Vincent Van Quickenborne : "La prison doit être l’ultime recours"
Entre la réforme du droit pénal sexuel et la préparation de l’ouverture de la prison de Haren, le ministre de la Justice ne chôme pas. Vincent Van Quickenborne, inquiet de la montée des discours de haine, souhaite également renforcer la Sûreté de l’État. Entretien.
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- Publié le 27-11-2021 à 07h08
- Mis à jour le 27-11-2021 à 07h10
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"Prudence est mère de vertu", lance Vincent Van Quickenborne (Open VLD) en débutant l'entretien organisé en visioconférence. Pas parce qu'il raffole du télétravail. Mais parce qu'il a été en contact avec le Premier ministre français Jean Castex, positif au Covid. Le ministre fédéral belge de la Justice s'est donc mis en quarantaine, en attendant le résultat de son test. On apprendra, durant l'entretien, que le test est négatif. "Pourtant, je suis un homme positif", plaisante le vice-Premier.
L’actualité récente a remis en exergue des cas d’agressions assez retentissants. Avec un questionnement : quelle place pour la victime, dont la parole ne semble pas être toujours prise en compte par la justice…?
J'ai lu avec émotion le dossier que La Libre a préparé. Les témoignages que vous avez récoltés sont forts, et c'est important qu'ils soient relayés par les médias, qu'ils soient portés à la connaissance du public et même à nous, monde politique. Cela rappelle que des discours incriminant les femmes, des propos qu'on croyait dépassés, existent malheureusement encore. C'est inacceptable de faire porter la responsabilité aux victimes. Ce n'est pas pour rien que la réforme du droit pénal sexuel qui est en cours place la victime au centre des débats. J'ai lu les critiques émises à l'égard du suivi de la Justice, la façon dont les victimes sont informées du classement sans suite, par simple lettre. C'est dur, j'entends qu'il s'agit d'une double peine. Mais sur le terrain, il y a aussi des mécanismes qui fonctionnent.
Lesquels ?
C'est le cas des centres de prise en charge des victimes, les CPVS, qui font un travail formidable. De nouveaux centres vont voir le jour. La gestion au niveau des parquets aussi est en cours d'évolution. Au parquet d'Hal-Vilvorde, on n'envoie plus de lettre toute faite et déshumanisée pour informer les victimes du suivi d'un dossier. Les victimes sont convoquées pour qu'on leur explique pourquoi un suspect a été poursuivi ou pourquoi il ne l'a pas été. Mais nous restons conscients qu'il y a une méconnaissance véritable du phénomène, un chiffre noir que nous voulons éclaircir pour mieux mesurer l'ampleur du problème. C'est dans cette optique que nous voulons aussi faciliter la façon de déposer plainte, virtuellement. La question de la formation des policiers et des magistrats est aussi à l'ordre du jour. Nous avançons. Et je n'oublie pas le cas de violences intrafamiliales. C'est un phénomène que je ne veux pas négliger.
À côté du droit pénal sexuel, il y a l’épineuse question des prisons. Haren doit ouvrir en septembre 2022. Vous pensez quoi de l’idée de faire de la prison de Forest un musée ?
Je ne suis pas le seul à décider. J’entends la demande et je n’y suis pas insensible parce que j’estime que la philosophie du tout à la prison n’est pas une bonne chose. Mais soyons pragmatiques : le déménagement des détenus de Saint-Gilles et Forest vers Haren va prendre neuf mois. Attendons 2023 pour savoir ce que nous ferons de ces bâtiments.
La philosophie du "tout à la prison" ne vous convient pas, mais vous ouvrez une méga prison ?
Je veux d’abord rappeler que Haren va aussi permettre de réduire la surpopulation carcérale. La réduire, pas l’éliminer. Car, oui, la prison doit être considérée comme l’ultime recours, et non comme la première option. C’est en cela que la philosophie du "tout à la prison" ne me convient pas. C’est dans cette même logique que je veux développer les maisons de détention pour les petites peines.
Réforme des petites peines qui ne sera pas appliquée, comme c’était prévu, dès ce 1er décembre, mais plus tard…
Ceux qui sont contre cette réforme sur les peines de moins de 3 ans pensent que je vais l’abandonner. Je vous préviens déjà, j’y tiens et cette réforme aura lieu. Actuellement, les juges donnent des peines plus lourdes sachant que les peines courtes ne sont pas exécutées. C’est la porte ouverte à la récidive et au sentiment d’impunité. Permettre les courtes peines, en maisons de détention, c’est assurer une réinsertion. La prison, c’est l’ultime recours. Mais la prison, c’est aussi apprendre à se réinsérer.
Quels sont les autres changements prévus pour les prisons ?
Le statut du personnel dans les prisons sera aussi différent pour dédoubler les missions. Les agents qui travailleront auprès des détenus auront davantage un travail social. Cela nous permettra d’engager des profils plus nombreux sur le marché du travail, les psychologues, les sociologues, les criminologues. Des profils qui vont suivre le détenu durant la détention pour le préparer à la réinsertion. Il y a aussi un plan pour améliorer le statut des magistrats.
Sauf que vous êtes favorable à des changements en échange de résultats. Certains magistrats y voient une "logique libérale" contraire au fonctionnement de la justice…
J’ai toujours entrepris les choses en étant du côté des magistrats, jamais en étant contre eux. Je suis un libéral, oui, mais il n’y a pas de "logique libérale". La seule logique, c’est que les changements que nous voulons opérer dans la justice sont faits avec l’argent du contribuable. Il est donc normal que le contribuable voie que cela sert à une justice plus efficace. Mais cela ne signifie pas que je presse quiconque de vite travailler pour avoir des moyens.
Des changements en fonction des résultats, ça signifie quoi ?
Un bon exemple, c'est la chambre des comparutions immédiates à Bruxelles. C'est une juridiction qui fonctionne très bien. La preuve, les manifestants de dimanche 23 novembre qui ont été pris en train de vandaliser vont comparaître début décembre. Cette efficacité sera récompensée par des moyens supplémentaires en termes d'effectifs. Cela ne signifie pas que les vivres seront coupés ailleurs.
"Pour collaborer avec le MI5 et le MI6, la Sûreté de l’État doit grandir"
Pour mener à bien les projets de votre "Team Justice", il faut engager du personnel. Vous y arrivez ?
Nous avons engagé une personne chargée de la politique de recrutement et nous constatons que cela marche très bien. Pour vous donner un simple exemple, nous avons reçu près de 4 000 candidatures pour 200 postes vacants au sein de la Sûreté de l’État. Notre Sûreté est encore considérée comme un "petit frère". Pour être mieux considérés, pour collaborer avec d’autres comme le MI5 et le MI6 (les services de renseignements anglais, NdlR), nous devons grandir. Cela se fera aussi en engageant plus de personnes.
Vous voulez renforcer la Sûreté de l’État. Vous avez des craintes particulières ?
Vous voulez dire en dehors du Covid (rires). Des craintes particulières, pas vraiment. L’extrémisme de droite, l’espionnage, le djihadisme. Toutes ces craintes existent, mais c’est la polarisation de la société qui m’inquiète. Les discours de haine deviennent la norme, surtout sur les réseaux sociaux.
Un des manifestants arrêté lors de la manifestation du 23 novembre aurait voulu organiser un attentat contre le ministre Vandenbroucke. Il a été repéré par des messages envoyés par messagerie cryptée. Où en êtes-vous dans la révision de la loi télécoms qui concerne l’usage de ce type de messagerie ?
Je suis libéral et ministre de la Justice. Je veille au respect des libertés de chacun, mais je sais aussi combien les données télécoms sont fondamentales dans le travail judiciaire. Neuf enquêtes sur dix sont résolues grâce à ces données. C’est une loi de compromis qui est en préparation. La conservation des métadonnées de communication se fera sur des critères objectifs, comme le taux de statistiques de criminalité grave dans un arrondissement judiciaire ou en fonction d’une énumération de lieux stratégiques. Nous prévoyons aussi bien entendu un mécanisme pour conserver des données auprès des opérateurs dans le cadre d’un dossier spécifique, par exemple en cas de menace terroriste. Le travail est en cours. J’espère porter ce projet avec la ministre des Télécommunications Petra De Sutter au Parlement début 2022.
La Sûreté de l’État s’intéresse aussi, en ce moment, à l’Exécutif des musulmans de Belgique. Un dossier épineux dont vous avez aussi la charge…
C’est un dossier compliqué, c’est vrai. Il faut plus de transparence dans ce type d’organisme. Les musulmans de Belgique ont le droit d’être représentés dignement, sans ingérence de pays étrangers. L’EMB est trop nébuleux. Des réunions avec les ministres des cultes régionaux sont prévues en décembre pour faire le point. J’ai également pris l’initiative de rencontrer Laurette Onkelinx qui connaît ce dossier en tant qu’ancienne ministre. Je respecte le travail fait par mes prédécesseurs. J’estime qu’il doit être pris en considération pour avancer. La même logique a été entreprise pour la réforme du Code pénal pour laquelle j’ai rencontré Koen Geens.
Vous n’avez pas de critiques sur cette façon de travailler ?
Au contraire, je crois que les députés, même ceux de l’opposition, ont compris que ce gouvernement attache une importance au bon fonctionnement de la justice. Les critiques, il y en a, mais elles sont constructives. J’apprécie l’apport des députés d’opposition, ils enrichissent le débat, nous avançons ensemble.