Sammy Mahdi (CD&V) : "En Belgique, il est trop facile de vivre dans l’irrégularité"
Les ministres PS, Écolo et Groen ont menacé de quitter la majorité fédérale mais le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration n’a pas dévié de sa ligne : pas de régularisation collective pour les grévistes de la faim de l’église du Béguinage à Bruxelles.
Publié le 23-07-2021 à 21h01 - Mis à jour le 24-07-2021 à 09h09
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OATROA5VHZHZVAXRTECOAMDOYE.jpg)
Sammy Mahdi (CD&V) semble avoir eu gain de cause puisque le dossier a désormais entamé une désescalade politique. Il revient sur ces semaines de grande tension.
La pression a été forte. Avez-vous été tenté de céder à l’un ou l’autre moment, d’accepter une régularisation ?
Non, jamais.
Avez-vous toujours senti le soutien du Premier ministre Alexander De Croo ? La majorité fédérale a vacillé…
Le Premier ministre a été assez clair au Parlement. L’accord de gouvernement est limpide sur ces questions : on n’y trouve pas de passages en faveur d’une régularisation collective, ni en faveur de l’établissement de critères de régularisation dans la loi.
De législature en législature, la question migratoire réapparaît. Comment peut-on en sortir ?
Pour en sortir, il faut d’abord pouvoir éviter qu’une personne puisse vivre dans l’irrégularité. Or, en Belgique, il est trop facile de vivre dans l’irrégularité. Aujourd’hui, il y a trop d’employeurs qui utilisent la vulnérabilité des travailleurs sans-papiers. Idem pour certains propriétaires qui louent des garages insalubres comme logement…
Une dimension plus politique s’est greffée dans le dossier avec la menace de démission des ministres PS, Écolo et Groen. Comment jugez-vous cette manière de procéder ? Était-ce du chantage ?
Après soixante jours de grève de la faim, alors qu’une grève de la soif est entamée, je peux comprendre que l’on s’inquiète et que l’on se demande comment agir si quelqu’un décède. C’est une réaction émotionnelle. Mais, en même temps, on ne peut pas se permettre d’avoir une crise politique.
Cette menace de démission a-t-elle donné des faux espoirs aux grévistes ?
Assez vite après cet épisode, plusieurs partis ont réagi en disant que l’établissement d’une zone neutre (où les sans-papiers pouvaient recevoir des informations sur leur situation administrative et sur les possibles procédures, NdlR) était une bonne chose. Philippe Close (PS), le bourgmestre de Bruxelles, est allé au Béguinage pour expliquer que la grève n’était pas utile. Plusieurs partis ont mené un travail pour expliquer que ça ne servait à rien de faire une grève.
On a écrit que la Vivaldi était menacée. La majorité fédérale aurait-elle pu tomber sur ce dossier ?
Il faut demander cela aux partis qui ont réagi. Moi, je comptais garder mon cap politique mais, ensemble, on s’en est sortis.

Au sein du gouvernement, la contestation est surtout venue des partis de la gauche francophone. Côté flamand, les partenaires de majorité ont affiché un front uni. Comment expliquez-vous cette différence ?
Il existe une différence culturelle dans le regard que l’on porte sur la question migratoire. Au niveau francophone, le regard est beaucoup plus tourné vers les grandes idéologies et les grandes valeurs, souvent issues du débat français. Côté flamand, on est beaucoup plus pragmatique, on prend moins de postures sur l’État de droit, les droits humains, même si on les respecte tout autant.
On retrouve également cette différence dans le récent débat sur la neutralité de l’État et le port du voile. Cette ligne de fracture qui a surgi entre les partenaires francophones et néerlandophones de la Vivaldi vous inquiète-t-elle pour la suite ?
Dans le cas du voile, la Flandre a également été plus pragmatique. Pour moi, personnellement, on peut porter un voile. En tant que chrétien-démocrate, j’ai du mal à imaginer que quelqu’un puisse mettre sa spiritualité dans un casier le temps du travail et la reprenne après. Par contre, pour une fonction comme policier ou magistrat, là, non, c’est mieux de ne pas afficher un signe religieux. Idem, pour les enfants à l’école.
Est-ce que la pression de la N-VA et du Vlaams Belang dans l’opposition à la Chambre a pesé sur votre attitude inflexible dans le dossier de l’église du Béguinage ?
Cette question m’est toujours posée par les journalistes francophones… Quel est le programme du CD&V mais aussi de Vooruit, de l’Open VLD et du MR ? Sur la régularisation, mon parti dit que le pouvoir discrétionnaire doit rester au secrétaire d’État et doit être évalué au cas par cas. C’est un argument facile à utiliser : on laisse entendre que ma politique est dictée par la N-VA et le Vlaams Belang, que le seul argument rationnel qui expliquerait notre attitude serait la peur de l’extrême droite… Ce n’est évidemment pas le cas.
"La fin de la grève n’est pas une victoire personnelle"
Votre position n’a pas changé depuis le début de la mobilisation. Quel a été l’élément déclencheur qui a conduit à la suspension de la grève de la faim, après soixante jours ?
Nous avons continué à informer les gens, nous avons installé la zone neutre pour permettre aux grévistes d’introduire leur dossier de façon prioritaire. À un moment, le plus important est de rester conséquent. Nous avons une bonne politique de régularisation et il fallait l’expliquer afin de répondre à certaines frustrations. La pression qui peut exister ne me conduira pas à mener une politique dans laquelle je ne crois pas.
La nomination de l’envoyé spécial Dirk Van den Bulk (le commissaire général aux réfugiés et apatrides), au début de la semaine, semble avoir accéléré les choses. Sur quoi portaient les discussions ?
Il y a eu plusieurs actes qui ont montré que notre politique n’allait pas prendre une tournure différente. J’ai reçu des gens, je suis allé sur le terrain les rencontrer. L’envoyé spécial est lui aussi allé à la rencontre des grévistes sur les trois sites (Béguinage, ULB et VUB), avec une équipe médicale, pour expliquer quelle était la politique de la Belgique. Et à force de répéter, on y arrive.
Le fait que le dossier des grévistes va être examiné en priorité constitue une avancée en leur faveur…
Le plus important pour moi, c’était de faire en sorte d’évacuer les gens des trois sites. Pour cela, il fallait leur donner une réponse pour qu’ils puissent se disperser et sortir de cet esprit collectif qui se radicalise à cause du désespoir.
D’ici deux ou trois semaines, les sans-papiers qui ont introduit un nouveau dossier recevront leur réponse, qui pourrait être négative dans certains cas. Craignez-vous une reprise de la mobilisation ?
Le risque existe. Mais je pense personnellement que ces soixante derniers jours ont montré que la politique ne va pas dévier. Et donc pourquoi changerait-elle face à un nouveau mouvement ? Je suis soulagé que la grève soit terminée mais ce n’est pas une victoire personnelle.

En cas de réponse négative qui conduirait à un nouvel ordre de quitter le territoire, est-ce que le traitement sera, là aussi, prioritaire ?
Le regard sur le respect de l’ordre de quitter le territoire ne doit pas être différent qu’il s’agisse d’un ancien gréviste de la faim ou d’un autre sans-papiers. Chaque année, l’Office délivre 23 000 premiers ordres de quitter le territoire. Si on reprend les deuxièmes et troisièmes ordres, on monte à plus de 30 000. Pour moi, le plus important n’est pas de faire retourner quelqu’un dans son pays mais de réintégrer les personnes dans le pays d’origine. Et nous devons les y aider.
Parmi les recommandations de l’Onu (suite à la visite des commissaires Olivier De Schutter et Felipe Gonzalez), il est proposé d’instaurer des critères clairs dans les procédures de régularisation. Vous fermez d’emblée la porte ?
Je discute souvent avec les organisations internationales et européennes qui font la démarche de rencontrer le pouvoir politique pour comprendre ce qui est mis en œuvre. C’est toujours mieux d’essayer de comprendre avant d’aller à l’église du Béguinage avec la BBC et CNN… J’ai vu Filippo Grandi (diplomate italien et fonctionnaire à l’Onu, spécialiste de la question migratoire, NdlR), il connaît les règles de migration en Belgique et en Europe : il nous a félicités pour la gestion de la migration en période de Covid.