Pieter Timmermans : "La formation des travailleurs tout au long de la vie va de pair avec la flexibilité"
Le patron de la FEB se dit séduit par le modèle d’emploi au Danemark, où il accompagnait le Roi en visite de travail.
Publié le 27-10-2021 à 22h30 - Mis à jour le 27-10-2021 à 22h31
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Retour au bercail. Le roi Philippe et la délégation qui l'accompagnait au Danemark pour une visite de travail de trois jours sur le thème de l'emploi sont rentrés mercredi après-midi à Bruxelles. Pieter Timmermans, l'administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), était du voyage. Il se dit séduit par le modèle danois qui met l'accent, entre autres, sur la flexibilité des travailleurs.
La politique danoise de l’Emploi repose sur une flexibilité importante et sur une protection sociale forte. Ce modèle vous inspire-t-il ?
Je dois dire que je suis assez séduit. Tout n’est pas parfait. Le système belge de flexibilité, c’est le chômage temporaire. Il existe depuis quarante ans. Eux ont ce mécanisme depuis un an, à cause du Covid. Soyons quand même fiers de notre système. Cela dit, quand on analyse les différents modèles à travers le monde, il y a deux grandes tendances. Le marché du travail peut être comparé à une forteresse. En Belgique, depuis des décennies, nous avons des murailles très épaisses, la volonté de protéger ceux qui sont au sein de la forteresse, qui ont déjà un emploi. Cela veut dire qu’il est difficile de licencier, le préavis est très long. Mais on ne s’occupe pas beaucoup de ceux à l’extérieur, les demandeurs d’emploi.
Et l’autre tendance ?
C'est le modèle danois. Il est facile d'entrer et sortir de la forteresse. Les murs sont bas. Il est très facile d'engager quelqu'un et très facile de le licencier. Il y a une grande mobilité des travailleurs, combinée à une protection de chômage très élevée (90 % du salaire, NdlR) , mais limitée dans le temps, à deux ans. Je suis assez séduit par cette approche. J'insiste : notre système n'est pas mauvais du tout. Mais je suis plutôt favorable au modèle danois. Dire que les allocations sont limitées dans le temps, c'est un signal fort envoyé au demandeur d'emploi. Selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), avec ce modèle, le taux d'emploi est plus élevé, la mobilité des travailleurs est plus élevée, et la culture de la formation professionnelle est plus développée.
Justement, un élément central du système danois, c’est la formation des travailleurs tout au long de la carrière. Est-ce que, en Belgique, les entreprises jouent suffisamment le jeu de la formation ?
Oui. Je le pense vraiment. Mais, chez nous, il y a beaucoup de règles et de contraintes. Au Danemark, l’entreprise a plus de liberté pour définir les formations dont elle a besoin.
Le gouvernement fédéral vient de décider d’ouvrir un droit à la formation de cinq jours par an pour les travailleurs. Est-ce un pas dans la bonne direction ?
Ce n’est pas une bonne idée. On est dans une logique mathématique, une logique comptable. On ne se pose pas la question du type de formation, des objectifs, des résultats. On parle de droit à la formation, pourquoi pas, mais alors il faut une obligation de se former. À la FEB, nous avions lancé l’idée du compte de formation individuel. Le travailleur a une sorte de sac à dos dans lequel se trouvent des moyens pour permettre à l’employeur et au travailleur de définir ce qui sera utile.
Pour moi, on peut avoir un débat beaucoup plus intéressant au travers du principe de compte de formation dans le cadre de la concertation sociale. Réfléchir en termes de jours de formation, ça n’a pas beaucoup de sens, cela ne veut strictement rien dire. Il faut réfléchir en termes d’objectifs. Une entreprise qui installe une nouvelle machine, elle va devoir former les gens, sinon la machine ne fonctionnera pas. On raisonne trop en termes de droit, et puis débrouillez-vous…
Les entreprises ne sont-elles pas parfois frileuses à l’idée de former leurs travailleurs parce qu’elles craignent qu’ils aillent ensuite à la concurrence ?
Oui, c’est vrai. Et je leur dirais que cela va dans les deux sens. Si quelqu’un quitte votre entreprise plus facilement, vous pouvez aussi engager plus facilement une autre personne. Mais la formation tout au long de la vie va de pair avec la flexibilité. Moins de contraintes pour engager et licencier. Si vous voulez que les employeurs n’aient plus cette crainte de voir partir à la concurrence le personnel dans lequel ils ont investi, il faut qu’ils puissent aussi aller chercher quelqu’un plus facilement chez le concurrent.
Au Danemark, on a l’impression que les partenaires sociaux (patrons et syndicats) sont dans une logique de coconstruction des politiques d’emploi, alors que, en Belgique, ils sont plus dans une logique de rapport de force, de confrontation.
Je partage en partie cette impression. Bien sûr, les négociations ne sont pas toujours faciles au Danemark. Mais, en général, il y a cette culture d’ouverture au changement. Chez nous, on est dans un rapport de force pour maintenir coûte que coûte ce qu’on a.
Vous parlez des "acquis sociaux", chers aux syndicats ?
Les syndicats disent "les droits conquis". Cela démontre, oui, que l’on est plus dans un modèle de confrontation. Au Danemark, on va se demander comment créer plus d’emplois, comment parvenir à mettre plus de monde au travail. Chez nous, on va se demander comment on peut éviter que quelqu’un tombe au chômage.