Zakia Khattabi fait le point sur la COP26 : "Il ne s’agit plus de se demander ce qu’il faut faire..."
La ministre fédérale du Climat, Zakia Khattabi, préside la délégation belge à la Cop 26, dont elle attend des actions concrètes. L’absence d’accord climatique intrabelge à Glasgow serait un rendez-vous manqué.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/50f2df15-e66c-436e-8046-e2369826279b.png)
- Publié le 05-11-2021 à 20h53
- Mis à jour le 06-11-2021 à 14h21
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/QPH5CBXN5BBT5L4R6GFBSU26W4.jpg)
Présente depuis une semaine à Glasgow pour représenter notre pays dans les négociations de la Cop 26, la ministre fédérale du Climat, Zakia Khattabi (Écolo), fait le point sur les avancées qu’elle attend tant au niveau international que belge.
Quel état d’esprit règne sur ce sommet climat ? On a le sentiment qu’il y a une volonté d’aller de l’avant...
À ce stade-ci, il y a "à boire et à manger". La présidence britannique a réussi à mettre en place une dynamique globale qui me semble intéressante. On verra de quoi elle accouchera. Les Britanniques essaient de transformer la dynamique des objectifs nationaux en une dynamique beaucoup plus collective, où l’on s’engage au-delà des slogans avec des feuilles de route effectives. L’enjeu de la Cop 26, ce n’est plus seulement des objectifs chiffrés mais la mise en œuvre concrète des actions pour y arriver. Il ne s’agit plus de se demander ce qu’il faut faire ni comment le faire. On sait qu’il faut isoler les bâtiments et on sait comment le faire, mais il y a encore des millions de passoires énergétiques. On sait qu’il faut électrifier le parc automobile et comment le faire, et pourtant on n’a pas encore assez de bornes de recharge… Il y a des résistances politiques qui demeurent même s’il y en a de moins en moins.
L’enjeu est donc la gouvernance de cette transition car on ne gagne pas une guerre si on n’est pas organisé pour la gagner. Plus aucune compétence, aucune politique, aucun levier ne peut être pensé hors de l’objectif de décarbonation que l’on s’est collectivement assigné. C’est la dynamique que j’ai voulu instaurer au fédéral avec un pilotage et des objectifs précis, un calendrier défini à moyen et long terme pour chaque ministère et des évaluations des progrès réalisés.
Les annonces faites par les chefs d’État et de gouvernement en début de semaine vous donnent-elles le sentiment que l’on rentre réellement dans la phase de passage à l’acte ou est-ce encore du "bla bla" ?
On verra, mais ce qui est certain, c’est que tout le monde va vers la transition bon gré mal gré. Alors autant que ce soit de bon gré parce que si on attend d’être poussé dans le dos par l’urgence, ce sera encore plus difficile. Même le Brésil a annoncé un objectif, or on sait d’où ils viennent.
La Cop 26 permettra-t-elle de se rapprocher de l’objectif de limitation de la hausse de la température à 1,5 °C ?
J’ai envie d’être optimiste, mais je ne suis pas naïve. À ce stade, je ne m’engagerai pas à dire que l’on est sur la bonne voie. Il y a néanmoins de bonnes choses comme l’accord pour enrayer la déforestation (auquel la Belgique s’est associée, NdlR) ou encore celui pour réduire les émissions de méthane. Les ambitions restent modestes et toutes les grandes puissances ne l’ont pas signé, mais c’est la première fois qu’il y a un engagement dans ce domaine-là. C’est un premier pas pour revoir les politiques agricoles, notamment au niveau de la Pac européenne, qui ont toujours été un grand tabou dans les discussions climatiques.
On assiste à une mobilisation importante et assez inédite des entreprises. Vous paraît-elle crédible ?
Il est vrai que la moitié des entreprises cotées en Bourse se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. De nouveau, c’est à saluer, c’est la première fois. Mais on attend de voir la feuille de route qui doit permettre de concrétiser ces objectifs.
Depuis un an et ma prise de fonction, je porte le même discours. Si je reviens à l’échelle belge, dès les premières rencontres que j’ai eues avec la FEB, je leur ai dit : "Vous devez emprunter le chemin de la transition si vous souhaitez garder la place que vous occupez dans vos secteurs. Que ce soit la chimie qui est un fleuron de notre économie à l’échelle mondiale, ou d’autres." J’ai aussi dit au gouvernement flamand qu’il se trompe en ne rehausssant pas leurs ambitions sous prétexte de préserver leur économie. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Regardez ce qui s’est passé en Wallonie à une époque où certains ont mis le frein sur la reconversion en croyant sauver la sidérurgie. À certains endroits, on s’est retrouvé sans emploi et sans industrie. À l’heure actuelle, c’est un non-sens économique de ne pas emprunter le chemin de la transition. Les grands États ont aligné leurs objectifs de décarbonation. La Chine va vers la neutralité carbone en 2060, les USA et l’Europe 2050. Dans ce nouveau monde, ceux qui seront prêts les premiers décrocheront les marchés.
D’après ce que j’ai pu lire dans De Standaard, c’est le message des entreprises flamandes aujourd’hui. Elles disent : "la neutralité carbone, c’est important pour notre survie". J’espère que le gouvernement flamand l’entendra.
Les pays les plus vulnérables ont publié une déclaration dans laquelle ils expriment leur colère vis-à-vis des pays riches qui n’ont pas tenu leurs promesses en matière d’aide financière. Vous ressentez cette colère lors de vos rencontres ?
Cette colère est légitime, mais c’est plus que cela. La situation qu’ils vivent est telle qu’ils ont dépassé le stade de la colère, c’est du désespoir. Et c’est encore plus difficile à recevoir. Quand on discute avec ces pays, on personnalise les effets du changement climatique et cette responsabilité de ne pas être à la hauteur n’est pas simple à assumer.
C’est vrai aussi quand je me retrouve à devoir justifier des choix qui ne sont pas faits face aux jeunes de la Coalition climat, des incohérences dans le chef du politique, ce n’est pas simple. Parfois, c’est de la dissonance cognitive.
Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il portait sa contribution au financement climatique international à 112,5 millions d’euros par an. Le CNCD-11.11.11 estime que la contribution de la Belgique devrait être au minimum de 500 millions par an. Ce montant vous paraît-il équilibré et réaliste ?
Équilibré et réaliste par rapport à la situation des pays vulnérables, oui. J’ai rencontré les responsables des Maldives, ils ne mettent pas de chiffres sur la table. Ils disent : "Aidez-nous à sauver nos vies." C’est dans ces termes-là que ce débat se pose.
Mais il faut souligner que ces 112,5 millions sont un budget totalement additionnel, alors que jusqu’à présent, les budgets pour le financement climat étaient ponctionnés dans le budget de la Coopération au développement. Ici, il s’agit d’un montant supplémentaire, c’est une première victoire. Avec ma collègue Meryame Kitir (NdlR : ministre de la Coopération au développement, Vooruit), nous mettons sur la table une proposition de rehaussement de cette contribution fédérale dans le futur. Elle sera discutée prochainement. Je ne vais pas m’avancer sur des chiffres pour ne pas créer d’attente, mais l’objectif est d’avancer pas à pas en essayant d’engranger tout ce qui peut l’être.
Personnellement, je suis en faveur de la création d’un mécanisme de financement structurel. Ce n’est pas comme si on pouvait se dire chaque année que la situation de ces pays sera meilleure et qu’ils n’en auront plus besoin. Cela n’a pas de sens. La réalité est que le réchauffement est une menace structurelle et notre responsabilité dans ce phénomène est également structurelle. Il faut donc que la solidarité le soit aussi. Mais cette question du financement est également liée à la répartition des efforts climatiques intrabelges.
Il y a un an, les ministres du Climat belges s’étaient eux-mêmes fixé l’échéance de la Cop 26 pour boucler le "burden sharing" 2030. On n’y est toujours pas. Comment l’expliquez-vous ?
On peut difficilement avoir un accord de partage de l’effort intrabelge si le gouvernement flamand ne se réunit qu’une semaine avant la Cop 26. Il n’y a pas de secret.
Le gouvernement flamand vient de présenter des objectifs climatiques pour 2030 légèrement revus à la hausse. Cette annonce est-elle satisfaisante ?
À ce stade, c’est encore difficile à évaluer, mais c’est plutôt une déception eu égard à l’enjeu. Je ne minimise pas ce qui est proposé par le gouvernement flamand, mais il semble vraisemblablement que l’effort de 5 % supplémentaire consenti repose largement sur des décisions fédérales. L’enjeu de l’électrification des véhicules notamment. Il est donc difficile de savoir quel est l’effort réel réalisé par la Flandre elle-même.
Il est vrai qu'ils partent de plus loin parce qu'ils sont en retard sur leurs objectifs initiaux, mais cela relève de la responsabilité de ceux qui sont à la manœuvre depuis des années. Partant de là, je ne trouverais pas normal qu'il y ait une iniquité dans la répartition de l'objectif européen entre les différentes entités du pays. L'enjeu est de réduire les émissions de 47 % dans les secteurs non industriels en 2030, il n'y a pas de raison que Bruxelles ou la Wallonie doivent en faire davantage parce que la Flandre ne veut pas en faire plus. Si le fédéral a décidé qu'il prendrait à sa charge une partie de l'effort supplémentaire équivalent à 25 millions de tonnes de CO2, c'est pour aider les Régions à aller plus loin dans leurs propres efforts, mais pas qu'elles en fassent moins.
Le but reste de conclure un accord à Glasgow à tout prix ?
Pour ma part, je ne m'enferme pas dans la pression d'un calendrier qui nous ferait aboutir à un accord insuffisamment ambitieux. La position belge à la Cop 26 est celle d'un pays qui soutient les ambitions de l'Union européenne de réduire les émissions de CO2 de 55 % en 2030. La manière dont nous organisons entre nous la répartition de cet effort, c'est de la popote interne.
L'échéance de la Cop 26, c'est une contrainte symbolique que nous nous sommes donnée. Ne pas avoir un burden sharing belge à Glasgow serait un rendez-vous manqué, mais cela ne préjuge pas du fait que l'on puisse arriver ou pas à un accord.