”Le président de la N-VA disait lui-même en 2002 que l’histoire ne se canonise pas. Il a changé d’avis”
Le “canon flamand”, très N-VA d’allure, est-il une source historiographique sûre ? L’avis de Marc Boone, historien, ancien doyen de la faculté philosophie et lettres de l’université de Gand.
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- Publié le 02-06-2023 à 06h43
- Mis à jour le 02-06-2023 à 06h51
L’historien Marc Boone (UGent) porte un regard avisé sur “De Canon van Vlaanderen” (www. canonvanvlaanderen.be), voulu par la N-VA et répertoriant – sans être exhaustif – les faits significatifs, les grands hommes, les repères chronologiques de l’histoire de la Flandre depuis la préhistoire jusqu’à aujourd’hui. Il estime que ce travail tient la route. Mais qu’il y avait d’autres moyens de parler de sa propre histoire.
Certains disent que le “Canon van Vlaanderen” est un catalogue culturel vu à travers le prisme nationaliste. Qu’en pensez-vous ?
J’ai parcouru l’ouvrage qui est sorti. Je n’ai pas été surpris. Bien sûr, on aurait pu choisir d’autres thématiques. Notre histoire le permet, elle est riche et variée. Toutefois, je pense que ce qui a été retenu tient parfaitement la route. Je partage l’avis de Bruno De Wever (professeur à l’UGent, NdlR) qui relève qu’environ la moitié des “fenêtres” sur l’histoire de la Flandre étaient de grands classiques qui ont marqué notre passé : Reynaert De Vos, la bataille des Éperons d’Or, Hendrik Conscience, le Pacte Social, la caserne Dossin, la frontière linguistique… Ce canon flamand, très N-VA d’allure, prend bel et bien la forme d’une bible culturelle et idéologique qui sent le nationalisme à plein nez, même s’il est porté par les trois partis de la majorité flamande.
Dresser un catalogue, forcément subjectif, des faits marquants de notre histoire, est-ce une bonne méthode pour mieux comprendre le passé ?
Certains de mes collègues et moi-même avons émis des réserves quant au principe de canoniser l’histoire. Du point de vue pédagogique, ce n’est pas la méthode idéale. Les Hollandais et les Danois ont fait la même chose. Ces deux pays ont eux aussi dressé un inventaire de leur passé. Or on constate qu’aux Pays-Bas, le “Canon van Nederland” ne fait pas l’unanimité. Il est même fort critiqué. Pour coller à la société d’aujourd’hui et à la pensée “woke”, plusieurs modifications ont été apportées au canon néerlandais.
L’idée de rédiger un “canon flamand” a bel et bien mûri au sein de la N-VA…
Oui, c’est Theo Francken (député N-VA à la Chambre, NdlR) qui a lancé l’idée lors de son discours du 11 juillet 2019 où il parlait notamment de la voie à suivre pour “construire la nation flamande dont nous tirons une juste fierté”. L’élu de Lubbeek a tweeté le soir même de la présentation du canon flamand (le 9 mai dernier, NdlR) qu’il était lui-même à l’origine de l’initiative. Francken revendique clairement la paternité intellectuelle du projet qui, pour la N-VA, a pour mission d’édifier une Flandre identitaire et autonome dans un contexte européen. L’important, pour les nationalistes, était de présenter une Flandre fière de son passé glorieux et de ses racines historiques. La série télévisée “Het Verhaal van Vlaanderen”, (diffusée en début d’année sur la chaîne publique VRT, NdlR) avait le même objectif. Bart De Wever l’a rappelé en marge du congrès de la N-VA le 14 mai : “Il ne faut pas attendre que la Flandre proclame son indépendance comme la Catalogne l’a fait. Mais il faut que les esprits mûrissent pour faire accepter l’idée d’une Flandre confédérale”.
Un débat de fond sur la question serait l’occasion de mieux comprendre les arguments des uns et des autres comme le souhaite le ministre-président flamand Jan Jambon ?
Oui, bien sûr, et je dirais même que ce débat a pour objectif de contribuer à forger ce discours flamand. En réalité, il sert la cause nationaliste. Ce n’est pas par hasard qu’il sort aujourd’hui, à un an des élections…
Le “Canon van Vlaanderen” est-il un récit crédible, renforce-t-il ou affaiblit-il la société flamande ?
Le récit est crédible. Le canon nourrira incontestablement le débat identitaire. Ce serait bien évidemment une bonne chose que le grand public puisse à cette occasion mieux comprendre son propre passé et, le cas échéant, s’exprimer sur son propre passé. Mais on aurait pu s’y prendre autrement en valorisant, par exemple, les cours d’histoire dans les écoles. Or, aujourd’hui on diminue les heures des cours d’histoire, il faudrait faire le contraire… Les Hollandais ont fait la même chose. La boutade de Bruno De Wever me semble refléter la vérité : “Le canon flamand ouvre des fenêtres mais en même temps, il ferme des portes”.
Peut-on “canoniser” l’histoire ?
Je ne le pense pas. Et je ne suis pas le seul à le dire. Le président de la N-VA Bart De Wever, historien lui aussi, a dit en 2002 : “L’histoire ne se canonise pas”. Selon lui, ce n’est pas aux autorités d’imposer ce que nous devons apprendre, connaître ou retenir de notre histoire. Le président de la N-VA avait affirmé cela à l’issue des travaux de la commission d’enquête parlementaire (2000 à 2001) sur l’assassinat de Patrice Lumumba où la Belgique avait été mise en cause. Aujourd’hui, il a changé d’avis, il ne dit plus la même chose.