Comment les députés belges ont fini par reconnaître "un risque sérieux de génocide contre la minorité ouïghoure", malgré les pressions de la Chine
Il a fallu des mois aux députés belges pour s'entendre sur un texte condamnant "des crimes contre l’humanité" commis par les autorités chinoises au Xinjiang et reconnaissant un "risque sérieux de génocide". Les mots ont été négociés et soupesés, avant que la Chambre ne vote ce 8 juillet.
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- Publié le 07-07-2021 à 19h08
- Mis à jour le 08-07-2021 à 06h27
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Comment les députés belges en sont-ils venus à s’entendre pour condamner "des crimes contre l’humanité" commis par les autorités chinoises au Xinjiang et à reconnaître "un risque sérieux de génocide contre la minorité ouïghoure" ?
Plusieurs d’entre eux ont ouvert les yeux sur la répression à l’œuvre au Xinjiang lorsque l’ambassade de Belgique à Pékin a livré à la police chinoise une femme et quatre enfants qui demandaient sa protection. Leur mari et père, Ablimit Tursun, avait obtenu l’asile en Belgique en 2018 et espérait revoir ses proches à la faveur d’un regroupement familial. Cette histoire tragique, que les Affaires étrangères belges n’ont jamais réussi à rattraper depuis (M. Tursun n’a plus de contact avec sa famille depuis un an et demi), a par ricochet jeté une lumière crue sur la répression en cours dans l’ouest de la Chine à l’encontre des Ouïghours et autres minorités - kazakhe, ouzbèke, etc. - de la région.
De mieux en mieux documentée, éclairée de recherches d’experts sinophones et ouïghourophones, de témoignages directs et indirects, de rapports d’organisations de défense des droits de l’homme, de sources et de documents officiels chinois, la situation s’est petit à petit imposée à l’agenda des élus belges. Accoucher d’une résolution condamnant l’une des plus grandes puissances au monde ne s’est toutefois pas fait à la légère.
Quatre résolutions sur la table
Une première proposition de résolution, "relative à la situation des Ouïghours" , avait été déposée par le député socialiste Ahmed Laaouej et consorts le 29 juillet 2020. Mais, en demandant au gouvernement belge "de condamner le plus fermement possible toutes les atteintes potentielles aux droits des minorités ethnoreligieuses en Chine et, particulièrement, celles visant les Ouïghours" , elle restait prudente et laconique. Le véritable coup d’accélérateur est venu quand les écologistes, emmenés par Samuel Cogolati, ont appelé la Belgique, le 11 février dernier, à "reconnaître le crime de génocide perpétré par le gouvernement de la République populaire de Chine contre les Ouïghours" . Ce mot - "génocide" - allait cristalliser les débats.
Le même jour, les libérales Goedele Liekens et Marianne Verhaert, rejointes par Michel De Maegd, demandaient à Pékin "de mettre fin sur-le-champ aux pratiques arbitraires de détention de minorités ethniques dans des ‘camps de rééducation’ et de libérer ces personnes sans délai et sans conditions". Et, le 24 février, la présidente de la commission des Relations extérieures, Els Van Hoof (CD&V), déposait avec l’humaniste Georges Dallemagne une proposition visant plus spécifiquement "le système de travail forcé mis en place par le gouvernement chinois, en particulier l’exploitation des Ouïghours et de toutes les autres minorités ethniques dans des usines situées à l’intérieur et à l’extérieur des camps d’internement du Xinjiang", et condamnant "le fait que des marques et des entreprises connues bénéficient de cette main-d’œuvre consciemment ou inconsciemment".
La Chine n’a eu de cesse de rejeter en bloc les critiques - des "actes peu glorieux et méprisables" fondés sur des "rumeurs extrêmement calomnieuses et absurdes" . Elle a envoyé des courriers pressants aux élus belges pour leur enjoindre de revenir à de meilleurs sentiments et, le 22 mars, sanctionné des universitaires et parlementaires européens, dont Samuel Cogolati, coupables d’ingérence "grossière" dans ses affaires intérieures. Le vice-président de la commission des Relations extérieures et sa famille sont ainsi devenus personae non gratae en Chine continentale, à Hong Kong et Macao, et interdits de commercer avec le pays du Milieu. L’ambassadeur de Chine en Belgique, Cao Zhongming, a également appelé la présidente de la Chambre, Éliane Tillieux (PS), à "persuader" les élus de laisser tomber leur travail. Ils l’ont malgré tout poursuivi.
Des auditions marquantes
Des auditions de spécialistes et d’une victime avaient été programmées le 4 mai en commission, mais une cyberattaque d’origine inconnue a eu raison de l’ordre du jour. En Chine, le 4 mai, journée de la jeunesse, on célèbre l’anniversaire du mouvement anti-impérialiste. Qu’à cela ne tienne, les auditions ont été reprogrammées. Les 18 et 19 mai, les élus ont entendu, entre autres, Qelbinur Sidik, une enseignante contrainte de donner des cours dans des camps de rééducation, deux professeurs de l’ULB (la sinologue Vanessa Frangville et le spécialiste du droit international François Dubuisson), ainsi que l’avocate spécialiste des droits de l’homme et membre de la Chambre des lords Helena Kennedy. Les représentants des sept partis de la coalition Vivaldi, visiblement marqués par certaines interventions, ont alors négocié un texte commun, pesant chacun de leurs mots, non sans tensions d’ailleurs, pour s’entendre sur l’existence de "crimes contre l’humanité" en Chine et d’un "risque sérieux de génocide" .
Un double report
Programmé le 8 juin, le vote en commission n’a toutefois pas encore eu lieu : il a été reporté d’une semaine, afin de laisser le temps à l’opposition, contrariée d’avoir été tenue à l’écart jusqu’en toute dernière minute, d’examiner les amendements de la majorité. Le 15 juin, les députés ont pu voter à l’unanimité - moins l’abstention du PTB - la fameuse proposition de résolution.
Un "acte honteux" que Pékin a "sévèrement" condamné par voie de communiqué. "Nous exhortons fortement la Chambre des représentants de Belgique et certains hommes politiques à respecter les faits, à cesser de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine et à arrêter d’utiliser les questions liées au Xinjiang à des profits politiques." La Chambre s’apprête pourtant à adopter sa résolution ce 8 juillet. Le vote, initialement programmé le 1er juillet, a été postposé, histoire de ne pas ajouter de l’huile sur le feu. Ce jour-là, la Chine fêtait en grande pompe le centenaire du Parti communiste chinois.