Rajae Maouane : "On a peut-être sous-estimé la manière dont la voiture est utilisée dans les quartiers"
Rajae Maouane, coprésidente d’Écolo, revient sur les débuts de Good Move, le plan de mobilité lancé dans plusieurs communes bruxelloises. À Cureghem le Collège a dû faire marche arrière. Elle entend les critiques mais persiste sur le fond. "L’inaction climatique est criminelle."
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- Publié le 23-09-2022 à 06h32
- Mis à jour le 07-10-2022 à 17h24
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Rarement un dossier aura autant enflammé les débats entre citoyens et politiques en Région bruxelloise. Dans un climat proche de l'insurrection dans certains quartiers, Fabrice Cumps, bourgmestre d'Anderlecht, a proposé aux élus de la majorité (PS, Écolo-Groen, Les Engagés, Défi) de revenir sur la mise en place du plan régional de mobilité Good Move dans le quartier de Cureghem. Faut-il craindre la "contamination" aux autres communes qui devront appliquer le plan ? Rajae Maouane, coprésidente d'Écolo, veut jouer l'apaisement. Le parti ne passera pas en force.
Les peurs exprimées jusqu’ici émanaient d’un public de la deuxième couronne, fort motorisé. À Cureghem, un autre type de voix s’élève contre Good Move.
Cureghem est un quartier populaire dans lequel les partis traditionnels ont désinvesti depuis des années. Cureghem est délaissé par les politiques sociales. Je fais le tour, je connais bien les éducateurs de rue, ils sont seuls à travailler. Des problèmes de propreté s’ajoutent à des problèmes d’emploi, de formation, de pauvreté, de sécurité. Et on vient avec un plan qui, je peux le dire de manière transparente, n’a pas été construit de la manière la plus optimale. C’est normal qu’il y ait des résistances. Oui, la manière dont cela s’est fait n’est visiblement pas OK. Et donc, on va repartir avec les habitants pour coconstruire un nouveau plan, plus global et transversal.
Un stop au projet a été annoncé par la commune d’Anderlecht. Ce pourrait être un enterrement de première classe ? Revenir à la charge après sera compliqué.
Les objectifs de Good Move, c’est d’améliorer le cadre de vie des Bruxellois pour avoir des quartiers apaisés, une mobilité de transit qui diminue, une qualité de l’air qui augmente. À Cureghem ou ailleurs. Dans le Pentagone, ça se passe bien. À Schaerbeek aussi. Il y a des ajustements qui sont faits régulièrement. On est ouverts là-dessus. De la participation a été mise en place. À Anderlecht, des maladresses ont été commises. Et ça, on le remet nous-même en question. Quand on met des blocs de béton, la symbolique est désastreuse. Nous avons demandé à les retirer à Cureghem. Il faut quelque chose de plus esthétique.
Au-delà des blocs, on voit qu’il y a simplement pour certains l’envie de pouvoir rouler comme avant.
C’est impossible de contenter 100 % des habitants. Mais on ne va pas faire le bonheur des gens à leur place. Ce n’est pas la vision des écolos. Visiblement, ce plan n’a pas rencontré l’adhésion qu’on pensait. Et ça, on est d’accord pour l’admettre. Ce n’est pas un recul. Je précise que c’est tout le collège, dont le PS, qui a accepté et choisi de faire Good Move à Cureghem.
On a entendu des citoyens de Cureghem expliquer qu’ils avaient le sentiment que des bobos flamands imposaient un mode de vie aux locaux.
On entend ces critiques, et on propose des ajustements sérieux, une réadaptation du plan en coconstruction avec tous les habitants.
Dans le quartier maritime de Molenbeek, où vous vivez, un projet de filtre à voitures, inspiré de Good Move, a été stoppé. N’y a-t-il pas un rejet dans les quartiers populaires de cette philosophie Good Move ? Cela va-t-il se reproduire à Molenbeek, où il y a un grand projet dans le centre historique ?
Non. Ça n’a pas été le cas dans le Pentagone, qui est un quartier populaire aussi. Ni à Schaerbeek, autre quartier populaire, ni à Forest… Dans les quartiers populaires, 50 % des ménages n’ont pas de voiture.
Oui mais les gens en font souvent un usage familial.
Good Move n’est pas un plan anti-bagnoles ! Pour le projet à Molenbeek, le problème n’est pas tant la décision prise que la manière. Ce qui a été reproché, c’est d’avoir reçu un courrier absolument pas clair de Catherine Moureaux (bourgmestre) et Abdellah Achaoui (échevin des travaux) au milieu des vacances. La moitié des gens ne l’avait pas vu.
Si on ne me prévient pas d’un changement dans ma rue mais qu’il me convient, je ne vais pas m’en plaindre.
Le changement fait peur et c’est normal. On doit expliquer pourquoi on le fait. Il faut rappeler aussi que ce projet n’est pas neuf. Il a été lancé par le gouvernement précédent et on l’a amélioré.
Il y a eu une contestation qui était vraiment très violente dans ce dossier, avec des menaces envers des décideurs.
Il y a une instrumentalisation de la part de certains partis. Il faut du calme. Toute la classe politique doit pouvoir dire qu’on n’accepte pas ces méthodes d’intimidations, de menaces. On est déjà dans un contexte où la fatigue démocratique est énorme. Je ne vais pas capitaliser sur la colère, et envoyer les gens faire une manif le vendredi. C’est facile de rester au balcon et d’attiser la colère mais c’est très dangereux. Notre responsabilité est de trouver des solutions.
À Bruxelles, Écolo est pris en étau entre un MR qui a un discours sur la voiture souvent lié au commerce, à l’économie, et un discours du PTB, qui dit que le vélo est un truc de bobos. Comment vous sortir de ça ?
C’est quand même incroyable que PS, PTB et MR se retrouvent sur la défense de la voiture ! Nous ne sommes pas dans l’optique d’éliminer la bagnole et de mettre des vélos partout. II y a des mamans qui ont trois enfants dans trois écoles différentes et doivent travailler. Faire tous ces trajets en transports en commun n’est pas possible. Et donc, c’est pour ces personnes aussi qu’on veut libérer les choix de mobilité. J’en ai marre qu’on oppose climat et social, espaces verts et logements, les modes de transport. L’inaction climatique est criminelle.
Est-ce qu’Écolo, et d’autres, n’ont pas sous estimé l’attachement à la voiture dans ces quartiers-là ?
Pas que dans ces quartiers-là. On a peut-être sous-estimé la manière dont la voiture est utilisée dans les quartiers, avec une façon sociale et communautaire de l’utiliser. Les gens sont aussi attachés à leur liberté et donc, ont l’impression qu’on l’entrave. C’est là que peut-être on a péché par manque de clarté : on ne veut pas entraver, on veut libérer les choix de mobilité. Dans certaines populations à Uccle ou à Molenbeek, la voiture est un signe de réussite sociale, de statut. Certaines personnes plus âgées de mon entourage ne comprennent pas que je n’ai pas de voiture, pas de chauffeur alors que je suis coprésidente de parti. C’est moins évident pour les anciennes générations.
"Je ne laisserai plus passer les outrances de Bouchez"
Une partie des socialistes bruxellois tapent dur sur Écolo et se placent en défenseurs de la voiture dans les quartiers.
Mais est-ce que c’est ça l’expression de l’écosocialisme ? J’entends toujours Magnette, Dermine et Dermagne s’en réclamer…
C’est du "greenwashing", l’écosocialisme ?
Je me pose la question. On ne peut pas me taxer, moi, d’être une bobo déconnectée de la réalité des quartiers populaires. Ce n’est pas crédible.
Il est question, selon ce qui remonte de l’interne au parti, d’une stratégie plus offensive chez Écolo en réaction aux attaques de partis comme le MR et le PS ? En interne, certains estiment qu’Écolo ne rend pas assez les coups.
C'est vrai qu'on est constructifs et loyaux aux accords de majorité. Puis, il y a un parti, le parti de Georges-Louis Bouchez, qui a décidé de rompre avec cette tradition, de ne pas respecter les accords pris. Ce n'est pas ma façon de faire, je n'ai pas envie de faire du Georges-Louis Bouchez. Je n'ai pas envie de détériorer la qualité du débat public, de rompre le cordon sanitaire. Nous sommes à un moment où les gens ont besoin de voir les résultats des politiques menées. Mais quand on veut prendre des décisions fortes, à chaque fois, un parti bloque : c'est le MR de Georges-Louis Bouchez. Quand tous les partis du gouvernement disent : "On va taxer les surprofits pour reprendre l'argent et le réinjecter dans les ménages", il y a un parti qui bloque, c'est celui de Georges-Louis Bouchez. Quand on dit : "On veut taxer et interdire les jets privés" - mais qui utilise ça franchement ? -, un parti bloque, le MR de Georges-Louis Bouchez. Il y a un frein permanent à tout progrès, c'est le parti de Georges-Louis Bouchez. Il faut pouvoir le dire. Moi, je n'ai pas envie de faire ça.
La stratégie, c’est donc de laisser couler ou de réagir à chaque attaque ?
Non, c’est d’apporter des réponses concrètes et adéquates aux questions des gens. Après, en termes de communication, on peut ajuster bien sûr. J’ai décidé de ne plus laisser passer les outrances de Georges-Louis Bouchez.
Il y a donc une volonté de répondre.
S’il y a des outrances, il faut répondre. Nous ne sommes pas là pour faire de la figuration, on n’est pas Bambi ! Il faut arrêter… Mais détériorer la qualité du débat public pour le plaisir de le faire, c’est non. Écolo est un élément de stabilisation du gouvernement. Nous sommes un parti qui travaille sur la cohésion gouvernementale et ça, il faut le souligner également.