Paul Magnette: "Les libéraux doivent reconnaître que leurs formules n’ont pas marché"
Paul Magnette a bataillé pendant plusieurs mois afin de mettre en place la majorité fédérale actuelle. Le gouvernement De Croo vit désormais depuis deux mois et le président du PS décortique ses débuts.
- Publié le 01-12-2020 à 06h32
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Le plan de relance concocté par le fédéral devrait porter sur un montant allant de 10 à 20 milliards d’euros. Sophie Wilmès (vice-Première ministre MR) plaidait, dans "La Libre" du week-end, pour plus d’ambition. Êtes-vous du même avis ?
Ce plan doit être le levier d’un mouvement beaucoup plus large. En Belgique, avant les gouvernements Martens-Gol, on investissait 5 % du PIB chaque année. Et, subitement, ces investissements ont été coupés de moitié. Aujourd’hui, les investissements publics ne sont que de 12 milliards. On est à 2,5 % du PIB, alors que la France et les Pays-Bas sont à 4 %. Cela se voit à l’état de nos routes, de nos bâtiments scolaires, des prisons, des palais de justice… Ce sous-investissement a été aggravé par les règles européennes d’austérité, mais le verrou a sauté désormais. L’objectif est d’arriver à la moyenne des pays voisins, donc plus de 20 milliards d’investissement public par an en rythme de croisière, au plus tard pour 2030. Le plan de relance, discuté actuellement au fédéral, est un one shot. Si on s’arrête là, cela n’aura pas servi à grand-chose…
Comment conciliez-vous ces dépenses publiques et l’inévitable retour à l’austérité lorsqu’il faudra rééquilibrer le déficit, apurer la dette ?
Le retour à l’austérité n’est pas inévitable… L’austérité a été une erreur historique. D’ailleurs, j’estime que l’Union européenne doit mettre encore plus de moyens sur la table que les 750 milliards d’euros actuels. Elle a plusieurs instruments à sa disposition. Par exemple, trouver des recettes propres basées sur une taxation des transactions financières qui rapporterait 50 milliards d’euros sans nuire à l’économie réelle. Je pense aussi à une taxe carbone aux frontières de l’Europe qui protégerait nos producteurs et obligerait les autres régions du monde à entrer dans la transition climatique ; à la lutte acharnée contre les paradis fiscaux ; à la fin de la concurrence fiscale entre pays européens qui permet aux multinationales de ne payer quasiment aucun impôt. Il y a là des marges colossales pour financer les investissements publics.
Ces réformes fiscales sont dans l’air depuis longtemps, mais ne sont-elles pas un mirage ? En Belgique, la contribution des "épaules les plus larges", prévue par la Vivaldi, a abouti à la taxe sur les comptes-titres qui devrait être facilement contournable…
La taxe sur les comptes-titres était la voie la plus sûre. Il n’y a que deux pays qui taxent les fortunes dans l’Union européenne : le Danemark et la Belgique. Nous sommes parmi les bons élèves. Le fédéral ne pouvait agir que sur le patrimoine mobilier, l’immobilier relevant des Régions. Cela dit, dans les pays de l’OCDE, les patrimoines de plus d’un million d’euros relèvent pour l’essentiel du patrimoine mobilier. Il est vrai qu’il y aura toujours des gens qui essayeront d’échapper à l’impôt, c’est le sport national belge. Il existe une industrie de l’évasion fiscale que je dénonce. Il faudrait mettre en place une agence de contrôle : toute structure belge qui proposerait de l’optimisation fiscale, même légale, devrait faire l’objet d’un contrôle public. Enfin, à la demande du PS, on a prévu toute une série de mesures anti-fraudes dans l’accord de gouvernement.
Avez-vous l’impression que le discours des libéraux a changé depuis la crise, par exemple sur la sécurité sociale, l’orthodoxie budgétaire, etc. ?
Les libéraux, un peu partout en Europe, doivent reconnaître que leurs formules n’ont pas marché et sont tout à fait inadaptées à la situation actuelle. Je prends un exemple : le financement des soins de santé. Sous la précédente législature, les libéraux s’enorgueillissaient de diminuer les dépenses de santé. Aujourd’hui, ils accèdent à notre demande d’augmenter les investissements dans la santé collective. On voit la même chose sur la question des investissements publics. Et même sur la taxation sur la fortune.
Les négociations gouvernementales ont-elles été dures avec les libéraux sur ce point ?
Au début, c’était très compliqué. Mais, au milieu des discussions, les libéraux, même du côté de l’Open VLD, ont fait cette concession. Si on ne touchait qu’aux très riches, alors, ils étaient d’accord.
Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A), a déclaré que la fermeture des petits commerces n’était pas indispensable, mais qu’elle avait été décidée pour envoyer un "électrochoc" à la population face à la gravité de la situation sanitaire. Quelle est votre réaction ?
Je regrette les propos de Frank Vandenbroucke. Ils ne sont pas corrects. Ce n’est pas comme cela que ça s’est passé. Ce que nous demandaient les experts, c’était d’arrêter toutes les activités qui engendrent des contacts sociaux non indispensables. Les secteurs considérés comme indispensables étaient la santé, l’école et certains secteurs économiques vitaux. Tout le reste devait s’arrêter. Moins il y a de contacts sociaux, moins il y a de risques de contamination. C’était cela le raisonnement. Je regrette ces propos qui créent le trouble, alors que, jusqu’ici, le gouvernement fédéral et les Régions étaient parvenus à donner un message clair.
Mais n’y a-t-il pas eu la volonté d’avoir un effet psychologique sur la population avec une mesure forte ?
Je vous assure que non. Le débat a eu lieu en deux temps. Il y a d’ailleurs eu quelques tensions… Dans un premier temps, toute la Flandre voulait fermer l’Horeca et rien que l’Horeca. Les francophones n’étaient pas d’accord parce que, soit les problèmes sont les contacts sociaux, et alors tout doit fermer , soit on ne ferme rien. Il fallait de la cohérence. Lorsqu’on a pris, dans un deuxième temps, les mesures de quasi-confinement, c’était après des échanges très approfondis avec les scientifiques. Leur raisonnement était de dire que les contacts sociaux non indispensables devaient être limités. Pourquoi Frank Vandenbroucke a-t-il tenu de tels propos ? Je ne me l’explique pas. Je pense que les hommes politiques flamands parlent trop. Autant je trouve que Frank Vandenbroucke a communiqué de manière exemplaire lors des conférences de presse, autant la petite phrase lâchée sur un trottoir, c’est le dérapage.
Diriez-vous que, à la faveur de la crise sanitaire, la santé a pris le pas sur l’économie ?
Je ne crois pas que ce soit un changement de mentalité dans la population en général. Dans la population, la santé, c’est sacré. Ça a toujours été le cas. On le voit dans les enquêtes, année après année. La santé est notre bien le plus précieux. Je crois que les citoyens ne l’ont jamais oublié, les prestataires de soins et les mutuelles non plus. Mais certains décideurs politiques l’avaient oublié. Ils considéraient que c’était trop cher, qu’il fallait du rendement, qu’il fallait supprimer des lits… On était dans une folie de réduction des coûts en matière de santé. La crise sanitaire a rendu ce raisonnement complètement absurde.
Faut-il permettre plus de contacts en vue des fêtes de fin d’année ? Les ministres Verlinden (CD&V, Intérieur) et Wilmès (MR, Affaires étrangères) espèrent que ce sera possible, alors que Frank Vandenbroucke ne laisse aucun espoir.
Si on peut un peu élargir le cadre, tant mieux, mais c’est aux scientifiques de répondre. Ce serait bien que tous les ministres expriment leur opinion personnelle au sein du gouvernement plutôt que dans les médias. Cela ne fait que créer la confusion dans l’esprit des gens.