Zuhal Demir, l’arme secrète de la N-VA
Figure montante des nationalistes, la Genkoise au tempérament d’acier est devenue le visage incontournable du gouvernement Jambon.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/223bb6d6-9e5e-4195-84c5-a0e810d98bf2.png)
- Publié le 29-11-2021 à 08h37
- Mis à jour le 29-11-2021 à 12h38
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2J3BHVC3TNHYRAHQUMWMJNW6ZY.jpg)
Le dessin humoristique signé Zaza, paru il y a une quinzaine de jours dans le quotidien flamand De Morgen en dit long sur l'état d'esprit qui règne à la N-VA. À coup sûr, les tensions y ont été vives après la décision de la ministre de l'Environnement Zuhal Demir (N-VA) de refuser le permis de construction d'une centrale à gaz à Vilvorde, compliquant ainsi la sortie du nucléaire prévue par le gouvernement fédéral. On y voit Jan Jambon, ironique, s'adresser à Zuhal Demir : "Bien joué Zuhalleke ! Groen est furieux. Lachaert (Open VLD) et Coens (CD&V) sont en colère. Qui voudra encore de nous en 2024 ?" Au même moment, Bart De Wever essaie de les joindre par téléphone, en vain… Dans un coin à droite, Van Grieken et Annemans, du Vlaams Belang, ricanent.
Ces temps-ci, il est vrai, Zuhal Demir est présente sur bien des fronts, coupant l’herbe sous les pieds aussi bien de ses détracteurs que de ses partenaires de coalition. Dernièrement, en pleine Cop 26 sur le climat, elle a réussi à bloquer un accord visant à ce que la Belgique réduise ses émissions de gaz à effet de serre, trop élevées pour notre pays. En juin dernier, la Limbourgeoise avait déjà jeté un pavé dans la mare en proposant au Parlement flamand, sans consulter qui que ce soit, de créer une commission d’enquête parlementaire pour examiner le dossier de la pollution à l’acide perfluoro-octanesulfonique (PFOS) concernant la multinationale 3M à Zwijndrecht. Une démarche plutôt inhabituelle pour une ministre en exercice.
Son parcours, quasiment sans faute, fait rêver. Zuhal Demir a très vite réussi à imprimer sa marque en politique. Une marque forte: on aime ou on n'aime pas. "Au moins, avec Zuhal, on sait à quoi s'en tenir", affirme l'une de nos sources contactées pour ce portrait. Pas de demi-mesure pour cette battante, véritable femme de poigne qui a réussi, en quelques législatures, à se forger une réputation de "dame de fer". Redoutée par le gouvernement fédéral, Zuhal Demir incarne de plus en plus le visage du gouvernement flamand qui, dans sa globalité, peine à imposer une vision claire et à défendre ses projets, ce que la Genkoise réussit à faire avec détermination et pugnacité. "Zuhal Demir, c'est un peu Ben Weyts au féminin en plus intrépide", poursuit une autre source. Une femme engagée, un tempérament bien trempé. Il faut reconnaître qu'elle a de nombreux atouts pour montrer un nouveau visage de la N-VA, qui se cherche un second souffle aujourd'hui.
Gaufres et sauce béchamel
Issue d’une famille kurde de travailleurs immigrés, Zuhal Demir est née à Genk le 2 mars 1980.
Elle est née avec la double nationalité : belge et turque. Malgré tout, elle se sent plutôt kurde que turque mais surtout... elle se sent flamande. Sa famille est de tradition alévie, un mouvement libéral au sein de l’islam : ni voile, ni mosquée, ni ramadan, droits égaux pour femmes et hommes.
Dans les années septante, son père a répondu à l’appel de la Belgique qui recrutait de la main-d’œuvre pour travailler dans les mines du Limbourg. La famille Demir et leurs cinq enfants habitaient dans la cité minière de Waterschei jusqu’à la fermeture du bassin minier; après quoi ils ont décidé de rester vivre en Belgique. Famille plutôt bien intégrée, les Demir bénéficient du soutien local. Le couple a appris le néerlandais sur le tas, Zuhal a appris la langue à l’école. Le dimanche, elle accompagne son père à la bibliothèque du village. Il insistait pour que les enfants lisent des livres en néerlandais. Dans l’école du village, elle côtoie de nombreux enfants issus de l’immigration. Dans une interview parue dans la revue de la KULeuven (2016), la ministre raconte qu’une association, proche du parti social-chrétien CVP à l’époque (le CD&V actuel), réunissait les femmes de la cité minière, leur apprenant à faire des gaufres et de la sauce béchamel. Dans le Limbourg, diverses associations ont largement contribué à l’intégration de la première génération des travailleurs immigrés.
Alice in Wonderland
Son père a beaucoup insisté auprès de ses enfants pour qu'ils fassent des études. Idéalement, il fallait obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur pour accéder à "un emploi stable et durable". Ses études secondaires (latin grec) dans une école catholique à Genk lui permettent de maîtriser parfaitement le néerlandais. Zuhal Demir s'inscrit ensuite à la KULeuven pour y étudier le droit. Son père l'avait prévenue : elle n'aurait qu'une seule chance. Pas question de redoubler une seule année. Fille de mineur, elle découvre, enchantée, la vie d'étudiant et "se sent un peu comme Alice au pays des merveilles".
Juriste accomplie, la jeune femme fit ses armes à Anvers où elle deviendra avocate spécialisée en droit du travail. Nous sommes en 2004. Ce n'est que six ans plus tard qu'elle se présentera pour la première fois sur les listes du parti indépendantiste de la N-VA. Jan Jambon, l'actuel ministre-Président (N-VA) de la Région flamande, lui mit le pied à l'étrier en disant : "Tu as un avis sur tout, alors lance-toi !"
Aux élections fédérales de juin 2010, âgée de 30 ans, Zuhal est élue avec 10 248 voix de préférence. Elle fait ses premiers pas comme députée et défend des réformes économiques et sociales, comme l'activation des chômeurs. Elle en fait son cheval de bataille, suscitant l'ire des organisations syndicales. Aux élections communales d'octobre 2012, elle est élue sur la liste N-VA dans le district d'Anvers et y devient la nouvelle présidente. Aux élections fédérales de mai 2014, Zuhal Demir double presque son nombre de voix de préférence (19 473). Elle a failli devenir ministre mais rate de peu le portefeuille tant convoité. Elle aurait dit à Bart De Wever : "Ce coup-là, tu ne me le fais pas deux fois !"
Genk, le refuge
"La dame de fer" marque, à 34 ans, une première pause dans sa carrière déjà bien remplie. Son retour dans son Limbourg natal s’explique par le désir de vivre une vie de famille plus équilibrée.
2016 : comme de nombreux Bekende Vlamingen, Zuhal Demir participe à l'émission De Slimste mens ter Wereld. La même année, elle prend part à l'émission Terug naar Eigen Land, une émission de téléréalité où des Flamands connus se rendent dans des zones de conflit.
L'idée est de parcourir la route que des réfugiés prennent vers l'Europe afin de les confronter à la réalité de la crise migratoire. Lors d'une visite dans un camp de réfugiés en Irak, elle rencontre une femme qui souhaite s'installer en Europe. Elle lui lance : "Vous voulez une vie meilleure ? Rien n'est gratuit en Europe et la Belgique n'est pas la Terre Promise, il faut travailler pour réussir." Son parler vrai séduit pas mal de monde même en dehors du microcosme nationaliste.
En février 2017, la self-made woman limbourgeoise délaisse ses fonctions de députée fédérale et monte à bord du gouvernement Michel. Elle y remplace Elke Sleurs au poste de secrétaire d'État à la Lutte contre la pauvreté, à l'Égalité des chances, aux Personnes handicapées et à la Politique scientifique. À peine arrivée à son poste, elle se lance à l'assaut d'Unia, le centre fédéral d'égalité des chances qui tombe dans ses compétences ministérielles. "Je me demande si Unia fait encore bien ce pour quoi il a été établi", lance-t-elle à l'époque. Responsable de la politique scientifique, Zuhal Demir met aussi un terme au conflit entre l'explorateur Alain Hubert et le gouvernement fédéral sur la station Princesse Élisabeth.
Avec le départ de la N-VA du gouvernement fédéral début décembre 2017 à la suite du "Pacte de Marrakech", Zuhal Demir perd son poste de secrétaire d'État et redevient députée.
Écologie réaliste
À l’approche des élections communales de 2018, Zuhal Demir s’installe à Genk pour tirer la liste communale de la N-VA. Depuis octobre 2019, elle fait partie du gouvernement Jambon autour d’une coalition N-VA-CD&V-Open-VLD. Elle y occupe le poste de ministre de l’Environnement, de l’Énergie, du Tourisme et de la Justice. Ces derniers mois, elle a fait beaucoup parler d’elle dans les médias suite à l’affaire de la pollution aux PFOS (substances chimiques classées comme perturbateurs endocriniens) à Zwijndrecht. Alors que la société américaine tente de se décharger de toute responsabilité, la ministre flamande de l’Environnement hausse le ton : elle a sommé l’entreprise de prouver qu’elle n’expose pas les riverains à des risques supplémentaires, sous peine de devoir arrêter les processus de production qui rejettent les PFOS.
Entre-temps, la N-VA continue à s’opposer à l’ouverture de nouvelles centrales et n’hésite pas à mettre des bâtons dans les roues du fédéral. Zuhal Demir refuse le permis pour une centrale à gaz à Vilvorde qui émettrait une grande quantité d’ammoniac. Cette décision importante risque de compromettre les ambitions de la ministre fédérale de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) de sortir du nucléaire, puisque cela grève a priori les capacités de la Belgique en matière d’approvisionnement énergétique.
Aux premières loges
Imprévisible et difficilement gérable, Zuhal Demir n’en reste pas moins une valeur sûre pour le parti nationaliste qui peine à trouver un second souffle et fait face à une vive opposition des extrémistes du Vlaams Belang.
Zuhal reste très populaire. Son parti le sait. L'élue demeure un machine à voix qui peut compter sur la sympathie d'une large frange de la population flamande. Volontaire, déterminée, elle s'est hissée aux premières loges de la scène politique. Elle a désormais tous les atouts en mains pour devenir la nouvelle leading lady de la N-VA. Liesbeth Homans semble très à l'aise dans ses habits neufs, taillés sur mesure par Bart De Wever, officiant au perchoir du Parlement flamand. Seule la charismatique Valerie Van Peel, l'actuelle vice-présidente du parti nationaliste, pourrait lui faire de l'ombre.