Catherine Fonck: "Ce qui s'est passé à la Chambre m’a marquée, une véritable dérive"
Les députés de la majorité ne se risquent quasiment jamais à contredire les décisions du gouvernement fédéral, déplore la cheffe de groupe Les Engagés à la Chambre.
- Publié le 01-09-2023 à 07h47
- Mis à jour le 01-09-2023 à 10h30
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Catherine Fonck est un nom notable du paysage politique belge. Devenue députée fédérale pour la première fois en 2003, l’élue d’abord sous bannière cdH ensuite sous pavillon Les Engagés a été ministre par deux fois (entre 2004 et 2009 à la Communauté française, et durant quelques mois en 2014 au fédéral). Le 1er juillet, la cheffe de groupe Engagés à la Chambre a surpris tout le monde en annonçant qu’elle allait quitter la politique en 2024.
Ça ne va pas vous manquer le Parlement ?
”Je reste passionnée par la chose publique. La politique peut le meilleur, mais elle peut aussi le pire et je ne peux plus accepter ce pire. C’est pas possible cette paralysie permanente. Parfois, vous entendez tous les partis dire la même chose avec un socle commun très large. Puis ils se disputent et in fine, il n’y a rien qui bouge. Ils préfèrent tout bloquer. Je ne peux plus cautionner cette forme de politique.”
Avez-vous un exemple de ce blocage permanent ? Y a-t-il une séquence qui vous a particulièrement marquée durant cette législature ?
”Ce qui m’a le plus marquée, c’est l’instrumentalisation de la Chambre pendant la période du Covid. C’était dans les moments les plus difficiles de la pandémie. Toutes les semaines, c’était le même scénario. Les partis qui faisaient partie du comité de concertation, ces partis du fédéral et des entités fédérées qui sont tous représentés à la Chambre, jouaient dans la surenchère. Les présidents de parti annonçaient qu’ils voulaient rouvrir les secteurs alors que tout le monde savait, compte tenu de l’évolution de la pandémie, que ce n’était pas possible.”
On était dans la posture politique ?
”On vivait un moment de crise extrêmement important sur le plan sociétal. Un confinement, c’est le pire de ce qu’on peut faire, même si c’était justifié pour des raisons médicales. Et pendant ce temps, à la Chambre, on était dans un jeu purement politique. C’était de la mise en scène pour tenter d’être à chaque fois les premiers à dire qu’on allait rouvrir et pour avoir leur trophée. Une telle instrumentalisation de la Chambre par les partis politiques et par les présidents de partis, cela m’a marquée. On a assisté à une véritable dérive de la particratie. C’est un vrai souci.”
Avez-vous un autre exemple plus récent de cette particratie à l’œuvre ?
”La réforme fiscale. Quand un compromis doit se faire sur le plan politique, dans un gouvernement, ce n’est jamais facile. Avant la Vivaldi, j’ai vécu deux législatures où les partis valorisaient l’accord obtenu. Ils valorisaient le compromis en fonction de ce qui les arrangeait le mieux. Ils mettaient en évidence les résultats qu’ils avaient obtenus. Sous cette législature, c’est le contraire. Ils mettent en avant ce que les autres n’ont pas obtenu. Ils veulent surtout valoriser le fait d’avoir flingué les autres partis.”

Qui décide aujourd’hui ?
”Il y a 150 députés à la Chambre. Mais ceux qui décident dans ce pays aujourd’hui, ce ne sont pas les 150 députés, c’est quinze personnes. À savoir le Premier ministre, les vices premiers et les présidents des partis qui sont dans la majorité fédérale. Il y a une espèce de concentration du pouvoir décisionnel complet autour de quinze personnes.”
Parce que les députés de la majorité n’osent pas contredire le gouvernement ?
”Cela m’est arrivé à plusieurs reprises. La majorité ne veut rien voter de l’opposition. Il m’est arrivé de faire des propositions de loi qui ont été refusées par la majorité. C’étaient des propositions qui ne coûtaient rien. Ensuite, des députés de la majorité terriblement gênés venaient me dire, soit dans les couloirs, soit même par SMS, qu’ils étaient d’accord avec mon texte. Ils préfèrent empêcher un autre parti d’avancer plutôt que de se dire ensemble, on va faire progresser le dossier. Alors, je sais que l’on est dans une démocratie représentative. Les députés sont là pour représenter leur parti. Je ne suis pas naïve, je connais un peu les règles. Pour que ça puisse fonctionner dans une majorité, forcément il faut que les partis travaillent ensemble. Mais les choses vont aujourd’hui beaucoup, beaucoup, beaucoup trop loin. Il y a des dérives beaucoup trop importantes. Et ça mine la démocratie de l’intérieur.”
Avez-vous un exemple de dossier qui a été victime de ce mécanisme ?
”J’avais déposé une proposition de loi par rapport aux femmes qui optent pour la fécondation in vitro. Ce sont des parcours personnels très difficiles qui comportent des situations d’échec de grossesse. Notre texte soulignait l’importance d’avoir un système de protection de ces femmes pour leur permettre de continuer à travailler tout en ayant ces parcours de traitements de fécondation in vitro. Quasiment tous les partis de la majorité sont venus me dire qu’ils étaient d’accord, mais que voilà, voici, etc. Et alors ils demandent des avis, des avis et des avis sur les avis qu’on a commandés. Et on refait un deuxième tour quand tous les avis qui rentrent sont positifs. Et puis on a des auditions et des demandes d’avis bidon pour gagner du temps, pour empêcher d’avancer sur les textes…”
À chaque fois que vous proposez de cosigner un texte, c’est peine perdue ?
”J’ai réussi à faire reconnaître la problématique des cancers de l’ovaire suite à des contacts avec l’amiante. Les personnes concernées n’étaient pas prises en compte et ne pouvaient pas bénéficier du fonds d’indemnisation de l’amiante. Et ça a été très compliqué. Pour finir, on a pu y arriver. Ce n’était que des femmes. Peut-être arrivent-elles à se détacher de la logique purement particratique ? Mais mon texte n’a pu, in fine, être validé qu’après être monté au kern (conseil des ministres restreints, NdlR). Il a dû y avoir plusieurs discussions en intercabinet et puis au kern pour que dans l’aval, les députés puissent bouger. C’est un vrai souci.”