Les propos de De Croo sur le climat font jaser: “La disparition des insectes menace l’espèce humaine mais il doit avoir d’autres priorités...”
De nombreuses espèces déclinent à un rythme vertigineux. Et alors qu’une nouvelle forme de pesticide est actuellement testée en Europe, les déclarations du Premier ministre, appelant à une “pause” de la législation européenne sur la nature, font bondir les climatologues.
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Publié le 24-05-2023 à 12h36 - Mis à jour le 24-05-2023 à 13h18
Les propos du Premier Ministre ont provoqué un véritable tollé. Comme d’autres dirigeants européens, Alexander De Croo s’est dit favorable à une “pause” en matière de législation européenne sur le climat.
Pour le Premier, il convient en effet de ne pas “surcharger” la législation en renforçant les normes en matière d’azote, de restauration de la nature et de biodiversité, en plus des objectifs concernant les émissions de CO2. “N’allons pas trop loin avec des choses qui, au sens strict, n’ont rien à voir avec le réchauffement climatique. Ces autres sujets sont aussi importants, mais elles doivent être davantage phasées dans le temps”, a-t-il indiqué mardi soir dans l’émission Terzake de la VRT.
D’après lui, cette “législation” aurait plusieurs conséquences néfastes, notamment le fait que l’industrie ne pourrait plus suivre, et les objectifs de réduction de CO2 ne seront pas atteints, prédit M. De Croo. Pourtant, la disparition d’espèces, notamment chez les insectes, s’accélère à un rythme vertigineux et nous menace directement.
”C’est un discours en décalage avec la réalité”
”La réalité, c’est qu’en trente ans, 75 % des insectes ont déjà disparu, entraînant avec eux une chute vertigineuse d’oiseaux, et leur disparition aura un impact très clair sur notre quotidien, alerte Frédéric Francis, professeur en entomologie à la faculté de sciences agronomiques de Gembloux. C’est vraiment très interpellant et même déplacé comme déclaration quand on sait que le torchon brûle au niveau climatique, il y a vraiment un décalage avec la réalité. On ne peut pas se targuer de dire que l’on met au frigo notre engagement au niveau de la biodiversité, même si on est conscient qu’il y a un équilibre à trouver avec les activités économiques et l’industrie. Je crois que quand on parle de cette transition écologique au pluriel, il est important d’agir sur plusieurs fronts, dans l’optique de maximiser la protection de la nature et de la biodiversité. Quand on sait que la disparition des insectes menace directement notre espèce, on peut se demander quelles sont les priorités de notre Premier Ministre".
Sans certaines espèces, il n’y aurait même plus de chocolat"
Récemment, un consortium international de plus de 70 scientifiques a d’ailleurs publié un article sonnant l’alarme sur les menaces du dérèglement climatique sur les insectes, piliers du bon fonctionnement des écosystèmes. Ils expliquent notamment que si aucune mesure n’est prise, nous réduirons considérablement et définitivement notre capacité à construire un avenir durable basé sur des écosystèmes sains et fonctionnels.
“Dans le monde, on est à 1,2 million d’espèces d’insectes mais on estime qu’il y en aurait 5 à 6 fois plus, souligne-t-il. Toutefois, ce total est en train de diminuer d’années en années. D’après plusieurs études européennes, on estime qu’en 25 ans, il y a eu une chute de 70 % du nombre d’insectes en termes d’abondance. Des chercheurs américains évoquent une baisse de 2 % par an, ce qui signifie que si rien ne change d’ici 50 ou 100 ans, on sera sur un déclin quasi total. Maintenant, il faut nuancer ces chiffres étant donné que toutes les espèces ne sont pas reprises dans les études. En général, on se concentre sur les familles de papillons, d’abeilles et de libellules, ce qui signifie qu’il y a aussi des disparitions qui sont mal renseignées”.
Chez nous, il y aurait plus de 20.000 espèces d’insectes. Mais depuis des années, ce total s’effondre.
Aujourd'hui, c’est toute la chaîne alimentaire qui est menacée"
”Sans insectes, plus d’oiseaux, plus de fleurs, plus de lait de vache et plus de vaches tout court”, alertait récemment dans les pages du journal Libération le biologiste britannique Dave Goulson, l’un des 20 000 scientifiques qui avaient signé “l’avertissement à l’humanité” publié dans la revue Bioscience en 2017 sur les dangers des atteintes à la biodiversité. Il est revenu à la charge avec un livre événement, Terre silencieuse, qui vient de paraître en français. “3 à 5 % de la production mondiale de fruits, légumes et noix sont perdus dans le monde à cause de la baisse du nombre de pollinisateurs, menant à une surmortalité de 427 000 personnes par an, a-t-il notamment expliqué. Sans certaines espèces, il n’y aurait même plus de chocolat, plus d’oiseaux, plus de fleurs, plus de lait de vache et plus de vaches tout court, il n’y aurait plus de rien de bon en fait. La raison ? Ils constituent le maillon essentiel de notre chaîne alimentaire. C’est un scénario apocalyptique mais qui devient tragiquement réel”.
Le changement climatique menace aussi les insectes
Les insectes jouent en effet un rôle essentiel dans la sauvegarde des écosystèmes. Leur fonction la plus connue reste celle de pollinisateur mais c’est loin d’être la seule. Ils jouent un rôle de décomposeur au niveau de la matière organique (en particulier les feuilles mortes tombées au sol), et la transforment en matière minérale.
Ils sont également la première source de nourriture pour la plupart des oiseaux et certains petits mammifères. “Ils ont aussi un rôle de régulateur de la croissance des plantes, rappelle Frédéric Francis. Moins d’insectes, c’est donc une baisse de notre biodiversité. Il y a une pyramide qui fait que si un étage disparaît peu à peu, c’est toute la chaîne alimentaire qui est menacée. Leur rôle est assez méconnu mais primordial. Leur présence est aussi un très bon indicateur de la qualité de l’environnement”.
Une étude publiée dans la revue Biological Conservation a révélé que près de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin dans le monde entier. Le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture indique également que la population d’insectes pollinisateurs, tels que les abeilles, a diminué de 20 % dans le monde entier au cours des deux dernières décennies.
”Malgré cela, on poursuit sans pression les pratiques agricoles les plus agressives (comme les insecticides) qui rendent la vie de plus en plus difficile aux insectes réputés comme “nuisibles” mais aussi aux pollinisateurs et aux espèces essentielles. L’urbanisation, le manque de zone naturelle et la pollution sont aussi des causes qui expliquent cette problématique. Avec l’agriculture intensive et l’industrie, on réduit la biodiversité de manière générale”, conclut le professeur en entomologie.