Voile dans l’administration: le Conseil d’État ne recale pas l’interdiction totale voulue par le MR mais veut des précisions
L’interdiction des signes convictionnels aux agents publics de la Région bruxelloise débattue en septembre.
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- Publié le 15-07-2022 à 20h43
- Mis à jour le 15-07-2022 à 20h46
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La question du port des signes convictionnels dans l’administration bruxelloise, et plus spécifiquement du voile, constitue un dossier fort épineux et qui divise la majorité bruxelloise. Alors que le vote sur l’abattage sans étourdissement a déjà fortement éprouvé l’entente entre partis, cet autre débat reprendra en force après les vacances au Parlement bruxellois.
La proposition d'ordonnance du MR visant "à assurer la neutralité et l'impartialité des agents de services publics de la Région de Bruxelles-Capitale et à interdire le port de signes convictionnels ostentatoire dans l'exercice de leurs fonctions" doit être débattue en septembre au Parlement bruxellois. Le PS et Écolo sont résolument contre. Le positionnement de Défi, membre de la même majorité mais en faveur d'une laïcité stricte, sera scruté.
Car cette proposition s’inscrit dans la suite d’une séquence commencée en mai 2021, lorsque le tribunal du travail de Bruxelles a condamné la Stib pour discrimination à l’égard d’une femme musulmane voilée.
Le comité de gestion de la Stib avait décidé de ne pas aller en appel de cette décision, imité par le gouvernement bruxellois, malgré la volonté initiale de Défi de s’y opposer.
PS, Écolo et Défi avaient péniblement trouvé un compromis : la neutralité exclusive doit rester la règle pour les fonctions d’autorité ou en contact avec le public, mais avec dérogations possibles pour les autres. C’est dans ce contexte que le MR a déposé une proposition visant, au contraire, à bétonner une interdiction généralisée.
Un débat sur la neutralité des services publics a ensuite eu lieu au Parlement bruxellois, dès février, avec l’audition d’experts.
Un avis du Conseil d'État relatif à cette proposition d'ordonnance du MR était attendu. La Libre a pu le consulter.
Deux points primordiaux en ressortent. Sur le premier, le Conseil d'État lève un doute et confirme que le Parlement bruxellois "est compétent" pour légiférer à ce sujet.
Le Conseil d’État demande des justifications
Sur le second, relatif au respect des droits fondamentaux, le Conseil d’État demande de pouvoir justifier pourquoi une interdiction identique est imposée à tous les membres du personnel, sans distinction entre les agents en contact avec le public et les autres.
Car cette interdiction générale met en jeu plusieurs libertés, dont celle de religion, ainsi que l’interdiction de la discrimination. Cela nécessite une proportionnalité et toute interdiction imposée de manière générale doit être dûment justifiée.
Sur ce point, la section législation du Conseil d'État n'a pas suivi le premier argument du MR, qui estimait que l'égalité de traitement devait être la règle. Ces juristes considèrent au contraire qu'une inégalité de traitement entre des catégories d'agents peut se justifier. Car le principe d'égalité interdit également que "des personnes se trouvant dans des situations différentes soient traitées de manière identique sans justification objective et raisonnable".
"Pas de discrimination disproportionnée"
En revanche, le Conseil d'État a globalement suivi les arguments des libéraux estimant qu'une interdiction générale pourrait se justifier si une réglementation différente selon les catégories de personnel pouvait impliquer des difficultés d'organisation. Ce point devra toutefois être démontré de "manière convaincante" dans la nouvelle mouture de son texte.
Reste que ces conclusions sont jugées très positives par les libéraux. "Le Conseil d'État confirme qu'il n'y a pas de discrimination disproportionnée. C'est un vrai feu vert" , pointe Alexia Bertrand, cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois. "Cet avis démontre qu'il est tout à fait acceptable juridiquement de réglementer le port de signes convictionnels dans la fonction publique. Contrairement à ce que certains experts ont laissé penser durant les auditions, ce n'est en rien une discrimination. C'est un choix politique. Cela s'inscrit dans le principe de neutralité qui découle de la Constitution."
L'arrêt du Conseil d'État formule toutefois des objections sur le texte du MR, lui demandant de préciser ce que comprend la notion "d'entités qui dépendent de la Région de Bruxelles-Capitale", pour définir précisément quels agents sont concernés.
Les mots "préjugés" et "stéréotype" devront être retirés du texte de loi, ces notions pouvant être source d'insécurité juridique.
Le voile interdit, la croix aussi
Le Conseil d'État a en outre réclamé que l'ordonnance ne puisse pas se référer à un signe "ostentatoire". C'est l'ensemble des signes convictionnels "visibles" qui devront être visés. En résumé, l'interdiction n'inclura pas seulement un voile islamique mais aussi une croix chrétienne discrète.
" La faiblesse argumentative du texte du MR, c'est qu'il considère que l'interdiction est juste une question de choix politique. Or, on ne fait pas ça juste parce qu'on veut le faire", objecte John Pitseys, chef de groupe Écolo, opposé à la proposition du MR. "Le Conseil d'État rappelle que la limitation des libertés, dans un État de droit, doit être nécessaire et proportionnée. La suite résidera pour le MR dans un travail de justification, que je serai curieux de voir."