Le crime de lèse-majesté viole la liberté d’expression, selon la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle, a tranché : oui, on a le droit d’offenser le Roi.

Antoine Clevers, avec An.H
Le crime de lèse-majesté viole la liberté d’expression, selon la Cour constitutionnelle
©BELGA

Le roi des Belges tombe de son piédestal. A-t-on le droit d’offenser le Roi ? La réponse est oui. La Cour constitutionnelle vient de trancher la question.

L’article premier de la loi du 6 avril 1847, "portant répression des offenses envers le Roi", prévoit que "quiconque […] se sera rendu coupable d’offense envers la personne du Roi sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et d’une amende de 300 à 3 000 fr". Dans le langage courant, on parle de crime de lèse-majesté.

La Cour constitutionnelle a rendu un arrêt, jeudi, dans lequel elle juge que cette disposition viole la liberté d'expression garantie par la Constitution belge (article 19) et la Convention européenne des droits de l'homme (article 10).

L’histoire du rappeur offensant

"Cette dispos ition réprime les offenses envers le Roi d'une peine de prison particulièrement lourde (six mois à trois ans de prison), ce qui est en principe contraire à la liberté d'expression lorsque la peine est infligée en raison d'opinions exprimées dans le cadre d'un débat politique ou d'un débat sur des matières d'intérêt général , explique la Cour dans un communiqué. En outre, cette disposition protège la réputation du Roi plus largement que celle des autres personnes. Selon la Cour, la disposition ne répond pas à un besoin so cial impérieux et elle est disproportionnée à l'objectif de protéger la réputation de la personne du Roi."

L’arrêt a été rendu dans le cadre d’une question préjudicielle posée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand, chargée de se prononcer sur l’extradition du rappeur catalan Valtonyc (lire portrait page 2).

Ce dernier avait été condamné dans son pays à trois ans et demi de prison pour apologie du terrorisme et injures à la Couronne proférées dans ses chansons. Pour éviter l’emprisonnement, le rappeur avait fui en Belgique, comme l’avait fait avant lui le leader catalan indépendantiste Carles Puigdemont. Depuis mai 2018, Valtonyc est visé par un mandat d’arrêt européen délivré par la justice espagnole.

Une trop vieille loi

Avant d'exécuter le mandat d'arrêt, la justice belge doit déterminer si les faits qui ont valu au rappeur une condamnation en Espagne sont aussi constitutifs d'une infraction en Belgique. Le tribunal de première instance de Gand a estimé, en septembre 2018, que ce n'était pas le cas. Le parquet avait néanmoins fait appel.

Le tribunal de première instance a été conforté dans sa décision par la Cour de justice de l'Union européenne (saisie par la cour d'appel de Gand), en mars 2020, en ce qui concerne l'apologie du terrorisme.

Pour l’"outrage et [les] offenses graves envers la Couronne espagnole", la chambre des mises en accusation de la cour d’appel a constaté que les offenses envers le Roi sont punissables en Belgique, ce qui permet a priori d’exécuter le mandat d’arrêt. Mais, avant de trancher, elle a voulu savoir si la loi de 1847 est compatible avec la liberté d’expression. Elle a dès lors posé une question préjudicielle en ce sens à la Cour constitutionnelle.

Une interprétation trop large

Dans son arrêt rendu jeudi, la Cour observe que, à l’époque, le législateur avait voulu que le terme "offense" soit interprété de façon large. Il couvre tous les propos qui portent atteinte à l’honneur ou à la réputation du Roi ou qui expriment une irrévérence à son égard, avec une certaine publicité, même s’il n’y a pas d’intention de méchanceté.

La Cour souligne que la liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Elle juge que la disposition en cause constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’expression.

Pour être admissible, dit la Cour, une telle ingérence doit être prévue par la loi, doit poursuivre des objectifs légitimes et doit être nécessaire dans une société démocratique, ce qui suppose qu’elle réponde à un besoin social impérieux et qu’elle soit proportionnée aux objectifs poursuivis (protéger la réputation du Roi). Or ces conditions ne sont pas remplies, a conclu la haute juridiction.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...