"La Belgique doit reconnaître le crime de génocide perpétré par la Chine contre les Ouïghours"
Deux députés belges déposent une proposition de résolution en ce sens jeudi.
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- Publié le 11-02-2021 à 06h29
- Mis à jour le 18-03-2021 à 20h35
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Leur proposition de résolution parlementaire ne passera certainement pas inaperçue à Pékin. Les députés Samuel Cogolati et Wouter De Vriendt (Écolo-Groen) demanderont noir sur blanc au gouvernement belge, ce jeudi à la Chambre, "de reconnaître le crime de génocide perpétré par le gouvernement de la République populaire de Chine contre les Ouïghours". Le terme "génocide" sera ainsi officiellement pris en considération par une assemblée élue d’un pays de l’Union européenne ; il ne vise pas une petite dictature lointaine, mais une grande puissance mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, partenaire commercial de premier plan avec lequel les Européens viennent de conclure un traité d’investissements.
Ce "grand tabou", comme il le qualifie, Samuel Cogolati s’est donné pour mission de "le briser". Absolument rien - pas même la lutte contre le terrorisme ou le radicalisme dont se prévaut la Chine - ne justifie de perpétrer des crimes contre l’humanité et des actes de génocide, rappelle le vice-président de la commission des Relations extérieures.
"L’intention de détruire"
Dans leur longue proposition de résolution, MM. Cogolati et De Vriendt relèvent les nombreux crimes commis par les autorités communistes envers les Ouïghours et les autres minorités musulmanes de la Région autonome du Xinjiang : détentions massives et arbitraires, travail forcé, stérilisations sans consentement, séparations d’enfants et de leurs parents, destruction de lieux de culte et culturels, surveillance d’État généralisée, etc.
Or, selon la Convention de l’Onu pour la prévention et la répression du génocide (1948), les meurtres, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, la soumission intentionnelle à des conditions d’existence entraînant la destruction physique, les mesures visant à entraver les naissances, les transferts forcés d’enfants du groupe à un autre groupe constituent des actes de génocide s’ils sont commis "dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".
Cette "intention" existe-t-elle dans le chef des autorités communistes chinoises ? Les avis divergent. Les deux élus belges, eux, en sont venus à la conclusion que la Chine perpétrait non seulement des crimes contre l’humanité mais aussi des actes de génocide au Xinjiang, et que Pékin devait en répondre devant la justice internationale. En particulier, "les actions de limitation du taux de natalité" et le "transfert d’enfants ouïghours de leur famille à des orphelinats ou internats d’État" doivent être compris "comme faisant partie d’un effort systématique" des autorités chinoises "visant à persécuter et éradiquer les Ouïghours et autres musulmans turciques", lit-on dans leur texte. Leur analyse rejoint un long avis de plus de cent pages que vient de publier le grand cabinet d’avocats Essex Court Chambers, estimant, lui aussi, que des "actes commis par le gouvernement chinois contre le peuple ouïghour relèvent de crimes contre l’humanité et de génocide".
Vingt demandes
"Aujourd’hui, en tant que parlementaires, on doit prendre une responsabilité morale et légale, et appeler un chat un chat. Les atrocités commises portent un nom, c’est un génocide, la pire horreur reconnue en droit international", affirme M. Cogolati, lui-même docteur en droit international. Aussi les deux députés appellent-ils la Belgique à demander au gouvernement chinois de cesser "le génocide" en cours au Xinjiang.
Ils formulent également une vingtaine d’autres demandes au gouvernement belge. Parmi elles, il y a celle de s’opposer à la ratification européenne du traité d’investissements avec la Chine, sans garantie d’interdiction des pratiques de travail forcé. Il y a aussi celle "de bloquer les importations en Belgique de toute marchandise liée au travail forcé frappant la minorité ouïghoure en Chine". Celle "d’enquêter sur les intimidations par le gouvernement chinois envers les communautés de la diaspora musulmane turcique du Xinjiang en Belgique". Celle de suspendre le traité d’extradition entre Bruxelles et Pékin, "tant que toutes les garanties pour un procès équitable, l’interdiction de la peine capitale, de la torture ou d’autres traitements inhumains et tant qu’un système judiciaire indépendant ne sont pas assurés". Ou encore la demande "d’établir une liste des personnes, en Chine, qui pourraient faire l’objet de sanctions ciblées individuelles en raison de leur complicité" dans les persécutions, comme cela s’est fait aux États-Unis (lire ci-contre).
De fortes pressions en vue
Cette proposition de résolution émane d’Ecolo-Groen seulement ; par souci de discrétion, elle n’a pas été proposée à d’autres partis dans un premier temps. Mais "le but est bien, désormais, de construire le consensus le plus large et que la question puisse monter en puissance dans les semaines et mois qui viennent". Samuel Cogolati sait néanmoins que lui et ses collègues peuvent s’attendre à d’énormes pressions et un intense lobbying pour que ce texte ne soit jamais voté par le Parlement belge. Il n’ignore pas non plus que, si certains partis s’arrimeront à cette proposition, d’autres se révèlent très soucieux de ne pas froisser Pékin (ou en tout cas divisés sur le sujet). "Ce qui est compliqué, c’est le fait que les responsables politiques, en Europe, se sentent comme David contre Goliath" face au rouleau compresseur chinois. La démarche "ne sera donc pas simple", note-t-il, "mais stratégiquement et moralement, on aurait tort de ne pas le faire. À un moment donné, il est important de dire stop".
Les États-Unis à la pointe : Les États-Unis sont particulièrement engagés dans le combat contre la répression des Ouïghours en Chine. Des sénateurs, républicains et démocrates, ont déposé, le 27 octobre dernier, une résolution demandant la reconnaissance des crimes commis par les autorités chinoises au Xinjiang comme relevant d’actes de génocide. Lorsqu’il était encore secrétaire d’État, Mike Pompeo parlait lui aussi de "génocide" et de "crimes contre l’humanité" en cours dans l’ouest de la Chine. Son successeur Antony Blinken, lors de son audition le 19 janvier, a endossé à son tour cette analyse. Washington avait déjà établi une liste noire d’entreprises liées au travail forcé des Ouïghours et bloqué l’importation d’une série de biens originaires du Xinjiang. Des sanctions ont également été adoptées contre ceux que les États-Unis considèrent comme responsables ou complices de l’internement de masse - parmi lesquels Chen Quanguo, le secrétaire du Parti communiste chinois dans la région. Le Congrès a par ailleurs adopté une loi - "Uyghur Human Rights Policy Act" - afin de protéger les Ouïghours d’Amérique contre le harcèlement et les persécutions de la Chine.