"Surprise" et mauvais timing : le départ de Crucke est une petite douche froide pour le gouvernement wallon
Jean-Luc Crucke quitte le gouvernement wallon pour rejoindre la Cour constitutionnelle. La séquence assoit l'autorité du président Georges-Louis Bouchez sur son parti, le MR.
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- Publié le 10-01-2022 à 21h45
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Avec la démission "surprise" de Jean-Luc Crucke (MR), lundi matin, le gouvernement wallon voit un de ses membres quitter le navire pour la deuxième fois depuis le début de la législature. Pierre-Yves Dermagne (PS) - qui était d’ailleurs un proche de Crucke - avant lui, est parti pour le fédéral fin 2020. Crucke rejoindra, pour sa part, la Cour constitutionnelle où le MR doit remplacer le juge Jean-Paul Moerman (69 ans).
Il faut bien avouer qu’il s’agit plutôt d’une demi-surprise. Le ministre wallon du Budget avait lui-même évoqué cette démission au moment de la polémique l’opposant à son président de parti et au groupe MR du Parlement wallon sur le vote d’un décret fiscal. C’est surtout le timing qui a surpris.
Parce que, même si son décret avait, en bout de course, été voté quasiment en l'état, après un psychodrame politique, la victoire de Jean-Luc Crucke par rapport à son président de parti avait un prix. Après une semaine de vacances et de réflexion, il a donc remis sa démission (le 3 janvier) mais à trois conditions. Que le secret de celle-ci soit respectée jusqu'à l'annonce officielle, que les membres de son cabinet qui souhaiteront y rester soient libres de le faire et enfin que les compétences exercées par Crucke - Budget, Infrastructures sportives et Aéroports - ne soient pas détricotées. Jean-Luc Crucke estime "ne plus être en phase avec le discours majoritaire du parti, même si je reste viscéralement un libéral. Je voulais être correct par rapport à moi-même et aux autres. C'est le bout d'un chemin, j'en ai fini de ma carrière politique. Je me suis dit qu'il était encore temps de faire autre chose".
Les orientations prises par le président du MR ne sont pas celles que privilégie l’ancien bourgmestre de Frasnes-les-Anvaing (Hainaut). Il ne veut pas porter cette voix au sein du gouvernement wallon. Il a bien tenté ces derniers mois de manifester, parfois en interne, parfois publiquement, certains de ses désaccords. La conclusion qu’il a en tirée il y a quelques jours, après en avoir discuté avec sa famille et ses amis est donc de quitter son mandat et de prendre du recul par rapport au parti dont il restera membre. Son président jouit d’un grand soutien en interne. Crucke, minoritaire, a donc préféré la démission à la guerre de tranchée permanente.
Bouchez et Crucke tout sourire
On peut aussi se demander si la position de Crucke n’allait pas à long terme devenir de plus en difficile au sein du gouvernement. D’autres décrets fiscaux sont dans le pipeline et il faut éviter de voir à nouveau le MR se chamailler lorsque ceux-ci arriveront devant le Parlement.
Jeudi dernier, Bouchez et lui se sont donc rencontrés pendant près d'une heure et demie. Selon les dires des deux intéressés, côte à côte au moment de l'annonce de la démission du ministre, leurs discussions se sont déroulées sans heurts. Même si Jean-Luc Crucke, très souriant, n'a pas manqué de rappeler les divergences qui existaient entre lui et son président - qui souriait beaucoup, lui aussi - qu'il a qualifié de "brillant".
Au sein du gouvernement wallon, lundi matin, c'était un peu la douche froide. Lors de la polémique entourant le décret fiscal, les ministres partenaires (PS et Écolo) avaient soutenu le ministre du Budget considéré comme un homme de parole, loyal au gouvernement et doté du caractère nécessaire, selon eux, pour tenir les cordons de la bourse. Le ministre-Président, Elio Di Rupo (PS), en convalescence après une opération de la rotule, a été surpris par l'annonce. Et de manière plus générale, au niveau de l'ensemble des ministres, on considère aussi que ce départ arrive à un très mauvais moment, même si tous évoquent le respect qu'ils ou elles ont pour la décision de leur collègue. "Même si je regrette son départ, il y a de la cohérence dans les arguments qu'il avance", estime le vice-président Écolo du gouvernement wallon, Philippe Henry.
Les finances wallonnes n'ont jamais été aussi mauvaises, la dette est en voie d'explosion. Et même si une trajectoire d'économies à réaliser a été mise en place pour éviter l'effondrement, il faudra veiller à ce que celle-ci soit respectée. Crucke devait souvent jouer les arbitres au sein du gouvernement wallon lorsqu'on discutait gros sous, ce sera désormais à un autre de prendre cette responsabilité. Néanmoins, Crucke prévient : "Le chemin est tracé. Si celui ou celle qui prendra ma place voulait changer les choses à 180 degrés, il ou elle n'y arrivera pas."
>> Bouchez va-t-il jouer la "surprise du chef" pour remplacer Crucke ?
Le gouvernement wallon est donc contraint de retrouver un nouvel équilibre pour terminer une législature qui s’achèvera en 2024, année où la Wallonie devra montrer des signes encourageants d’un redressement économique et social et un véritable engagement en faveur de l’environnement. Pour l’heure, ses membres en sont réduits aux pronostics quant au choix de celle ou celui qui succédera à Crucke, avec quelques appréhensions sur certains noms cités.
Retour au Parlement wallon mais discrètement
Jean-Luc Crucke, lui, sera normalement ministre jusqu'à jeudi au moins puisqu'il participera ce jour-là à sa dernière réunion du gouvernement wallon. Il n'est pas exclu d'ailleurs que son ou sa remplaçante prête serment jeudi après-midi lors d'une séance plénière du Parlement wallon. Après ça, il redeviendra député wallon pour quelques mois puisque sa désignation à la Cour constitutionnelle aura lieu au mois de juin prochain. "Il ne faut pas attendre de moi que je m'exprime sur tout et n'importe quoi. Je dois désormais m'imposer un certain devoir de réserve", explique-t-il.