Vandenbroucke, les mesures chocs sans la psychologie: "Il n’y a jamais eu un travail structurel sur le côté mental"
Le ministre de la Santé a fait peu de cas de l'impact psychologique des mesures sur la population, y compris lors de la fermeture des commerces.
Publié le 08-11-2020 à 18h29 - Mis à jour le 16-11-2020 à 17h27
"Il faut oser prendre des mesures courtes et fermes sur la base de seuils bas au lieu de risquer de courir un marathon." La phrase n’est pas de Frank Vandenbroucke, ministre de la Santé (SP.A), accablé de critiques pour avoir comparé la fermeture des commerces non essentiels à un "choc" visant un effet "psychologique"… mais provient bien d’un avis, datant du 29 octobre, du RMG (Risk Management Group), qui décide des mesures qui doivent être prises pour protéger la santé publique.
"Il n’y a plus de place pour des mesures progressives si l’on ne veut pas perdre le moment de la décision ‘de la dernière chance’", poursuit l’avis. Exactement les mots qu’emploiera, le lendemain, le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), pour justifier la rudesse des ultimes mesures prises pour juguler la seconde vague épidémique.
La stratégie du choc
Dans l’urgence, le gouvernement va donc opter pour le choc, soit, entre autres mesures, la fermeture des commerces dits "non essentiels". En se basant notamment sur le fait que "les psychologues du groupe Celeval ont indiqué qu’ils préféraient des mesures courtes et énergiques à des mesures ponctuelles graduelles. Ceci est confirmé par une étude de l’UGent où les participants ont indiqué être plus motivés pour des actions courtes et puissantes". Un "électrochoc", en somme, mais le RMG se veut clair à la veille du Codeco du 30 octobre : "Cette approche doit également tenir compte du bien-être psychosocial général."
Côté choc, le pari est relevé, puisque le pays plonge alors dans une phase de quasi-confinement, tandis que la courbe des contaminations se met à chuter. Pour l’aspect psychologique, en revanche, on repassera. "Comment réagiriez-vous, vous-même, sans perspectives ? Vous faites faillite mais on vous donne un psychologue ? Voir le problème de la santé mentale comme un problème séparé laisse un goût amer", commente Ariane Bazan, à l’époque psychologue au sein de la Celeval, qui conseillait le gouvernement et a, il est vrai, rendu un avis évoquant la fermeture des commerces non essentiels.
"Aucun écho"
C’est peu dire que la récente sortie de Frank Vandenbroucke sur les vertus d’un "choc psychologique", adossé à la fermeture des commerces, a fait rire (jaune) la psychologue. Très jaune. En cause, ses travaux sur la polarisation de la société, que le Covid-19 divise plus que jamais, y compris du point de vue psychologique. Si elle ne nie pas que des mesures courtes, fermes, et énergiques sont efficaces pour rassurer la population, une telle polarisation "pourrait nous arriver comme un boomerang et dans l’après-coup, casser la société." Un point de vue qui n’a pas été entendu au sein de la Celeval, et encore moins auprès du ministre de la Santé. "Il n’y a eu aucun écho", admet la psychologue. "Même si les premières semaines, un groupe sur les populations vulnérables a été créé, à mon avis il n’y a jamais eu un travail structurel sur le côté mental, et ceci n’est pas un reproche, c’est juste une observation."
Une observation un rien désabusée, tout de même, tant l’impact psychologique des mesures semble avoir été évacué de toute prise de décision, y compris sur le long terme : "Frank Vandenbroucke a dit qu’il allait donner de l’argent pour 1 500 psychologues de plus mais cela n’a jamais été discuté et on n’y a pas donné de cadre. On peut mettre 1 000 psychologues, si on n’a pas l’impression que le gouvernement prend les choses en main, ça ne va pas aller. Et en deuxième instance, des questions telles que : ‘Est-ce qu’on va s’en sortir ? Est-ce qu’il y a une perspective ? Est-ce que je vais rester à flot ? Est-ce que je peux survire économiquement ?’, sont aussi extrêmement importantes pour la santé mentale."
Fin octobre, les membres du RMG se sont accordés "à dire qu’une leçon à tirer pour une (éventuelle) troisième vague est que des mesures rapides, rigoureuses et avec des seuils (de contamination, NdlR) peu élevés sont nécessaires, par exemple le lockdown provincial à Anvers.". Encore faudra-t-il que les populations ciblées soient prêtes à y adhérer.