"Dans le dossier nucléaire, Ecolo et le PS ne répondent pas aux arguments de fond du MR"
La majorité fédérale se divise sur la possibilité de fermer les centrales en 2025.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/61ea4bcb-8f0c-46f5-9d38-093e75998718.png)
Publié le 30-11-2021 à 09h23 - Mis à jour le 30-11-2021 à 12h53
Le gouvernement fédéral devrait examiner dans les prochaines heures l’un des points les plus sensibles de l’accord de majorité : la Belgique a-t-elle, oui ou non, la capacité de sortir du nucléaire en 2025 ? Ce dossier traîne depuis 2003, date de la première loi de mise à l’arrêt des réacteurs, confectionnée par le gouvernement "arc-en-ciel" de Guy Verhofstadt. À l’époque, les socialistes, les libéraux et les écologistes étaient associés au pouvoir.
Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), analyse les jeux politiques à l’œuvre.
Près de vingt ans d’incertitude… La fermeture des centrales nucléaires semble poser un sérieux problème. Pourquoi ?
La sortie du nucléaire correspond initialement à un choix politique voulu par Écolo. Le mouvement écologiste s’est d’ailleurs constitué dès les années 70 autour du rejet du nucléaire. Il était logique, lors de leur première participation gouvernementale (dans "l’arc-en-ciel", de 1999 à 2003), que les verts en fassent une question primordiale. Et ils ont obtenu une décision en ce sens. Mais, et c’est récurrent, dès que les écologistes ont le dos tourné, dès qu’ils perdent le pouvoir, les autres partis s’empressent de refermer la parenthèse. En 2003, les socialistes et libéraux, qui restaient seuls au gouvernement fédéral après la défaite électorale des écologistes, semblent alors se dire : les écolos ne sont plus là, on peut faire ce qu’on veut sur le nucléaire. Cela a eu des conséquences importantes dont, aujourd’hui encore, on paie le prix : on s’est retrouvé dans une situation de grande indécision. Le message que la loi de 2003 ne serait pas forcément respectée a été envoyé. Les opérateurs du secteur de l’énergie, Electrabel (Engie) comme les opérateurs alternatifs, ne savaient plus sur quel pied danser.
Désormais, cette indécision se traduit au sein du gouvernement De Croo. Le MR de Georges-Louis Bouchez estime qu’il faut prolonger les centrales nucléaires, tandis qu’Écolo et le PS affirment qu’une fermeture en 2025 reste probable, voire certaine.
Là où ça devient difficile à suivre, c'est que le MR se revendique de la protection de l'environnement pour défendre son point de vue. Le MR invoque l'objectif climatique, la réduction des émissions de CO2. La production d'énergie nucléaire est neutre sur le plan "carbone" alors que les mécanismes de substitution ne le sont pas. Pour faire fonctionner les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques, qui sont des énergies intermittentes, il faut une source de production qui puisse prendre le relais : le charbon ou le gaz.
Depuis ses origines antinucléaires, Écolo semble avoir évolué et met surtout en avant la lutte contre le réchauffement climatique. Le parti est-il moins combatif qu’avant à l’égard de la fermeture des réacteurs ?
Il y a peut-être un changement de génération chez Écolo qui explique une évolution dans ce sens. Je relève aussi un point de stratégie : les participations gouvernementales d'Écolo lui ont permis de comprendre qu'il pouvait se faire démolir par ses partenaires de majorité… Quand Rajae Maouane dit qu'Écolo ne sera pas dogmatique dans le dossier nucléaire (La Libre du 9 octobre 2020), elle sait que son parti est attendu au tournant en raison de son image doctrinaire. L'expression "khmers verts", popularisée par Claude Eerdekens (PS), a laissé des traces… Ainsi, afin de se montrer pragmatique et de casser cette image radicale, Écolo est peut-être prêt à sacrifier de vieilles revendications. C'est pour cela que certains écolos ont des doutes sur le cap actuel du parti.
Revenons au MR : la position de son président est-elle purement opportuniste ?
Si le MR a participé aux côtés du PS et des autres partis au pouvoir après 2003 à l’indécision que j’évoquais, il y a également chez les libéraux une profonde foi dans la science. C’est un héritage logique de la pensée libérale qui est fondée sur le règne de la raison. Georges-Louis Bouchez dit : donnez-moi des faits établis scientifiquement et, sur cette base, on décide. Puisque le projet de centrale au gaz de Vilvorde est bloqué, par quoi remplace-t-on la capacité de production que l’on perdra avec la fermeture des derniers réacteurs ? En outre, il existe un courant au MR qui estime que le nucléaire a un avenir, qu’il ne faut pas fermer les centrales car la science permettra de mieux retraiter les déchets, d’installer de nouveaux types de réacteurs ultramodernes.
Le MR est-il également influencé par le lobby nucléaire ?
Oui, je le pense. Le lobby nucléaire trouve ses relais et ses alliances davantage au MR. Et probablement à la N-VA.
Georges-Louis Bouchez aime la polémique, mais, dans le dossier nucléaire, il invoque le fond : la sécurité d’approvisionnement, les émissions de CO2, l’évolution des factures d’électricité…
Oui, et on n'entend pas Écolo ou le PS répondre à ses attaques avec des arguments de fond. Nollet et Magnette disent simplement que le débat est "plié", que l'on fermera les centrales. Ils ne se positionnent pas sur la contradiction entre la lutte contre les émissions de CO2 et l'objectif de sortie du nucléaire. Face aux arguments du MR, Écolo et le PS ne semblent pas vouloir se placer sur le terrain scientifique.