Pascal Smet: "Moi, je ne suis pas comme les autres. J’ai changé Bruxelles"
Près de trois mois après son départ du gouvernement bruxellois, Pascal Smet revient sur l’Irangate et les évènements qui ont mené à sa démission.
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- Publié le 09-09-2023 à 07h08
- Mis à jour le 09-09-2023 à 13h58
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Pascal Smet (Vooruit) a démissionné en juin de son poste au sein du gouvernement bruxellois, dans la tourmente de l’Irangate. L’ex-secrétaire d’État à l’Urbanisme et aux Relations Internationales avait effectué une demande de visa pour permettre la venue d’une délégation iranienne, comprenant le maire ultra-conservateur de Téhéran, au Brussels Urban Summit.
L’affaire a également failli coûter son poste à la ministre fédérale Hadja Lahbib (MR), dont les services ont délivré les visas.
Vous êtes resté très discret depuis deux mois et demi, après votre démission. Comment allez-vous ?
Je pense qu’il était nécessaire de prendre un peu de recul. Mais je vais très bien, j’ai passé quelques semaines en Espagne. C’est la première fois depuis 25 ans que je peux prendre des vacances plus longues, sans être dérangé. Le chapitre, pour moi, est presque fermé parce que j’ai pris moi-même la décision de démissionner. Personne ne m’a demandé de partir.
Votre démission a surpris (NdlR : il l’avait justifiée par la faute d’un collaborateur qui avait autorisé que deux bourgmestres iraniens et un bourgmestre russe logent à Bruxelles, aux frais de la Région). On ne l’attendait pas aussi vite, voire pas du tout.
Je sais. C’est bizarre de le dire soi-même. Mais moi, je ne suis pas comme les autres. L’intégrité, dans la politique, a pour moi toujours été très importante. Si vous la perdez en politique, vous ne récupérez pas. J’ai toujours pris mes responsabilités, c’est la première raison de ma démission. Et je savais aussi qu’en démissionnant la vérité allait sortir. Et elle est sortie : moi, je n’ai fait aucune faute ! J’ai simplement demandé au Fédéral, par un coup de téléphone de trois minutes – un seul ! – à la ministre Hadja Lahbib (MR) de traiter des demandes de visas. En précisant que si une délégation politique n’était pas acceptable, il y ait au moins une délégation administrative de Téhéran.
N’avez-vous pas commis une erreur en relançant la ministre alors qu’un avis négatif avait été remis ?
Je n’ai pas relancé, j’ai simplement fait une seule demande à la ministre (NdlR : après l’avis négatif). Après cela, nous n’avons plus fait de démarches. Par la suite, c’est le cabinet de la ministre Lahbib qui a pris contact avec nous. Et ils l’ont avoué : ce sont eux qui ont délivré les visas, au final. À la base, la demande d’invitation de la délégation iranienne émane d’organisations internationales (NdlR : Metropolis, qui organise l’une des conférences du Brussels Urban Summit), pas de nous. Au départ, j’étais moi-même dans un réflexe purement belge, disant que ça n’allait pas d’inviter cette délégation. Les organisations internationales m’ont dit “Non, Bruxelles est une ville internationale, diplomatique, comme New York, Vienne, Genève, tu es obligé de recevoir des gens avec qui tu n’es pas d’accord”. Je suis entré dans cette logique. Mais dans le cadre belge, l’évaluation finale et politique de l’opportunité d’accepter des gens, c’est le Fédéral. Et moi, je suis un fédéraliste. Pendant des années j’ai géré l’Asile et la Migration en Belgique (comme Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides). J’ai même sauvé la tête d’un ministre MR, Antoine Duquesne.
Vous dites ne pas avoir commis d’erreur mais, politiquement, vous avez tout de même fortement sous-estimé l’impact de la venue du maire ultra-conservateur de Téhéran. Certains ont même jugé que vous aviez été perdu par votre ego.
C’est ridicule de dire ça. Je travaille pour Bruxelles, pas pour moi. Le congrès a été un succès énorme. Mais j’ai été un peu naïf. Parce que je ne suis pas devenu un être cynique, même après 20 ans en politique.
À refaire, vous inviteriez quand même ce maire ?
À refaire, je ferais différemment. J’aurais demandé l’avis du gouvernement bruxellois, avant. Et j’aurais été beaucoup plus clair avec le fédéral.
Hadja Lahbib aurait-elle dû, elle, démissionner ?
Elle a fait son choix. Mais les gens ont bien compris qui a pris la bonne décision, et qui ne l’a pas prise. Je suis sur le plan personnel très déçu par la manière dont elle a traité le sujet.
David Leisterh (président du MR bruxellois) a, parmi les premiers, pointé la venue de la délégation de Téhéran à Bruxelles. Le MR a voulu votre tête ?
Ils ne s’attendaient pas à ce que je démissionne, donc non. J’ai tourné la page et je ne suis pas amer.
N’êtes-vous pas déçu du manque de soutien de certains membres du gouvernement bruxellois ?
Les seuls qui étaient dubitatifs, au gouvernement bruxellois, c’était Écolo-Groen. Même si Alain Maron m’a dit, après coup, qu’il ne voulait pas ma démission. Pour le reste, le soutien du PS, de Rudi Vervoort, d’Ahmed Laaouej et de Philippe Close, a été énorme. Sven Gatz (Open VLD), aussi, et même Défi m’ont applaudi au Parlement. Il y avait une envie de certains de m’abîmer, sans doute. Mais si j’avais voulu rester, je serais resté. La réaction des gens montre que j’ai pris la bonne décision. Partout dans Bruxelles les gens m’arrêtent et me remercient pour tout le travail que j’ai accompli en Mobilité, Travaux publics et Espaces publics. Ils me disent : “Tu n’es pas comme les autres, tu as bossé ces 20 dernières années, tu as changé la ville, tu as eu un apport énorme”.
Vous estimez avoir changé Bruxelles ?
J’ai changé la ville ! Même mes ennemis le reconnaissent. Mon action politique, et tout le changement vers une mentalité urbaine qu’on a impulsée à Bruxelles, a porté ses fruits. La seconde consolation, c’est que les gens me félicitent pour mon courage. Et me disent : “Ce n’est pas toi, mais l’autre qui aurait dû démissionner”. J’ai pris la bonne décision. Oui, j’aurais voulu terminer mes dossiers… Mais Ans Persoons est là. On est amis depuis 20 ans et je sais qu’elle fera bien le travail.
Il se disait au gouvernement bruxellois que Pascal Smet, après l’affaire Uber, avait déjà décidé d’arrêter en 2024.
Accessoirement, j’en avais un peu ras-le-bol, c’est vrai. Après 20 ans dans la politique, je n’avais pas envie de m’accrocher, je ne vais pas le nier, je ne suis pas un faux cul.
Vous en aviez ras le bol de quoi ?
De la manière dont ça fonctionne. Aussi de vous, les médias, je vais être franc. Il y a toujours ce climat de scandale, de vouloir vendre avec des titres. Ça mine les gens qui prennent leur travail au sérieux. La démocratie est en danger et il y a une responsabilité partagée des médias et des politiques. Une chose m’a marqué à Bruxelles, depuis 20 ans. Ceux qui prennent des responsabilités, expriment une ambition, sont attaqués. Et ceux qui ne foutent rien, on les laisse tranquille. C’est injuste. Résultat, on a une génération de politiques qui ne prend plus de décisions. Parce qu’à court terme, quand tu en prends, tu ramasses toujours des claques. Mais à long terme, si ta décision est la bonne, les gens votent pour toi.
Vous avez le sentiment qu’on vous a attaqué davantage que d’autres parce que vous vouliez changer les choses ?
Évidemment. Je suis entré en politique à Bruxelles parce que je trouvais que le débat public était sclérosé, que la vie nocturne n’existait pas, que c’était tout pour la voiture. J’ai pu changer ça, j’ai fait le boulot avec le piétonnier, les places publiques sans voitures, le tram 9, etc. Ce n’était pas un combat évident. Mais regardez où on en est. Aujourd’hui, on me rend justice.
