Les sept chantiers du gouvernement De Croo avant les élections
Nucléaire, Ukraine, présidence de l’Union européenne, budget… L’exécutif fédéral doit faire atterrir quelques dossiers majeurs d’ici le méga-scrutin de 2024, mais aucune politique nouvelle de grande envergure n’est attendue.
- Publié le 01-09-2023 à 06h39
- Mis à jour le 01-09-2023 à 13h22
On sait déjà ce que le gouvernement fédéral ne fera pas dans la dernière ligne droite qui nous mène au méga-scrutin du 9 juin 2024 (élections européennes, fédérales et régionales). Sauf énorme surprise, il n’y aura ni réforme fiscale ni profonde réforme des pensions.
Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) en personne s’est dit peu enthousiaste à l’idée de remettre la réforme fiscale sur le métier, alors que les négociations de l’été s’étaient soldées par un échec. “Concentrons-nous sur la trajectoire budgétaire, c’est la priorité numéro un”, a-t-il déclaré mardi. “Peut-il y avoir d’autres choses ? Je ne vais évidemment pas dire non par avance, mais la réforme fiscale n’a pas été possible en juillet dans notre cadre budgétaire. [Ce cadre budgétaire] reste le même. Je ne pense donc pas que nous ayons besoin de dépenser beaucoup d’énergie à cela”, disait-il malgré l’appel des écologistes à rouvrir la discussion.
L'essentiel des forces vives politiques sera jeté dans la (pré)campagne électorale, qui va monter en intensité dans les prochaines semaines.
Concernant les pensions, le gouvernement attend d’ici la fin de l’année une étude des partenaires sociaux sur la pérennité à long terme de notre système de retraites. Mais au-delà des quelques mesures déjà prises, notamment sur le bonus pension, le gouvernement renverra le débat à la prochaine législature.
En phase d’atterrissage
Aucune nouvelle politique d’envergure n’est donc attendue d’ici les élections générales. L’essentiel des forces vives politiques sera jeté dans la (pré) campagne électorale, qui va monter en intensité dans les prochaines semaines.
La principale échéance gouvernementale, c’est le budget 2024, qui doit être bouclé pour la mi-octobre. L’une ou l’autre mesure en faveur du pouvoir d’achat n’est pas à exclure. Le gouvernement se concentrera aussi sur la présidence tournante de l’Union européenne, que la Belgique assumera au premier semestre 2024. Pour le reste, il s’agira d’assurer le suivi des dossiers déjà en cours, en particulier la conclusion de l’accord sur le nucléaire avec Engie, l’aide à l’Ukraine, la préparation d’une réforme de l’État, la lutte contre le trafic de drogue, ou encore l’accueil des demandeurs d’asile.
1. Budget : la dernière quête
La conception du budget 2024 ne sera pas de tout repos. Même si le dernier rapport des experts du Comité de monitoring, en juillet, a un peu adouci l’éclat “rouge vif” de nos finances publiques, le défi sera de taille. D’abord, tous niveaux de pouvoirs confondus, on reste au-dessus des 3 % du PIB de déficit autorisé par la Commission européenne, qui pourra reprendre son bâton l’an prochain en cas de “mauvaise trajectoire budgétaire”, pour le dire simplement. L’an prochain en effet, la clause dérogatoire qui donnait une certaine latitude budgétaire aux États-membres sera levée. Les dépenses publiques courantes seront donc scrutées avec beaucoup d’attention. Le gouvernement, en mars, s’est engagé à réduire son déficit de 0,6 % du PIB chaque année. Pour 2024, il faudra donc encore aller chercher 1,2 milliard d’euros. Cela étant, cette trajectoire s’écarte davantage du droit chemin après… l’année d’élections. Le déficit public est attendu dès 2025 aux alentours de 5 % du PIB, comme en 2026 ou 2027. Forcément, cela n’est pas sans effet sur l’endettement public, qui croît d’autant plus que la charge d’intérêts s’alourdit, avec la hausse des taux. Dès 2025, la dette publique s’approchera de nouveau des 110 % du PIB. À politique constante, évidemment. Ce sera tout l’enjeu des discussions budgétaires, où viendront peut-être se greffer l’une ou l’autre mesure fiscale – mais le ministre des Finances Vincent Van Peteghem n’est cependant pas chaud pour continue à dépecer sa réforme.
2. Nucléaire : finaliser l’accord
Engie et la Vivaldi se sont déjà mis d’accord sur la prolongation de Doel 4 et Tihange 3, pour une période de dix ans. En juillet dernier, les deux parties avaient signé un document liant, qui doit encore être complété d’ici la fin octobre. “Les discussions avec Engie ont repris après une courte pause estivale, explique la porte-parole de la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen). Il faut encore rédiger et signer le document final de transaction, qui devrait avoir l’épaisseur d’un bottin”.
Ce document, une fois validé par Engie et le gouvernement, devra être soumis à la Commission européenne. L’aval européen est attendu pour le printemps 2024. L’objectif d’un redémarrage de Doel 4 et Tihange 3 pour l’hiver 2025-2026 a été confirmé par Engie et la Vivaldi.
Pour respecter ce délai, qui paraît très court, Engie devra avoir terminé une série de travaux de modernisation de ses réacteurs. Avant cela, l’énergéticien devra s’être mis d’accord avec l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) sur la liste de travaux à effectuer. Certains travaux pourront être reportés après 2025.
3. Crise de l’accueil : l’absence de solution
Le dossier migratoire empoisonne les relations au sein de la Vivaldi depuis le début du gouvernement De Croo. Et cela ne s’arrange pas. La Belgique compte désormais plus de 8000 condamnations pour défaut d’accueil… Mardi, Nicole de Moor (CD&V), la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, a remis ce douloureux dossier à l’agenda : les hommes seuls qui ont introduit une demande de protection internationale n’auront plus accès au réseau d’accueil de manière temporaire (mais pour une durée indéterminée). La chrétienne-démocrate affirme avoir pris cette mesure afin de garder des places d’accueil disponibles pour les familles et les enfants cet hiver. Au sein de la coalition fédérale, l’aile gauche a du mal à digérer cette décision non concertée. Un kern (qui réunit les poids lourds du gouvernement) devrait aborder la question ce vendredi. En coulisses, on soupçonne Nicole de Moor de durcir quelque peu sa ligne car les élections approchent. Le CD&V a-t-il voulu donner le change face à la N-VA et au Vlaams Belang qui, tous les jours, dénoncent le “laxisme” de la Vivaldi sur l’asile ?
4. Aide à l’Ukraine : les fonds de tiroirs
Selon un bilan du gouvernement datant de la mi-mai, la Belgique a apporté un soutien à l’Ukraine équivalant à 92 millions d’euros, dont la moitié en matériel militaire, depuis le début de l’invasion russe en février 2022.
Cela dit, la marge de manœuvre du gouvernement est très limitée. La Défense a déjà donné aux forces ukrainiennes à peu près tout ce qu’elle pouvait provenant de ses stocks. “On est à la limite”, dit-on à l’état-major. Les stocks ne peuvent être davantage vidés sous peine de mettre en péril le bon fonctionnement de l’armée belge.
La Défense poursuit tout de même la livraison de ses vieux camions Volvo et de ses 4x4 de type Lynx à mesure que ceux-ci sont remplacés. Pour le reste, la Belgique doit directement acheter du matériel neuf à l’industrie pour l’envoyer ensuite en Ukraine.
La livraison de F-16 reste une question lancinante. Côté belge, on estime que l’ensemble de la flotte de 53 F-16 est nécessaire à la sécurité du pays. Une aide a en revanche été proposée pour la formation des pilotes et l’entretien des appareils qui seront fournis.
5. Union européenne : la présidence finale
La Vivaldi devra regarder au-delà de son seul son seul nombril : du 1er janvier au 30 juin 2024, la Belgique occupera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Durant cette période, elle pilotera les travaux dans les dix formations du Conseil (Économie et Finances, Agriculture, Environnement, Justice et Affaires intérieures, etc.), qui seront présidées (à l’exception du Conseil Affaires étrangères) par des ministres belges, fédéraux ou des entités fédérées. C’est à la Belgique qui reviendra la tâche de favoriser la conclusion de compromis entre les Vingt-sept sur les propositions de la Commission européenne. C’est également elle qui négociera, au nom du Conseil, avec le Parlement européen, en vue de l’adoption de textes législatifs. Il reste du lourd au menu : plusieurs éléments du pacte migratoire et divers textes du Green deal doivent encore atterrir, de même que la réforme du marché de l’électricité. Sans oublier la gestion de l’imprévu.
Le monde politique, la diplomatie et les administrations belges sont rodés à l’exercice, auxquels ils se livrent pour la treizième fois – la dernière présidence remonte au deuxième semestre 2010. Il comportera cependant deux difficultés. 1) Il s’agit d’une présidence de fin de législature européenne. Même si elle est étalée sur six mois, l’essentiel du travail devra être accompli d’ici fin avril, avant l’ouverture de la campagne pour les élections européennes de juin. 2) Les élections, justement, seront dans toutes les têtes, et en Belgique encore un peu plus qu’ailleurs.
6. Sécurité : chasser les stups
Bien que la problématique soit avant tout bruxelloise, la situation sécuritaire dans et autour de la gare Bruxelles-Midi est devenue fédérale. La ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), ne s’est pas rendue sur place, le 26 août, uniquement pour être photographiée auprès des policiers. L’objectif était, aussi, de démontrer que les doléances des Bruxellois touchent la Vivaldi. Toutefois, la ministre a bien d’autres missions à faire aboutir avant la fin de la législature. On pense notamment à l’attractivité de la police, institution qui manque furieusement d’effectifs, alors que les tâches confiées aux forces de l’ordre, elles, se multiplient. C’est, par exemple, le cas dans la “guerre contre la drogue”, qui occupe aussi le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD). Si ce dernier a bien avancé dans ses plans visant à rendre la justice “plus rapide, plus ferme, plus humaine”, il reste au libéral un fameux chapitre à faire aboutir : la loi sur l’autonomie de gestion. L’objectif est de permettre au monde judiciaire d’être plus indépendant du politique. Sauf que la méthode ne convainc pas la magistrature, qui fait front depuis de nombreux mois. Et qui profitera de cette année électorale pour continuer à batailler.
7. Réforme de l’État : service minimum
Le gouvernement s’est assigné la tâche de préparer une septième réforme de l’État, à concrétiser après les élections de 2024. L’ambition : moderniser l’État. Mais, jusqu’ici, il y a surtout eu de l’occupationnel…
Une commission parlementaire a procédé à l’évaluation des précédentes réformes institutionnelles, mais sans rendre de conclusions ou recommandations. Une consultation a été lancée en ligne pour solliciter l’avis des citoyens sur l’avenir du pays. Mais, à nouveau, elle n’a encore abouti à aucune conclusion ou recommandation concrète. Ce travail-là pourrait avoir lieu au Parlement dans les semaines à venir. À voir.
Seule certitude à ce stade, il existe un consensus au gouvernement pour permettre la révision de cinq articles de la Constitution au cours de la prochaine législature. Deux sont des articles techniques. Deux permettent de fixer un délai pour la formation du gouvernement. Enfin, il y a l’article 195, qui définit les modalités de révision de la Constitution. En pratique, la révision de cet article permet de tout faire sur le plan institutionnel durant la prochaine législature.