La modération d’Ecolo face à l’approche gramscienne de Bouchez et aux sorties du PS : ce que révèle le dossier “masters” sur la stratégie des partis
Le feuilleton des masters en médecine est révélateur : les verts, bien que très engagés en faveur de l’UMons et de l’UNamur, ont crié moins fort que le PS. Cette relative discrétion figure dans l’ADN d’Écolo mais le parti doit en aussi payer le prix : celui d’une moindre visibilité à court terme.
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Publié le 29-03-2023 à 06h37 - Mis à jour le 29-03-2023 à 07h07
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Après le match, la poussière retombe. Le gouvernement Jeholet a trouvé un compromis dans le dossier des masters en médecine. L’UMons aura sa faculté complète et l’UNamur pourra organiser un cycle de spécialisation en médecine générale. Lorsqu’on la regarde dans le rétroviseur, cette séquence, qui a failli entraîner la chute de la coalition PS-MR-Écolo au pouvoir en Fédération Wallonie-Bruxelles, se lit surtout comme une confrontation entre les socialistes et les libéraux. Le président du PS, Paul Magnette, a bousculé le jeu en se déclarant prêt à troquer le MR de Georges-Louis Bouchez contre Les Engagés.
Cette rivalité entre bleus et rouges a eu tendance à éclipser médiatiquement les verts. Eux aussi, pourtant, étaient en faveur des nouveaux cursus proposés par les universités. Mais ils l’ont fait savoir d’une manière moins sonore que le PS. Pourquoi cette modération ? Pourquoi le parti de Rajae Maouane et de Jean-Marc Nollet ne rentre-t-il pas davantage dans la confrontation publique ?
L’approche “gramscienne” de Bouchez
”On voit bien que les approches du PS, du MR et d’Écolo sont différentes, décode Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Magnette a montré ces jours-ci qu’il voulait faire respecter certaines lignes rouges, il a mis en garde. Georges-Louis Bouchez, lui, est omniprésent : il fonctionne selon une approche gramscienne (Antonio Gramsci était un intellectuel marxiste italien prônant, pour prendre le pouvoir, la conquête de l’opinion publique, NdlR). Il est dans la bataille culturelle et essaie d’influencer les esprits. Chez Écolo, il y a un choix déjà ancien qui a été posé : nous, les écolos, nous ne voulons pas participer à tout ça. Le parti a la conviction qu’il vaut mieux fonctionner par quelques sorties médiatiques bien calibrées et qui ont du contenu. Au-delà de la stratégie d’Écolo, il faut aussi s’interroger sur le fait que journaux sont tentés d'accorder plus d’attention aux clashs.”
Écolo, en effet, n’a pas d’intérêt direct à entrer dans le jeu classique de la polarisation autour du PS et du MR. Crier plus fort que les autres n’est pas considéré par les verts comme pouvant payer sur le long terme. Multiplier les conflits ouverts ne figure pas dans l’ADN d’une formation issue des mouvements pacifistes, environnementalistes et féministes des années septante. L’électorat de base des verts recherche plutôt un débat de qualité. Historiquement, le parti s’est construit sur la base d’une exigence éthique démocratique forte. Les coprésidents ou les ministres qui confondraient systématiquement la politique avec un ring de boxe se feraient démolir par les militants. Les assemblées générales des verts se transforment parfois en catharsis qui font des victimes parmi leurs représentants…
Éviter l’inféodation
Sur le plan tactique, Écolo doit aussi veiller à ne pas paraître comme inféodé au PS. Vingt ans après, l’épisode du “pôle des gauches” entre les socialistes et les écologistes résonne toujours douloureusement chez les verts. Alors que Paul Magnette était prêt à “débrancher la prise” du gouvernement Jeholet (et du gouvernement wallon, dirigé par Elio Di Rupo) s’il n’obtenait pas satisfaction dans le dossier des masters, Écolo n’a pas renchéri médiatiquement. Il s’agissait aussi d’éviter le suivisme, quitte à laisser les socialistes incarner l’opposition à la ligne prônée par la ministre de l’Enseignement supérieur, la libérale Valérie Glatigny. “Nous avions le sentiment qu’un compromis était atteignable, explique un informateur écolo, et nous ne voulions pas le compromettre en ajoutant de l’huile sur le feu.”
Pour régler les différends inhérents à la vie gouvernementale, les verts appuient moins volontiers que leurs partenaires sur le bouton de la polémique étalée au grand jour. Au fédéral, les premiers mois de la Vivaldi en ont donné un exemple frappant. Face à la grève de la faim des “sans papiers” réfugiés au sein de l’église du Béguinage à Bruxelles, les ministres PS et Écolo avaient fait part au Premier ministre de la possibilité d’une démission collective si l’un des migrants venait à mourir. Les verts pensaient faire pression discrètement sur Alexander De Croo…. mais ont découvert que les socialistes avaient fait “fuiter” leur menace dans la presse. Au sein de la gauche vivaldienne, le PS avait pris le leadership dans cette crise. Les verts ont dû confirmer par après que leurs ministres démissionneraient également en cas de décès d’un gréviste de la faim.
”Ne pas casser le lien entre les citoyens et la politique”
Au sein du parti écologiste, on concède que cette attitude prudente dans les médias peut donner une image moins coriace du parti. Mais il faut nuancer : “Cette modération et le refus d’entrer dans le jeu des invectives n’empêchent pas les prises de position inflexibles et cash d’Écolo dans les gouvernements, assure une source “verte”. Par exemple, dans le dossier récent de la crise de l’asile, les choses ont été dites avec fermeté à De Croo. Il faut distinguer la pure communication et le fonctionnement interne des coalitions gouvernementales, des négociations entre présidents de parti. Tout cela est aussi lié à notre vision de la démocratie : il ne faut pas casser encore un peu plus le lien entre citoyens et la politique en privilégiant le clash.”