Un député wallon, en mission pour l'APF, prolonge son séjour à Tahiti: à quoi servent les voyages de nos élus en Polynésie, à Bali ou à Dubai?
Le séjour sur place, prévu pour deux jours, a duré une semaine. "À mes frais, vous accepterez que je fais encore ce que je veux !”, retorque Jean-Paul Wahl (MR), au sujet de cette mission de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Dans le même temps, le PTB dépose un texte qui prévoit un contrôle accru et une plus grande transparence sur les coûts et les objectifs de ces voyages parlementaires.
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Publié le 09-02-2023 à 06h41 - Mis à jour le 09-02-2023 à 07h52
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La Libre s’est penchée en janvier sur les discrets voyages des députés, membres de la section belge de l’APF (Assemblée parlementaire de la francophonie) qui les mènent dans des destinations telles que Bali, Monaco, le Rwanda, le Québec ou encore Tahiti.
La section belge de cet organe de diplomatie parlementaire international qui promeut la francophonie, est dirigée par un bureau qui se compose de 13 députés, issus de plusieurs parlements du pays.
Ce jeudi, le PTB a déposé, au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles mais aussi au Parlement wallon, la même proposition de modification de règlement visant à mieux encadrer les missions à l’étranger des parlementaires. Le texte prévoit un contrôle accru et une plus grande transparence sur les coûts et les objectifs, mais aussi de supprimer la possibilité de voler en business, de limiter le coût des nuitées, ou encore de mettre fin “aux indemnités de séjour”. Le texte a cependant toutes les chances d’être rejeté par la majorité.
À Tahiti, en business, pour une semaine
Ce déficit de transparence sur les objectifs a pourtant pu encore être constaté cette semaine, lorsque Jean-Paul Wahl (MR, vice-président de l’APF international) s’est rendu à Tahiti, à l’invitation de l’Assemblée de Polynésie française, pour participer au bureau international de l’APF. En juillet 2022, sa collègue François Schepmans (MR) s’était déjà rendue sur place dans le cadre d’une réunion du Réseau des femmes.
"Dans le contexte actuel, j’aurais préféré partir à Luxembourg."
”Tahiti n’est certainement pas le lieu qui m’enthousiasmait le plus, dans le contexte actuel. J’aurais préféré partir à Luxembourg. Mais si aucun Belge n’y va, c’est insultant pour le pays hôte”, nous indique Jean-Paul Wahl, précisant être parti seul “car Mathieu Daele (Ecolo) et Jean-Charles Luperto (PS) ont décliné”.
La réunion officielle était programmée du 30 au 31 janvier 2023, à Papeete. Le chef de groupe MR au Parlement de Wallonie a toutefois prolongé son séjour pour ne revenir en Belgique que le 6 février. “La délégation tahitienne avait proposé dès novembre un programme optionnel intéressant sur la manière dont ils utilisent l’océan pour faire un système climatisation”, ajoute Jean-Paul Wahl qui assure avoir réglé lui-même les coûts liés à prolongation de ce séjour (hôtel, restaurant).
Le coût total de la mission n’est pas encore connu. Il comprend au minimum les frais d’hôtel et un vol aller et retour pour Tahiti en business (Ndlr : entre 5 000 et 6 000 euros selon les tarifs affichés par Air France). “Si je n’avais pas voyagé en business, j’aurais payé la différence moi-même car c’est 25 heures d’avion… Pour le coût, je dois encore faire le décompte de ce qui me sera remboursé et des dépenses que l’on considère comme privées”, reprend l’ancien bourgmestre de Jodoigne.
”Quand un fonctionnaire me demande de prolonger, je refuse. Mais un parlementaire qui prolonge, c’est son affaire. Et il prolonge à ses frais”, souligne Viviane Gérard, secrétaire administrative de l’APF.
Selon le site de l’APF international, la réunion a notamment permis de fixer les orientations pour son prochain cadre stratégique 2023-2027. Jean-Paul Wahl se montre toutefois peu bavard sur le contenu de la mission, et en particulier sur celui du programme optionnel. “L’objet principal, c’était la réunion du bureau, qui est arrivée à trancher certaines choses, mais vous comprendrez que je réserve la primauté du contenu de ma mission aux membres de ma section.” Une rencontre avec le président de la Polynésie français a également eu lieu.
Et à ceux qui seraient tentés de penser qu’il a prolongé le séjour pour profiter de la beauté de ce lieu enchanteur, il rétorque. “À mes frais, vous accepterez que je fais encore ce que je veux !”
L’image renvoyée par ce séjour prolongé en Tahiti n’est pas optimale. Sur les réseaux, Rudi Demotte (PS), président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a toutefois souligné le fait que la diplomatie parlementaire “permet aussi aux autorités politiques que sont les assemblées d’aborder des sujets parfois très sensibles qui ne peuvent l’être directement entre des exécutifs”.
”Trois éléments intéressants, un problématique”
”Il y a beaucoup de grandes organisations internationales qui ont un organe interparlementaire, analyse Tanguy de Wilde d’Estmael (UCLouvain), professeur de relations internationales. L’OIF et l’APF se rendent là où francophonie existe ou veut exister. Le cadre n’a rien de scandaleux ni d’original.” Et de poursuivre: “Si on regarde vraiment le travail de l’APF, il y a trois points intéressants et un problématique.” Le professeur cite parmi les points “intéressants” la promotion de la langue française, la collaboration interparlementaire et la promotion de l’état de droit et de la démocratie. Sur la question de l’utilité, Tanguy de Wilde se montre prudent. “De manière générale, et pas seulement pour l’APF, le travail interparlementaire n’est pas fort mis en exergue… Je rappelle également qu’un collaborateur de l’APF, Geoffrey Dieudonné, a été tué dans un hôtel à Bamako, en mission. Ça mérite notre respect.”
Tanguy de Wilde d’Estmael considère toutefois comme potentiellement “problématique” le fait “de lancer des résolutions sur tous les aspects des pays de la francophonie. Cela peut être un problème diplomatique pour des pays qui sont en retrait, comme le Mali ou le Burkina Faso, et ont un problème avec la France, donc avec la francophonie.”
”On doit mieux communiquer”
Bien plus que le fond du travail effectué, c’est toutefois le manque de transparence qui peut être épinglé. Des élus représentent ainsi la Belgique francophone sans chercher à faire écho de leur travail auprès de leurs électeurs. Car cette mission à Tahiti n’a fait l’objet d’aucune communication en dehors d’une mention sur le site de l’APF international. “Oui, c’est vrai. Mais quand on a organisé un évènement international – l’assemblée générale à Bruxelles -, pas un seul journaliste ne s’y est intéressé”, rétorque Jean-Paul Wahl qui reconnaît toutefois que la section belge de l’APF “doit communiquer mieux sur l’opportunité et le coût de missions, à l’APF, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi dans les autres assemblées". "Il faut désamorcer cette impression désagréable de déplacements dont on ne voit pas très bien l’utilité.”