Le "bouchéisme", un mode d'action politique ou une nouvelle doctrine au MR ?
Le président Georges-Louis Bouchez ne dévie pas, ou pas tellement, de la ligne traditionnelle de son parti.
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Publié le 13-01-2022 à 07h54 - Mis à jour le 17-01-2022 à 21h42
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Lundi, lors de la conférence de presse où il a annoncé sa démission, Jean-Luc Crucke a constaté avec gravité que, sur le plan des idées, il ne se sentait plus "en pleine adéquation" avec la ligne du MR. Il a donc quitté la vie politique pour le prestige plus discret de la Cour constitutionnelle. Sa réputation de libéral écolo et socialo-compatible était devenue un fardeau trop lourd à porter. Il est vrai que son président, Georges-Louis Bouchez, a l'art de polariser le débat sur chaque dossier gouvernemental, chaque question de société. Il avance sur ce terrain de guerre en agitant une bannière bleu foncé, la couleur d'un libéralisme assumé.
Le problème Crucke évacué, reste une question : Georges-Louis Bouchez, par ses multiples prises de position, est-il en train de faire évoluer la doctrine du MR vers la droite ou s'inscrit-il dans le mode de pensée classique de sa formation ? La question est importante car, cette année, s'ouvre le chantier de la refondation du programme des libéraux francophones. Ce travail d'actualisation de la ligne officielle sera suivi, peut-être, d'un changement de nom pour le parti.
Modèles français et belges
Afin de prendre un point de repère, examinons les références de Georges-Louis Bouchez dans le riche vivier politique français. Si la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 constitue à ses yeux l’horizon indépassable de la conquête méthodique du pouvoir, il choisit désormais Emmanuel Macron plutôt que Valérie Pécresse. Quant à Éric Zemmour, le président du MR lui reconnaît un réel talent mais il affirme combattre ses idées.
En Belgique, l’un des modèles de Georges-Louis Bouchez est Omer Vanaudenhove, chef de 1961 à 1968 du Parti de la liberté et du progrès (PLP), l’ancêtre du MR. Omer Vanaudenhove, à la tête d’une formation qui était encore unitaire, avait provoqué en 1961 une évolution majeure de la carte politique en ouvrant son parti aux électeurs de la droite catholique. Autre figure tutélaire qui inspire le président du MR : Jean Gol. Dans les années 1980, il mettra en œuvre un programme prônant une purge des finances publiques et une ligne dure dans les matières régaliennes (sécurité, migration…).
De petites graines idéologiques…
Comme chef de parti, Georges-Louis Bouchez a marqué l'actualité récente par ses prises de position dans le débat nucléaire (prolongation de la durée de vie des centrales), sur les thèmes identitaires (neutralité de l'État), dans la défense des libertés quotidiennes face au contrôle sanitaire anti-Covid. En matière économique, le président du MR a appelé, en septembre, à la sanction des chômeurs qui refusent un métier en pénurie. À l'égard du débat communautaire belge, Georges-Louis Bouchez se présente comme un belgicain, un unitariste par "attachement sentimental".
Ces petites graines idéologiques semées dans les médias constituent-elles pour autant une vision du monde originale et cohérente ? Le "bouchéisme" existe-t-il comme il existait un chiraquisme ou un sarkozysme ? Non, Georges-Louis Bouchez, sur le plan intellectuel, ne dévie pas de la tradition. Le MR n’a pas attendu son arrivée à l’avenue de la Toison d’or pour prôner une écologie "non punitive" fondée sur les solutions scientifiques, la défense des classes moyennes, des baisses d’impôt, l’encouragement au travail et à l’effort, la sécurité, la lutte contre la mise en cause du modèle culturel occidental.
"Aujourd'hui, ce qui fonctionne en politique, ce sont davantage les positions claires et tranchées que le ventre mou, estime Alexia Bertrand, cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois. Georges-Louis a bien compris cela. Il a fait évoluer notre façon de communiquer. Il a adapté la forme mais pas le fond."
"Les obsessions moralisatrices de la gauche"
À la tête de la petite usine intellectuelle du MR, le centre Jean Gol, le philosophe Corentin de Salle est du même avis. Pour lui, le "bouchéisme" consiste en l'affirmation d'une ligne libérale claire qui n'a pas peur de déplaire. Il voit dans le mode d'action de son président "un antidote démocratique au populisme". Selon Corentin de Salle, "les populistes prospèrent depuis des années car beaucoup de gens se détournent des partis démocratiques en raison de la langue de bois, la disparition du débat d'idées, la police de la pensée et la récurrence des obsessions moralisatrices et culpabilisatrices de la gauche telles que l'égalitarisme, l'intégrisme écologique, la décroissance, le communautarisme, le wokisme, le décolonialisme, la cancel culture, etc. Ces idées ne sont pas seulement ridicules mais dangereuses car elles réduisent nos libertés, hypothèquent le futur économique et affaiblissent la démocratie".
Une victoire par saturation
Le "bouchéisme" consisterait davantage en un style politique offensif dans son mode d’action mais fidèle au passé sur le plan doctrinal. Le jeune réformateur a compris qu’il ne doit pas laisser à la gauche le temps de respirer. Il sature l’espace médiatique en s’invitant sur tous les plateaux, en multipliant les interviews, en bombardant la Toile de tweets… La "doctrine Bouchez" consiste à susciter un débat permanent autour de thèmes choisis, qui étaient parfois laissés en friche par ses prédécesseurs (le statut des artistes, par exemple).
C’est sans doute cette guérilla quotidienne menée par un MR seul contre tous qui a fini par déplaire à Jean-Luc Crucke. Son malaise se résumera-t-il à un phénomène isolé ou bien d’autres personnalités libérales lâcheront-elles prise ? Garder le MR sur une même ligne, c’est tout l’enjeu des prochaines années pour Georges-Louis Bouchez.