Selon un P.-V. secret, la Commission européenne est “extrêmement préoccupée” par la réforme belge des pensions
Suite à une rencontre avec les experts de la Commission européenne, en décembre, le Premier ministre avait repris l’initiative dans le dossier épineux de la réforme des pensions.
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Publié le 28-01-2023 à 07h07 - Mis à jour le 30-01-2023 à 11h55
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Une rencontre discrète a eu lieu le 5 décembre dernier au Berlaymont. Elle réunissait des experts de la Commission européenne, les collaborateurs d’Alexander De Croo (Open VLD), du cabinet de Thomas Dermine (PS), secrétaire d’État à la Relance et du cabinet de Karine Lalieux (PS), la ministre des Pensions. Avec les ministres eux-mêmes.
Cette réunion avec les instances européennes visait à faire le point sur l’état d’avancement de la réforme des retraites. Ce dossier est très sensible pour le gouvernement fédéral. En discussion actuellement, il est possible que la valse-hésitation actuelle sur ce thème soit le grain de sable qui viendra gripper la machine européenne de la relance économique. En effet, la Commission conditionne l’octroi de ses aides (une première tranche de 850 millions d’euros) à une série de réformes structurelles.
Une commission très “inquiète”
Selon la note rédigée par le cabinet du Premier ministre suite à la discussion avec la Commission, la Belgique est encore plus dans le collimateur européen qu’on ne le pensait…. “Les services de la commission sont extrêmement préoccupés par la situation actuelle”, en vue du premier versement des fonds promis à la Belgique (à réaliser au plus tard pour le 13 janvier, mais ce délai initial a été prolongé), eu égard à l’état d’avancement de la réforme des pensions. Une autre réunion, cette fois entre autorités belges (entre cabinets Alexander De Croo, Frank Vandenbroucke, Karine Lalieux et Thomas Dermine) eut lieu le 12 janvier, essentiellement pour tenter de circonscrire les enjeux chiffrés des mesures sur la table.

Toujours selon ce "PV", la Commission pointe plusieurs dérapages budgétaires dans les décisions de l’actuel gouvernement fédéral. Les mesures décidées lors de la mise en place de la majorité Vivaldi (notamment le relèvement de la pension minimum) détériorent les perspectives budgétaires belges à concurrence de 0,9 % du PIB et les mesures décidées lors du deal “pensions” de juillet 2022 vont “coûter” l’équivalent de 0,3 % du PIB. Au total, le dérapage s’élève donc à 1,2 % du PIB.
Ce n’est pas anodin puisque cela représente l’effort total de réduction du déficit structurel prévu par la Vivaldi sur l’ensemble de la législature. Et encore élude-t-on ici les réserves sur les mesures “énergie”, notamment la baisse pour tous de la TVA sur le gaz et l’électricité à 6 %. “Pas assez ciblée”, nous dit une source européenne. Bref, les services de la commission “ne voient donc pas comment les objectifs seront rencontrés” par les autorités belges, relève encore le procès-verbal de la réunion du 12 décembre.
Des réformes, en plus d’un peu d’orthodoxie budgétaire
Les experts européens estiment qu’il reste encore beaucoup à faire pour que l’impact global de ces réformes reste dans les clous à l’égard de l’équilibre des finances publiques (avec, comme référence, les projections budgétaires établies en 2019). Surtout après l’étude du Bureau fédéral du Plan publiée ce jeudi à la demande du ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V). Cet audit évalue l’effort de réduction du déficit avec le nouveau cadre budgétaire européen en gestation à… plus de 20 milliards sur 4 ans pour que la dette de la Belgique soit soutenable. Pas rien…
Mais revenons-en aux pensions. Rapidement, suite à cette rencontre de décembre, Alexander De Croo a formulé une série de propositions visant à limiter les dégâts…. Le Premier ministre a tenté de reprendre en main le dossier en élaborant sa propre note “pensions” sans concertation avec le PS, partenaire de coalition détenant pourtant ce portefeuille ministériel. Cette initiative du “16” avait (re) mis le feu aux poudres dans une matière qui divise la Vivaldi depuis sa mise en place il y a plus de deux ans.
Note “De Croo-Vandenbroucke”
Parmi les propositions du Premier ministre, on trouve notamment la révision de la péréquation de la pension des fonctionnaires (un tabou pour le PS), la non-exécution de la 4e tranche de la revalorisation de la pension minium prévue au 1er janvier 2024, la suppression des âges préférentiels à la SNCB et pour les militaires… Mais c’est surtout, parmi les options possibles, l’accès à la pension anticipée qui d’après nos sources cristallise le plus les tensions au sein de la Vivaldi. Ce qui n’étonnera personne puisque l’accès à la pension minimum avait déjà suscité énormément de tensions l’année dernière. Ici, la mesure d’accès à la pension anticipée serait conditionnée, comme La Libre le révélait déjà la semaine dernière, à l’exercice d’environ 5 000 jours de travail effectifs – la note de départ évoque 20 X 208 jours -, soit entre 15 et 20 ans de carrière. Ce n’est pas rien. Pour le PS, il faut cependant tenir compte notamment des discriminations sur le marché du travail (de genre, et de revenus, les personnes aux rétributions plus modestes ayant une espérance de vie bien plus faible que celles à revenus plus élevés.) Une période de transition (jusque 2024) serait prévue, cependant.
La note De Croo, que plusieurs sources nomment “note De Croo-Vandenbroucke” (ministre des Affaires sociales Vooruit, et ancien ministre des Pensions) – ce qui montre les différences sur ce dossier entre socialistes francophones et flamands – fera l’objet de vives passes d’armes… quand celles sur la réforme des accises se seront calmées. L’objectif, d’après nos sources, est d’arriver sur le dossier des pensions à réduire le coût de manière structurelle de près de 1 % du PIB.