Crucke chez les “calottins”
Le seul libéral à s’être opposé à Bouchez de manière ouverte sera toujours bleu, mais bleu turquoise, la couleur des Engagés.
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- Publié le 09-02-2023 à 13h34
- Mis à jour le 09-02-2023 à 15h18
Si on lui avait dit, en 2019, lorsqu’il rempila comme ministre wallon, qu’en cours de législature, le libéral qu’il est allait acter son transfert chez ceux qu’il appelle souvent “les calottins”, il aurait ri, mais ri. Certes le CDH s’est mué en Les Engagés, et a revu de fond en comble son projet politique, il n’empêche que ceux qu’il affublait, à l’époque, de ce surnom très laïcard, sont toujours là. Il vient donc de franchir le point de non-retour – même si, avec son tempérament, on ne sait jamais – et a quitté un parti dont le libéralisme lui était chevillé au corps depuis sa rencontre avec Jean Gol qu’il était venu chahuter, à l’ULB, avec un groupuscule d’anarchistes libertaires auquel il appartenait à l’époque. Flamand francophone (originaire de Renaix) devenu wallon de conviction, il vit à Frasnes-lez-Anvaing (Wallonie picarde) où il cartonne à chaque scrutin communal.
Après avoir siégé longtemps dans l’opposition au Parlement wallon, Jean-Luc Crucke est devenu ministre en 2017, après que son futur parti eut bouté le PS hors de l’Élysette. Crucke s’épanouit comme ministre, il “adore ça”, confie-t-il à l’époque. Il rempilera après le scrutin de 2019, lorsque le MR est enfin accepté à la table des négociations par le PS et Écolo qui avaient tout fait pour s’en passer.
Faute de partenaires plus à gauche que les libéraux pour les suivre, socialistes et verts avaient donc convolé avec le MR. En se pinçant le nez ? Pas tant que cela. Pendant les tractations dites du “Coquelicot” où Paul Magnette, Elio Di Rupo (pour le PS) et Jean-Marc Nollet (pour Écolo) tentaient de convaincre le PTB (pour rire) et le CDH (faute d’autre choix) de les rejoindre dans une majorité, Crucke maintenait le contact et jouait les sous-marins. Dans un hôtel namurois, il rencontrait discrètement les socialistes et les écologistes.
”Les députés lisent les décrets maintenant ?”
Et lorsque le gouvernement Di Rupo fut porté sur les fonts baptismaux, Crucke est nommé au Budget. À ce moment-là, il a préféré le mandat de ministre à celui de président du MR, comme beaucoup d’autres. Malgré des compétences ministérielles moins visibles que celles de son collègue de parti Willy Borsus, Jean-Luc Crucke est comme un coq en pâte au sein du gouvernement. Le Covid et les inondations qui creusent la dette wallonne le mettent au premier plan. Celui qui tient déliés les cordons de la bourse wallonne s’évertue aussi à trouver des moyens pour combler le trou budgétaire en annonçant à ses collègues qu’ils devront faire des économies.
Et puis c’est l’incident. Avec sa mini-réforme fiscale dont certains aspects ne plaisent pas à son propre camp, il fait, en commission du Budget, des déclarations qui laissent tout le monde pantois. La crise couve au sein du gouvernement wallon. Les ministres MR loyaux à leur exécutif d’un côté, le président Bouchez, son chef de cabinet Axel Miller et le groupe MR du Parlement wallon, de l’autre. Il faut dire que lors d’une réunion avec les députés wallons, perfide, Jean-Luc Crucke avait lâché : “Les députés lisent les décrets maintenant ?” Le texte passera quand même, le gouvernement évitera la crise et peu après, Jean-Luc Crucke, démissionnera de son mandat ministériel pour retourner siéger comme député. On l’annonce à la Cour constitutionnelle dans six mois où le MR dispose d’un mandat à renouveler. Sa carrière politique se dirige vers la fin.
Il renonce à la Cour constitutionnelle
Mais c’est Crucke, alors il fait volte-face. Quelques mois plus tard, il annonce à son président qu’il renonce à la Cour, qu’il continuera à siéger au Parlement wallon, qu’il sera candidat lors du prochain scrutin et que c’est comme ça et pas autrement.
Entre Bouchez et Crucke, l’amour est mort depuis longtemps. S’il avait soutenu le jeune montois aux dents longues lorsque celui-ci briguait la succession de Charles Michel à la présidence du MR, il ne peut désormais plus le saquer. Il déclarait d’ailleurs dans La Libre en septembre 2021 que “c’est très libéral de pouvoir avoir des différences. Nous ne sommes pas dans un parti unique où, quand le grand timonier a parlé, les autres doivent se taire”.
Plus tard, il dénoncera aussi le caractère “trumpien” de son président. Celui-ci aurait bien voulu le dégager mais il s’est abstenu, refusant d’en faire un martyr. Lundi encore, c’est à Willy Borsus que Crucke s’en prenait, l’accusant d’avoir manqué un “rendez-vous avec l’histoire” dans le dossier de la Boucle du Hainaut. Une dernière saillie contre son parti sous la bannière MR.
Jean-Luc Crucke est donc parti tout seul, dégoûté d’être le seul a osé dire tout haut ce que beaucoup au MR disent – très souvent – tout bas à propos de leur président twittophile. Il avait deux choix. Défi, un autre parti libéral, proche de ses valeurs sans doute, mais trop faible en Wallonie, et Les Engagés. Gageons qu’il évitera désormais d’évoquer ces fameux “calottins” avec lesquels il avait tant de mal à travailler par le passé.