Abattage rituel : "Ce qui se passe à Bruxelles est une régression"
L’interdiction de l’abattage sans étourdissement a été votée en 2017 en Wallonie. Des députés racontent.
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Publié le 11-06-2022 à 10h08
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Un résultat sans appel. Soixante-six votes pour, trois absentions, aucun vote contre. Le 17 mai 2017, le Parlement wallon adoptait sous les applaudissements un décret rendant obligatoire l'étourdissement des animaux avant leur abattage. L'article 2 du texte prévoyait une disposition particulière pour l'abattage dans le cadre des rites religieux : "Le procédé d'étourdissement doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l'animal". De quoi permettre de garder en théorie le caractère halal ou casher de la viande, cher aux musulmans et juifs.
Cinq ans plus tard, ce vote trouve un écho dans les travées du Parlement bruxellois, amené à se prononcer sur un texte similaire. "Je ne comprends vraiment pas" les tergiversations des élus bruxellois, déplore Josy Arens, pour Les Engagés (ex-CDH), qui fut à l'initiative du décret wallon avec sa collègue du MR, Christine Defraigne, sous la précédente législature. "Il est dommage que la pression des communautés l'emporte, se désole la libérale. N'oublions pas que le bien-être animal est inscrit dans les traités européens. Cela fait partie de nos valeurs. On est en train d'assister à une régression fondamentale."
Mercredi, la proposition d'ordonnance visant à interdire l'abattage sans étourdissement en Région bruxelloise a été rejetée en commission du Parlement. Il y a eu six votes favorables (MR, Défi, N-VA et Groen), six contre (PS, Vooruit, PTB) et trois abstentions (Écolo, Les Engagés). L'issue du vote décisif en séance plénière, vendredi prochain, est incertaine. La plupart des groupes politiques n'imposeront pas de consigne de vote. Les députés se compteront.
Inconstance francophone
Ce que l’on constate à ce stade, c’est qu’à part le MR, aucun des partis francophones n’a voté de la même manière en Wallonie et à Bruxelles… Côté flamand, les socialistes de Vooruit s’écartent aussi de la ligne imprimée par le président de parti, Conner Rousseau.
L'ancienne députée wallonne Christine Defraigne a l'impression d'assister à un débat sans fin. "C'est moi qui ai déposé en 2003 la première proposition, côté francophone, sur l'interdiction de l'abattage sans étourdissement. C'était encore au fédéral, avant la régionalisation de la compétence sur le bien-être animal. Beaucoup de gens étaient montés aux barricades pour dire qu'on s'en prenait à la liberté religieuse. Ce n'était pas du tout le cas. C'était une question de bien-être animal. Il y avait eu des auditions en commission. Je me souviens encore des tirs de barrage du PS et du CDH."
Il faudra attendre 2017, après la régionalisation, pour que le dossier avance au niveau du Parlement wallon sous l'impulsion du tandem Defraigne-Arens, avec l'appui de l'ancien ministre CDH Carlo Di Antonio. "On avait à nouveau procédé à des auditions. Cela faisait 14 ans que j'entendais la même chose. Il faut parfois être persévérant, sourit Mme Defraigne. On a réussi à fédérer autour de nous, même si certains au PS et chez Écolo ont soutenu le texte du bout des lèvres."
"Nous avions fait le forcing, se souvient Josy Arens. Je ne pensais pas que nous aurions une telle majorité parce que la pression des cultes était très forte, surtout du culte israélite, pour que le texte ne passe pas. Les évêques de Belgique avaient aussi apporté leur soutien aux juifs et musulmans. Mais ce n'était pas une opération contre les cultes. Je me battais contre la souffrance animale." D'ailleurs, celui qui est aujourd'hui député fédéral annonce que Les Engagés vont déposer à la Chambre une proposition de révision de la Constitution visant à "consacrer […] le bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles".
Liberté de vote des députés
En 2017, trois députés wallons s'étaient abstenus lors du vote. Les deux PTB, ainsi qu'Hélène Ryckmans, pour Écolo, alors que les autres écologistes soutenaient la proposition. À l'époque, elle avait dit défendre l'objectif du texte, mais son abstention exprimait le regret que les débats n'aient pas porté sur le bien-être animal de manière globale. "On s'était focalisés sur le seul moment de l'abattage, raconte-t-elle aujourd'hui. On aurait dû aussi se pencher sur la qualité de l'élevage, sur les conditions de transport, etc." Faute d'avoir suffisamment suivi les débats, Mme Ryckmans préfère ne pas commenter la situation en Région bruxelloise où plusieurs de ses collègues écologistes montrent peu d'enthousiasme envers la mesure. Elle rappelle simplement qu'il s'agit d'"une matière éthique dans laquelle il n'y a pas de consigne de vote".
Même remarque du côté de Josy Arens. "J'en ai encore parlé jeudi avec mon président, Maxime Prévot. L'interdiction de l'abattage sans étourdissement est quand même reprise dans notre nouveau manifeste ! Mais je sais que ce n'est pas facile pour un président d'imposer un vote à ses députés." Le verdict bruxellois est attendu vendredi.
Au PS wallon, "On a voté le texte pour des raisons éthiques"
Edmund Stoffels , ancien député wallon PS, avait cosigné le texte sur l'interdiction de l'abattage sans étourdissement, introduit par Josy Arens et Christine Defraigne. "Il y a eu des auditions, menées avec les communautés juive et musulmane. Nous avons aussi été attentifs aux revendications des sociétés de protection des animaux. Et j'ai proposé de cosigner le texte au nom du PS pour des raisons éthiques, se souvient M. Stoffels. Le résultat de ces débats, en Wallonie, c'est que le décret a été adopté en séance plénière par l'ensemble des partis (sauf le PTB, NdlR). Et tous les députés PS l'ont voté." Edmund Stoffels refuse de porter un jugement sur le travail mené par ses collègues socialistes au Parlement bruxellois. "Je suppose qu'au niveau de Bruxelles, il y a des communautés religieuses plus représentées et plus actives. Sur le plan socio-démographique, il y a des différences entre la Wallonie et Bruxelles. Mais pour les considérations éthiques, j'estime que ce n'est pas le nombre de personnes pour ou contre qui doit prédominer dans la décision. L'éthique doit se faire aussi par rapport à l'être vivant en général. On a compris que l'animal est autre chose qu'une machine, qu'il peut avoir peur, ressentir de la douleur. Cela a beaucoup changé la donne."