Extension du droit à l'avortement: une première étape a été franchie
Publié le 23-10-2019 à 21h15 - Mis à jour le 24-10-2019 à 10h58
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Les partis favorables à une extension du droit vont tenter de rédiger une proposition commune. Le PS veut profiter de l’absence de gouvernement pour avancer. Le CDH demande un débat en bonne et due forme.
En commission de la Justice de la Chambre, il a été convenu que l’ensemble des partis ayant déposé une proposition de loi en ce sens, se retrouvent au sein d’un groupe de travail, afin de s’accorder sur un texte commun. Une première réunion est prévue ce jeudi. L’objectif est de revenir en commission après le congé de Toussaint, avec une proposition de loi qui fait consensus.
Les défenseurs d’une extension veulent en effet profiter de l’absence d’un gouvernement de plein exercice et d’un accord de gouvernement qui cadenasserait toute discussion durant une législature, voire de négociations pour la formation d’une majorité qui pourraient empêcher la tenue d’un débat, pour avancer sur ce dossier qui constitue une priorité pour plusieurs partis. "Il ne faut pas traîner. On aura peut-être un gouvernement dans quelques instants" , a insisté Sophie Merckx (PTB), suscitant les rires parmi ses collègues parlementaires.
Une majorité parlementaire
Signataire de la première proposition de loi déposée, le PS est à la manœuvre, par l’entremise de la députée Eliane Tillieux. Aux côtés des socialistes francophones, on retrouvera le PTB-PVDA, Écolo-Groen et Défi, qui ont eux aussi déposé un texte au Parlement. Les socialistes et les libéraux flamands ont également annoncé le dépôt d’une proposition de loi et les rejoindront. Au total, ces partis comptent 76 députés sur les 150 que compte la Chambre. Soit une majorité en état d’adopter une loi, qui pourrait en outre recevoir le soutien de certains députés MR, qui jouissent de la liberté de vote sur les questions éthiques.
Voilà pour l’arithmétique parlementaire. Mais avant de procéder à un vote, il faudra dégager un consensus sur une proposition de loi. Ce ne sera pas nécessairement chose aisée car, dans leurs propositions de loi, les différents partis favorables à une telle extension ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde quant à la façon de procéder, que ce soit sur le délai légal pour un avortement, le délai de réflexion avant d’avorter, les sanctions pénales… Et on attend encore les textes du SP.A et de l’Open VLD.
Mettre fin aux voyages médicaux
Aujourd’hui, le délai légal pour pratiquer l’avortement est de 12 semaines d’aménorrhée, alors qu’il est de 22 semaines aux Pays-Bas, de 24 semaines en Grande-Bretagne, de 18 semaines en Suède et de 14 semaines en Autriche et en Finlande. Conséquence : chaque année, plusieurs centaines de femmes se rendent à l’étranger pour avorter au-delà de douze semaines. Pour mettre fin à ces voyages médicaux, surtout vers les Pays-Bas, le PS, Défi et Écolo-Groen veulent allonger ce délai jusqu’à 18 semaines. Le PTB, lui, propose 20 semaines, mais est prêt à faire des compromis.
Les partis veulent par ailleurs réduire le délai de réflexion obligatoire entre la première consultation et l’acte d’interruption volontaire de grossesse. Il est de six jours actuellement. Le PS veut le ramener à 48 heures, tout comme les verts et Défi. Le PTB veut, lui, supprimer ce délai.
Fin des sanctions pour les femmes. Et pour les médecins ?
Enfin, la question de la sanction pénale en cas de non-respect de la loi divise également les partis. Pour le PS, les sanctions doivent être supprimées tant dans le chef de la femme que du médecin. C’est également la position de Défi et du PTB. Pour eux, l’avortement est un acte médical, pas un délit. Les verts, de leur côté, évoquent dans leur proposition le seul retrait des sanctions pénales pour les femmes qui avorteraient en dehors du cadre légal, mais pas pour les médecins.
Éliane Tillieux (PS): "Il faut dépasser la loi d’octobre 2018"

C’est Éliane Tillieux (PS) qui a proposé et obtenu qu’un groupe de travail réunisse les auteurs des propositions de loi poursuivant la dépénalisation de l’avortement.
"Mon espoir est que nous puissions rédiger un texte de consensus qui reviendrait sur la table de la commission Justice de la Chambre juste après le congé de Toussaint. Il faut pouvoir profiter du fait que le gouvernement minoritaire est en affaires courantes pour faire aboutir, grâce à une majorité progressiste, un texte qui mette fin à la situation bancale créée par la loi d’octobre 2018" , confie-t-elle.
Pour le PS et Éliane Tillieux, il n’est pas concevable, en 2019, que l’on continue à menacer les femmes qui ont recours à l’IVG et les médecins qui la pratiquent de sanctions pénales comme les prévoyait la loi du 3 avril 1990. Il faut, dit leur proposition de loi, que l’avortement soit considéré comme un acte médical devant répondre à la loi sur les droits du patient et sorte donc du Code pénal.
Sur le délai à respecter pour pratiquer une IVG, la députée a aussi son avis. "Il faut dépasser la loi d’octobre 2018. Si trois quarts des femmes qui désirent avorter se décident avant la 7e semaine, les autres se trouvent dans des situations à ce point complexes qu’elles ne sont pas en mesure de franchir le pas avant le délai légal de 12 semaines. Il faut s’adapter à cette réalité et faire en sorte qu’elles ne soient plus obligées d’agir dans la clandestinité en allant avorter à l’étranger. Toute interruption de grossesse est une épreuve, a fortiori quand elle a lieu dans des conditions difficiles sur le plan psychologique et/ou financier…"
Quand on lui demande ce qu’elle pense de la volonté des partis hostiles à un changement de loi de "prendre son temps" , Mme Tillieux sourit : " Mardi, en commission Santé, une majorité alternative a adopté une proposition Écolo supprimant l’obligation de reconfirmer tous les 5 ans la déclaration anticipée d’euthanasie. Cet événement a dû faire peur aux acteurs opposés aux avancées contenues dans les textes sur l’IVG."
Catherine Fonck (CDH): "Il faut conserver des balises et un délai de réflexion"

Pour Catherine Fonck (CDH), les propositions de loi actuellement sur la table divergent beaucoup entre elles mais ont un point commun : elles suppriment nombre de balises qui encadraient l’interruption de volontaire de grossesse.
"Certains entendent permettre un avortement à tout moment de la grossesse même quand il n’y a pas de raison médicale pour y procéder. Le CDH ne peut accepter une telle approche qui enlèverait d’ailleurs toute utilité à une loi quelconque."
Plus un paquet de cellules
Mme Fonck, qui rappelle que la loi actuelle permet une interruption de grossesse pour raison médicale tout au long de la grossesse, c’est-à-dire bien au-delà du délai de 12 semaines permis pour une interruption volontaire, n’est pas favorable non plus à un allongement de ce délai à 18, voire 20 semaines.
"Retenons que 97 % des femmes qui ont recours à une IVG se décident avant 12 semaines. Augmenter le délai d’un tiers serait médicalement plus lourd pour elles. De plus, à 18 semaines, le fœtus n’est plus un paquet de cellules, son corps, son cerveau sont formés, il est devenu un être sensible. Cela doit faire réfléchir."
Pénaliser les seuls médecins
Pour autant, à titre personnel (on en débat au sein du parti), Catherine Fonck se montre assez encline à ne pas pénaliser les femmes en cas d’IVG "hors la loi" et à faire peser la responsabilité de l’acte sur les seuls médecins.
De même, elle se dit ouverte à la possibilité de ramener le délai de réflexion imposé aux patientes à 48 heures. "Mais il faut maintenir un délai, ne fût-ce que pour s’assurer qu’aucune contrainte n’est exercée sur les femmes."
Enfin, pour Mme Fonck, le sujet mérite un débat en bonne et due forme au Parlement. Et ce, d’autant plus, regrette-t-elle, qu’il n’y a pas d’évaluation de la législation et de ses effets sur le terrain depuis plusieurs années.