"Le confédéralisme de la N-VA est d’une clarté totale, je félicite Bart De Wever”
À l’occasion de la sortie de son “Dictionnaire constitutionnel”, l’ancien sénateur Francis Delpérée analyse le positionnement des nationalistes flamands.
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- Publié le 30-05-2023 à 09h13
- Mis à jour le 30-05-2023 à 09h52
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Il en plaisante lui-même. Le droit constitutionnel, il est tombé dedans quand il était petit. Avec un père fonctionnaire qui a contribué à mettre en place “le système de sécurité sociale”, “on parlait de l’État, de l’administration, de la reconstruction du pays après la guerre, de sécurité sociale et de concertation sociale, ou encore de la question royale… Quand je suis arrivé à l’université, en droit constitutionnel, on mettait un peu d’ordre dans mes connaissances, mais on me parlait de ce que je connaissais déjà.”
Francis Delpérée, 81 ans, a dédié sa vie professionnelle – et même un peu plus – au droit constitutionnel. Professeur émérite à l’UCLouvain, ancien député et sénateur CDH (devenu Les Engagés), il publie un “Dictionnaire constitutionnel” (aux Éditions Larcier). Des centaines de mots qu’il contient, retenons-en au moins deux qui résonnent avec l’actualité.
À la lettre “s” : Sénat. La présidente du Sénat, Stephanie D’Hose (Open VLD), vient d’annoncer qu’elle préparait un texte visant à supprimer l’assemblée. “Je suis assez surpris de voir la présidente d’une assemblée parlementaire en demander la disparition, ironise M. Delpérée. Le 14 mars 2022, j’ai été invité au Sénat avec trois autres professeurs et nous avons tous plaidé pour le maintien du bicamérisme”, donc de deux chambres législatives (Chambre des représentants et Sénat). “La présidente nous a entendus. Son positionnement, c’est du cinéma.”
Le Sénat ou ce qu’il en reste
Le constitutionnaliste reconnaît que les compétences du Sénat se sont réduites comme une peau de chagrin au gré des réformes de l’État. “Il ne fait plus la loi, plus le budget, plus les traités internationaux, il ne contrôle plus le gouvernement. Il est évident qu’un Sénat tel que celui-là, on n’en voit pas la réelle utilité. Mais on peut le transformer.”
”J’ai été sénateur pendant dix ans et, à côté d’une assemblée comme la Chambre qui travaille dans la fièvre politique, on a pu travailler dans la durée sur une série de dossiers. J’ai toujours estimé que le Sénat pourrait se spécialiser dans les dossiers internationaux”, plaide-t-il. Et puis, la Haute assemblée reste compétente en matière de réforme de l’État, ce qui, en Belgique, n’est pas une mince affaire.

À la lettre “c” à présent : confédéralisme ou confédération d’États. Le confédéralisme, un parti en fait sa marotte en Belgique : la N-VA.
”Une confédération, replace Francis Delpérée, est une union entre plusieurs États souverains et indépendants qui décident de passer entre eux un traité international dans lequel ils vont définir leur coopération dans un certain nombre de domaines. La Suisse, les États-Unis, le Canada ont d’abord été une confédération d’États qui s’est ensuite transformée en fédération. L’union s’est renforcée, les États ont abandonné leur souveraineté et ont formé un État fédéral.”
Mouvement centrifuge
Il s’agit donc d’un mouvement centripète, alors qu’en Belgique, le confédéralisme évoque un mouvement centrifuge, un renforcement des pouvoirs des entités fédérées aux dépens du pouvoir central. Cette utilisation à la belge du terme confédéralisme est donc impropre. Sauf dans le chef de la N-VA, souligne M. Delpérée.
On veut faire croire aux francophones que ce confédéralisme ne va finalement pas très loin. Mais lisez ce qu'écrit la N-VA.
”Le texte de la N-VA qui définit le confédéralisme, rappelle-t-il, est celui adopté au congrès d’Anvers de février 2014. Il faut relire ce document. On ne trouve plus la notion d’État belge. Toutes les compétences appartiennent à la Wallonie et à la Flandre, avec un statut particulier pour Bruxelles et les germanophones. Et les deux nouveaux États, Wallonie et Flandre, concluent un traité international – un “grondverdrag”, un traité fondamental – pour régler leurs relations. C’est clair !”
”Je félicite Bart De Wever (président de la N-VA) parce que lui, au moins, il est clair. On veut faire croire aux francophones que ce confédéralisme ne va finalement pas très loin. Mais lisez le document. La N-VA est d’une clarté totale. C’est tout à fait du confédéralisme. La N-VA utilise le terme à bon escient.”
La voie juridique qui n’existe pas
Cela dit, pour concrétiser ce confédéralisme, des majorités spéciales au parlement fédéral sont indispensables. Or Bart De Wever sait qu’il sera très difficile, si pas impossible, de les réunir après les élections de 2024. D’où sa proposition d’opérer par la voie “extralégale”.
À la lettre “e” du Dictionnaire constitutionnel, pas de trace des mots “extralégal” ou “extra-légalité”. Alors Francis Delpérée émet des hypothèses. “Bart De Wever pense peut-être à une formule qu’on a utilisée dans les années 60. On avait deux ministres nationaux de l’éducation nationale. La matière était dédoublée. Et dix ans plus tard, on créait les communautés.” Rebelote lors de la préparation de la régionalisation dans les années 70. Quant au suffrage universel masculin, il a été adopté en 1919 dans un contexte juridique qui normalement ne le permettait pas – de manière “inconstitutionnelle”, dit M. Delpérée.
”Le propos de Bart De Wever reste néanmoins ambigu, conclut-il. D’un côté, il demande de faire preuve d’imagination pour débloquer la situation. De l’autre, il laisse entendre qu’il se fout de la loi et de la Constitution.”