Marc Bossuyt: "Le plus grand obstacle à l’éloignement des déboutés vient des pays d’origine"
Marc Bossuyt, le premier commissaire aux réfugiés et aux apatrides, livre ses mémoires.
- Publié le 02-05-2022 à 11h38
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Marc Bossuyt est devenu, en 1987, le premier commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, occupant la tête de la toute nouvelle institution fédérale indépendante chargée de décider de l’octroi du statut de réfugiés des demandeurs d’asile arrivés en Belgique (le CGRA). Il fut ensuite juge à la Cour constitutionnelle, avant d’en prendre la présidence de 2007 à 2014.
Durant toute sa carrière, il continua à suivre les questions liées au droit international, aux droits de l’homme et de la migration. Il fut, par exemple, parmi les experts au Parlement dans la discussion du Pacte de la migration des Nations unies.
"Je peux maintenant sortir de la réserve qui incombait à ces fonctions", sourit-il pour justifier la sortie de ses mémoires (Tussen demagogie en hypocrisie - "Entre démagogie et hypocrisie", pas encore publié en français - NdlR). Il y revient sur les épisodes marquants de sa carrière et pose son regard sur la situation actuelle.
"La plupart des questions que je devais traiter à l'époque demeurent d'une actualité brûlante", constate-il, avec cependant une nuance : aujourd'hui, les principaux leviers d'action se situent au niveau européen, et non plus belge. "On parle depuis des années du nouveau pacte migratoire européen mais cela n'avance pas assez rapidement. Il faut progresser étape par étape, avec une priorité sur l'éloignement des personnes déboutées", précise-t-il encore.
La politique de retour, c’est le cheval de bataille de Marc Bossuyt. Il a présidé la commission du même nom chargée d’analyser les pratiques et résultats de la Belgique en matière d’éloignement. Il en était ressorti un rapport acerbe, soulignant les défaillances de ce volet de la politique migratoire belge.
Renforcer la position européenne
" Le plus grand obstacle à l'éloignement concerne la non-coopération des pays d'origine, explique-t-il aujourd'hui. Sans accord de retour avec ces pays, il est tout simplement impossible de renvoyer une personne. Or, c'est précisément là que l'Union européenne permet d'avancer. Il faut donc exercer une certaine pression pour convaincre les pays d'origine de reprendre leurs citoyens déboutés en Belgique ou en Europe. Et si les Vingt-Sept s'y mettent ensemble, cela aura forcément plus de poids que chaque État de son côté ."
Et l'ancien commissaire de citer des pays tels que l'Algérie ou le Maroc. "Même lorsqu'il y a des accords de reprise, leur mise en œuvre demeure laborieuse. Les autorités du pays d'origine peinent à répondre, exprès, afin que la Belgique soit obligée de relâcher les personnes." En cause, la réticence de ces pays à réintégrer des personnes qui ont fui mais aussi les flux financiers que cette migration génère.
L'obstacle, pour certains pays, serait donc davantage politique. Pourtant, l'enfermement constitue la piste de solution privilégiée, comme en atteste l'annonce récente de l'ouverture de trois nouveaux centres fermés sur le territoire belge. Un mal nécessaire, selon Marc Bossuyt, même si le taux d'éloignement effectif des personnes enfermées diminue au fil des années. "Sans enfermement, pas d'éloignement forcé possible", résume-t-il. "Mais, idéalement, cet enfermement ne devrait durer que deux ou trois jours."
Pas de discrimination envers les non-Ukrainiens
Plus récemment, Marc Bossuyt publiait une carte blanche dans les colonnes du journal De Morgen à propos de l'accueil des réfugiés ukrainiens en Belgique. Et plus spécifiquement sur la comparaison entre les réfugiés ukrainiens et les autres demandeurs d'asile. Là aussi, l'ancien commissaire y voit l'écho d'une crise qu'il a connue alors.
"J'ai été confronté à une problématique similaire lors des guerres de Yougoslavie. Des personnes déplacées fuyant les combats arrivaient en Belgique et on se rendait compte qu'il était impossible de les renvoyer, se souvient-il. Il était donc inutile de les examiner dans le cadre de la chaîne classique de l'asile. On retrouve la même configuration avec les Ukrainiens. Les citoyens belges comprennent très bien cela. Ce n'est pas la même chose que les autres demandeurs d'asile qui ont traversé plusieurs pays sûrs et qui arrivent finalement en Belgique. Certains parlent de discrimination mais non, la situation est juste complètement différente ", affirme-t-il également.