Thomas Dermine : “Bart De Wever est de plus en plus inaudible lorsqu'il dit que la Wallonie est un boulet”
En ce week-end des fêtes de Wallonie, il l’affirme, les transferts financiers entre le nord et le sud du pays sont un cliché.
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- Publié le 16-09-2023 à 07h16
- Mis à jour le 16-09-2023 à 13h41
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C’est dans les bâtiments du tout nouveau campus universitaire de Charleroi qu’il affirme que la Wallonie a de l’avenir. Une bonne nouvelle en ce week-end où la région est en fête. Thomas Dermine n’est, certes, pas le premier à le dire. Mais il avance des arguments. Le 25 octobre, il sortira d’ailleurs un livre en français et en néerlandais pour “démonter tous les clichés sur la Wallonie véhiculés par les nationalistes flamands”.
Secrétaire d’État pour la Relance et les Investissements stratégiques au sein du gouvernement fédéral pour quelques mois encore, il livre un vrai programme d’action pour la Wallonie. Même s’il se défend de revendiquer quoi que ce soit pour la prochaine législature, il précise qu’il est “très heureux au fédéral”. “Une des raisons pour laquelle je passe mon temps dans les médias flamands, confesse-t-il, c’est parce que j’ai envie d’incarner ce visage différent orienté sur l’avenir pour la Wallonie, y compris en Flandre. Mais je pourrais très bien servir cet objectif au fédéral ou depuis la Région.” Veut-il devenir le prochain ministre-Président wallon ? Il ne le dira pas. Mais il parle de son “attachement très profond” à sa ville et à sa région. “Elles m’ont toujours animé. Dans mes travaux, de la primaire à l’unif en passant par le secondaire ça a toujours été là. Je suis même allé jusqu’à Harvard pour écrire sur la Wallonie.” De toute évidence, il est disponible pour la fonction.
Un niveau de transferts parmi les plus faibles d’Europe
Thomas Dermine en a surtout assez des “clichés sur la Wallonie”. Sa région “doit avant tout s’en sortir par elle-même”. “Je ne suis pas d’accord avec les cyniques qui voient toujours le négatif en Wallonie. Il y a une culture parfois trop défaitiste.” Ce constat fait par d’autres que lui, il en attribue la responsabilité au nationalisme flamand. “C’est nourri par un discours essentiellement venu de Flandre. Le discours nationaliste flamand vise sans cesse à enfermer la Wallonie dans des clichés.” Il en a marre aussi de ces comparaisons entre les deux régions. “On compare des pommes et des poires. Il n’y a aucune grandeur pour la Flandre à se comparer à la Wallonie. Elle doit se comparer à des régions économiques qui lui ressemblent, à Rotterdam, au nord de l’Italie.”
La question des transferts est, à ses yeux, très illustrative de ce récit nationaliste flamand. “Quand les Flamands parlent de transferts, ils parlent de la sécurité sociale. Et c’est vrai qu’ils sont importants. La Wallonie reçoit entre 6 et 7 milliards, Bruxelles donne environ 1 milliard et la Flandre en donne six. Mais lorsqu’on compare ces transferts à ceux qui existent dans les autres pays d’Europe, en Allemagne entre les Länder, en France entre les régions, la Belgique est le pays, après l’Autriche, où il y a le niveau de transferts le plus faible”.
Et ces transferts sont en diminution. “De Wever ne va jamais vous le dire, s’indigne Thomas Dermine. On vient d’une époque, il y a vingt ans, où les transferts étaient supérieurs à 2 % du PIB. Aujourd’hui, ils sont en dessous de 1, 5 %. Ça diminue parce qu’il y a l’effet mécanique du vieillissement. Parce que les Wallons et encore plus les Bruxellois sont plus jeunes que les Flamands. Ce sont eux qui payent pour les pensionnés flamands. Et pour leurs soins de santé aussi.”
Le secrétaire d’État pointe par ailleurs le fait que de nombreux Flamands et Wallons travaillent à Bruxelles. “Les transferts les plus importants sont des transferts de revenus. Je génère mon revenu quelque part, mais je vis ailleurs où je paie mes impôts et où je consomme. Là, nous en sommes à 70 milliards qui vont de Bruxelles vers le reste de la Belgique, c’est dix fois plus que les transferts liés à la sécurité sociale”.

Le port d’Anvers investit à Liège
Thomas Dermine se refuse à opposer Flandre et Wallonie. Il voit dans les deux régions des points de convergence indispensable pour que la Flandre continue à se développer et que la Wallonie enclenche la vitesse supérieure. “Le problème du manque de terrains disponibles et de main-d’œuvre en Flandre est une opportunité pour nous. Le discours de Bart De Wever est de plus en plus inaudible lorsqu’il dit que la Wallonie est un boulet.” Et il illustre son propos. “Dans le cadre du plan de relance, des industriels et des logisticiens du port d’Anvers nous ont demandé de financer des projets en Wallonie sans en informer la N-VA. Ils demandent d’étendre le canal Albert et de remonter les ponts pour pouvoir faire passer des portes containers de quatre étages. Le but étant que le port de Liège puisse servir de base arrière au port d’Anvers. Ils achètent d’ailleurs des terrains.”
Quant au taux de chômage important en Wallonie et les très nombreuses critiques qui s’abattent sur la gestion de cette question par les pouvoirs publics, Thomas Dermine veut encore une fois mettre fin aux clichés. “Il y a des défis énormes en Wallonie et je pense qu’il n’y a pas de baguette magique. Celui qui fait croire ça est malhonnête. On sait que la limitation dans le temps des allocations de chômage ne fonctionne pas. Je ne dis pas pour autant qu’il ne faut pas de vrais contrôles effectifs et que certains demandeurs d’emploi cumulent avec du travail au noir. Il faut pouvoir contrôler.”
Tourisme, relocalisation alimentaire et construction
Il enchaîne ensuite avec une proposition peu courante chez les socialistes. “On doit réfléchir à une meilleure adéquation entre le monde de l’enseignement et le monde du travail. Il n’y a pas de honte à dire qu’un jeune qui sort de formation ou de l’enseignement doit savoir ce qu’il se passe dans une entreprise. En Wallonie, je crois que l’enseignement est trop déconnecté du monde de l’entreprise.”
Iconoclaste, Thomas Dermine propose d’inverser la logique des politiques d’emploi. “Il faut se demander comment créer des opportunités d’emplois en fonction de la typologie des demandeurs d’emploi que nous avons. Avec la transition vers une économie bas carbone, il y a toute une série de secteurs qui vont se développer. Ce sont des secteurs pourvoyeurs d’emplois relativement peu qualifiés. Par exemple, la construction, la relocalisation alimentaire ou encore le tourisme. Le défi, ce n’est pas de se demander comment je force un chômeur de longue durée de Marchienne-au-Pont, sans permis de conduire et qui ne travaille plus depuis quatre ans à devenir un technicien en informatique à Louvain-la-Neuve. Et vouloir le punir pour qu’il le devienne. C’est un non-sens absolu. L’enjeu, c’est de booster des secteurs où des chômeurs de ce profil peuvent trouver de l’emploi.”
Pour en terminer sur cette question, le secrétaire d’État socialiste évoque les vrais besoins des entreprises en Wallonie. “Je me demande si au MR, il y a encore des gens qui parlent aux patrons ? Les patrons, ils ne demandent pas spécialement qu’on tape sur les chômeurs. Ils demandent des infrastructures de qualité et des jeunes bien formés. Ils demandent aussi parfois qu’on régularise des travailleurs sans papiers. De plus en plus de patrons viennent me voir pour me dire qu’ils sont prêts à entrer dans l’illégalité pour garder leurs travailleurs sans-papiers.”
Aucun projet avec la N-VA
Beaucoup d’observateurs de la vie politique belge considèrent que le PS et la N-VA convoleront en juste noce après le prochain scrutin du 9 juin 2024. Parce qu’en 2020, les deux partis avaient commencé à discuter. Thomas Dermine a participé à ces négociations et, il l’assure, aucun projet n’est envisagé avec les nationalistes flamands. “Les circonstances politiques nous ont amenées à discuter avec la N-VA, expose-t-il, parce qu’il n’y avait pas d’alternative. Avant de passer à une autre formule, il fallait apporter la preuve au Palais royal que ça ne fonctionnerait pas entre nous. Une fois que les négociations ont été rompues avec la N-VA, le gouvernement Vivaldi est arrivé très vite.”
Mais de quoi ont parlé socialistes et nationalistes ? “On se rejoint sur certains éléments comme le professionnalisme dans la gestion de la chose publique. Mais sur le fond, on est opposé sur tout. La priorité pour nous, ce n’était pas de changer l’ordre protocolaire pour que les ministre-Présidents soient avant certains ministres fédéraux. La N-VA était surtout dans le symbole, parce que la déclaration de révision de la Constitution ne leur permettait pas grand-chose. Ils voulaient ne plus faire du 21 juillet un jour férié. Leur combat est tellement obsessionnel que plutôt que de négocier des sujets de fond, ils négociaient des symboles.”

Une vraie solidarité intra belge
Pour l’avenir du pays, Thomas Dermine plaide surtout sur la mise en place d’une véritable solidarité intra belge. “Dans ce pays, tout est communautaire. Et à force d’être trop gentil et pas assez fier, nous en sommes venus à accepter des choses pourtant inacceptables venant d’une Flandre très régionaliste. Voyez toute la polémique sur la gare du Midi où il y a un problème de sécurité et de drogue. Les Flamands disent à ce sujet que les Bruxellois sont nuls et incompétents. Par contre, lorsqu’il y a un problème de trafic de drogue hors de contrôle à Anvers, dans les deux jours, le fédéral vote des budgets additionnels de 20 millions pour la sécurité de la ville portuaire.”
Il évoque aussi les investissements pour lesquels “il n’y a aucune logique de solidarité nationale”. “On l’a vu avec les inondations, on le voit dans la clé de répartition 60-40 en matière ferroviaire. Alors soit on vit dans un monde romantique en se disant que c’est chouette d’être Belgicain, soit on se dit qu’il y a un intérêt régional à défendre au fédéral.”
Pour conclure, Thomas Dermine l’assure, il ne parle pas avec Bart De Wever du futur institutionnel belge. “Il m’arrive de parler avec Sander Loones qui est quelqu’un de très intéressant, mais on ne discute jamais de scénario pour l’avenir.”