"La majorité des auteurs de violences conjugales se disent qu'ils ont agi car leur partenaire les a provoqués"
Le numéro gratuit d’écoute pour les victimes de violences conjugales a été composé 42 fois par jour en moyenne en 2018.
Publié le 16-09-2019 à 08h52 - Mis à jour le 16-09-2019 à 10h20
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Le numéro gratuit d’écoute pour les victimes de violences conjugales a été composé 42 fois par jour en moyenne en 2018. Depuis le début de l’année, plus de cent femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon en France. En Belgique, elles sont au moins dix-sept. Des chiffres sans doute bien plus faibles que la réalité et qui font froid dans le dos. Ce n’est pas une généralité mais la plupart des victimes de féminicide étaient victimes de violences conjugales.
En Belgique, un numéro gratuit pour les victimes de violences conjugales a été lancé en 2009. Dix ans plus tard, le numéro est plus utilisé que jamais. En 2018, le numéro belge d’appel Écoute Violences conjugales a été composé 15 360 fois, ce qui représente une moyenne de 42 appels par jour, émis par des victimes mais aussi par des professionnels de la santé, des proches inquiets ou même des auteurs d’actes de violence. Heureusement, l’augmentation du nombre d’appels enregistrés ne signifie pas forcément que les situations de violence conjugale augmentent mais indique une libération de la parole et une prise de conscience en la matière.
S’il arrive que des hommes soient victimes de violence conjugale, la majorité écrasante des victimes (91 %) sont des femmes. "Les auteurs sont essentiellement des hommes. C’est une réalité qui pose problème et qui fait mal, mais il faut regarder les choses en face : ce sont les femmes qui meurent. Ceux qui disent que les hommes sont tout autant victimes de violence mais que celle-ci se manifeste sous une autre forme, plus psychologique par exemple, relayent un discours masculiniste. Ils ne veulent pas reconnaître cette réalité. On peut faire le parallèle avec le harcèlement de rue, qui est vécu par toutes les femmes. On ne dit pas que tous les hommes sont violents mais c’est un système sexiste qu’il faut dénoncer", développe Jean-Louis Simoens, fondateur de la ligne d’écoute gratuite. Car la violence conjugale, qui se distingue du simple conflit conjugal, est avant tout un processus de domination d’un partenaire sur l’autre.
"La violence conjugale est un processus relationnel complexe qui se caractérise par l’emprise d’un partenaire sur l’autre. Ça ne se limite pas à des bleus ou à des coups" , précise-t-il.
Il se souvient de l’histoire d’une jeune femme qui s’est retrouvée progressivement sous l’emprise de son compagnon. "Il s’agit d’une jeune enseignante qui s’est retrouvée sans emploi. Pendant cette période, quand elle n’envoyait pas de C.V., elle profitait de son temps pour lire. Elle a remarqué que son compagnon était dérangé par le fait qu’elle lise. Quand il la trouvait en train de lire, il lui demandait si elle avait enfin trouvé du travail. Alors que si elle était en train de cuisiner quand il arrivait, il était tout gentil. Elle a commencé à se sentir coupable de lire et a changé de comportement. Dès qu’elle entendait un bruit dans l’immeuble, elle allait dans la cuisine pour ne pas avoir de remarques. Quelques mois plus tard, elle s’est retrouvée enfermée dans sa chambre et violentée par son compagnon" , raconte-t-il. "C’est souvent après coup que les victimes remarquent que quelque chose n’allait pas et elles finissent par vivre un vrai traumatisme."
Malheureusement, même si la parole commence à se libérer, de nombreuses victimes ont encore peur de parler. "Si vous avez peur de votre partenaire de vie, vous ne le dites généralement pas. C’est très rare de le confier parce que c’est tout simplement inimaginable car un couple est censé être un espace de confiance."
“Trop d’auteurs de violence estiment encore que la victime est responsable”
L’ASBL Praxis accompagne 1 000 auteurs de violences conjugales chaque année. L’ASBL Praxis accompagne des auteurs de violences conjugales depuis près de trente ans. Et 20 % des auteurs font appel à l’association de leur plein gré, les autres y sont obligés par une décision de justice. Chaque année, près de 1 000 personnes (essentiellement des hommes) y sont suivies, une goutte d’eau dans l’océan des violences conjugales quand on sait qu’environ un couple sur huit est touché.
“Les personnes qui font appel à nos services se rendent compte que leur situation de couple devient ingérable et que ça pourrait déraper. On a des situations de conflits qui s’enveniment, des dépassements de limite ponctuels et on a aussi des dossiers pour harcèlement, menaces, propos injurieux. La violence peut prendre des formes très variées”, explique Pascal Bartholomé, l’un des intervenants de Praxis.
“Pour nous, le plus important est la responsabilisation. Il faut que les personnes prennent conscience que le recours à la violence est un choix. Il faut d’ailleurs que les auteurs reconnaissent un minimum leur responsabilité avant le début de la prise en charge. On n’est pas là pour les culpabiliser. On prend le pari de la capacité de changement des personnes, on les encourage à faire d’autres choix que la violence. Les auteurs nous disent souvent qu’ils ont accumulé beaucoup de tensions. On leur apprend à vider leur sac et à identifier leur état émotionnel : à déterminer si ce qu’ils ressentent est de la colère, de la tristesse ou de l’anxiété”, indique-t-il.
“La majorité des auteurs ne sont pas à l’aise. Il y a un processus de protection narcissique qui leur fait dire que s’ils ont été violents, c’est parce que leur partenaire les a provoqués. C’est un moyen de faire barrage à la honte et à la culpabilité. Les auteurs vont souvent dire qu’ils n’auraient pas été violents si leur femme était différente. L’idée que la femme est responsable est une idée qui est encore très ancrée dans les mentalités et qu’il faut réussir à changer”, complète Jean-Louis Simoens.

La séparation ne stoppe pas la violence
Une séparation, une grossesse ou la naissance d’un enfant sont des moments particulièrement risqués.
"Pourquoi tu restes avec lui s’il est violent avec toi ?" ou le plus radical "Quitte-le !" sont des rengaines bien connues des victimes de violences conjugales. Malheureusement, dans la plupart des cas, les violences ne s’arrêtent pas au moment de la rupture. "80 % des féminicides sont commis par un ex-conjoint. La séparation ne met jamais fin à la violence. On parle de situation d’emprise et de contrôle. Quand vous vous êtes vue mourir à plusieurs reprises, vous restez parce que vous savez de quoi votre conjoint est capable", explique Jean-Louis Simoens, fondateur du numéro d’appel gratuit pour victimes de violences conjugales.
"Les victimes essayent de chercher du sens à ce qu’il leur arrive et finissent souvent par se dire que c’est peut-être de leur faute. Les victimes intègrent cette idée à force d’entendre des reproches, elles n’ont plus confiance en elles. Elles perçoivent aussi que le moment de la séparation peut être particulièrement dangereux. Il y a des études qui montrent en effet que le moment de la séparation est particulièrement délicat", constate Frédéric Benne, responsable du Centre de prévention des violences conjugales et familiales, une association basée à Bruxelles.
D’autres moments comme le temps d’une grossesse ou la naissance d’un bébé sont également critiques. "Pour un conjoint violent, voir qu’un nouveau petit être humain reçoit toute l’attention de la mère peut être insupportable. On constate aussi un pic de violence après les mariages. Certains hommes estiment qu’une fois mariée la femme leur appartient et changent alors de comportement", précise-t-il.
Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes Francophones de Belgique: “Un Grenelle belge serait inutile”
“Aujourd’hui, quand une femme est victime de violence, on en est encore à lui proposer une médiation avec le coupable. Comment pourrait-elle sortir d’un système d’emprise dans ce cas-là ? La violence envers les femmes continue à être légitimée. Pour une série de personnes, ça ne paraît pas si grave. C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’informer les gens qu’il s’agit d’un délit grave. Les cours d’Évras (Éducation à la vie relationnelle, sexuelle et affective) sont essentiels. Il faut aussi que les formations à la prise en charge des victimes de violences conjugales soient généralisées à tous les commissariats du pays. Les magistrats doivent aussi être formés. Je pense qu’en Belgique un Grenelle serait inutile. On connaît déjà très bien la situation. Ce qu’il faut, c’est plus de moyens !”