priorités.
Je souhaite également mettre en place un modèle de financement différent pour les cours et tribunaux grâce à un modèle d’allocation qui prendra notamment en considération la productivité du personnel judiciaire, la vitesse de travail et la charge de travail. En d’autres termes, les cours, les tribunaux et les parquets recevront des moyens en fonction des besoins réels sur le terrain et non plus en fonction de critères dépassés. Des moyens supplémentaires seront mis à disposition lorsque les entités présenteront des objectifs clairs ou des projets précis. Mais il y a une obligation de résultat et s’ils ne sont pas atteints, la répartition des moyens pourrait être modifiée. Tout cela permettra d’avoir une justice rapide, efficace, ferme et humaine.
Ultime question : on dit de vos prédécesseurs qu’ils n’ont pas voulu s’intéresser aux conditions de détentions de Marc Dutroux. Vous allez vous pencher sur son cas ?
Non, ça ne fait pas partie de mes plans.
"C'est un gouvernement de centre large. Je peux m'y retrouver"
Après des mois de tergiversations, vous entrez dans un gouvernement sans majorité en Flandre. La N-VA et le Vlaams Belang sont dans l’opposition. Vous n’avez pas peur ?
Nous n’avons pas du tout peur. Ce gouvernement a déjà prouvé qu’il peut prendre des décisions difficiles, de manière rapide et avec une bonne communication.
Un gouvernement de gauche ?
Ni de gauche ni de droite, mais du centre. Qui prend des décisions même dans des dossiers difficiles. Prenons la taxation des comptes-titres. C’est un dossier délicat pour les libéraux. Mais nous l’avons accepté par solidarité. Chacun respecte les ambitions des autres partis. C’est l’un des gouvernements les plus ambitieux en matière de climat. Sur le plan social, nous allons augmenter - avec conviction - les allocations et les pensions. C’est un gouvernement de centre large. Je peux m’y retrouver.
On vous catalogue à droite pourtant.
Je suis un libéral de conviction. Il y aura aussi des réformes. Il faudra par exemple faire en sorte que les Belges travaillent plus longtemps. Et il faudra plus de flexibilité sur le marché du travail. L’article 39 ter de la loi relative au contrat de travail (qui prévoit, sous conditions, de consacrer une partie des indemnités de licenciement à la formation du travailleur licencié, NdlR) devra ainsi être appliqué.
Vous y croyez vraiment ? Ce n’est pas un gouvernement "parce qu’il le fallait bien" ?
J’y crois. Dans les pays où il y a un leadership clair, la politique peut gagner. C’est ce qu’on voit aux Pays-Bas avec Mark Rutte ou en Allemagne avec Angela Merkel. Et c’est ce qui va se passer en Belgique aussi, avec des ministres comme De Croo, Vandenbroucke, mais aussi, côté wallon, des personnes comme Gilkinet, Wilmès, Dermagne. Pierre-Yves Dermagne est quelqu’un que j’apprécie vraiment. Il représente un socialiste moderne, qui comprend le néerlandais, avec qui on peut avoir des accords qui seront respectés.
Vous avez déjà été ministre fédéral dans le gouvernement Di Rupo. Puis vous avez été bourgmestre de Courtrai. Pensiez-vous revenir au fédéral ?
Je n’ai jamais eu de plan de carrière. J’ai été confortablement réélu bourgmestre de Courtrai en 2018. Quand nous avons compris qu’Alexander De Croo pouvait devenir Premier ministre, Egbert Lachaert (le président de l’Open VLD, NdlR) m’a dit qu’il fallait un vice-Premier qui tienne la route et il m’a appelé. J’ai un peu hésité. J’ai finalement accepté. Mais dans 4 ans, je ne sais pas ce que je ferai.