Comment expliquer l’apathie des Belges face à la crise?
Publié le 06-12-2019 à 17h51 - Mis à jour le 06-12-2019 à 17h55
Il est loin le temps de la révolution moules-frites de 2011. Un an après le départ de la N-VA du gouvernement fédéral et presque autant depuis que le Roi a accepté la démission de Charles Michel, personne n’appelle à manifester, à faire la grève du sexe ou à refuser de se tailler la barbe tant que la Belgique ne sera pas dotée d’un gouvernement de plein exercice.
Avec le temps, les affaires courantes sont devenues une spécialité maison - comme les moules-frites. On s’en vante, on en blague, on se demande s’il serait possible de battre notre record de 2011. Ça et là, on entend qu’au fond, ce n’est pas bien grave, puisque le pays continue de tourner, qu’il tourne même mieux sans exécutif, comme lors de la dernière crise et celle d’avant.
Déjà vu et apathie médiatique
Comment expliquer l’apathie de la population belge ? Pour Caroline Sägesser, docteure en histoire au Crisp, trois facteurs concordent. "Premièrement, il y a un sentiment de déjà-vu, de déjà vécu. Et même d’avoir vécu pire situation, puisque le record précédent n’a pas encore été battu. Il faudra attendre jusqu’au 1er août pour battre la période de 588 jours, et non 541", avance-t-elle.
Deuxième élément : le rôle des médias qui "ne titrent que fort peu sur la profondeur de la crise". Sans s’avancer sur les raisons de cette apathie médiatique - "peut-être est-ce pour ne pas jeter de l’huile sur le feu ?" -, Caroline Sägesser note ainsi que les médias ont plutôt suivi l’agenda politique (le renouvellement des gouvernements des entités fédérées, les élections internes des partis politiques).
"En outre, quand elle parle de la crise, la presse se réfère aux élections de mai comme point de référence. Pourtant, le point de référence, c’est la démission du gouvernement, le 21 décembre. Et encore, on peut considérer que ça commence quelques semaines plus tôt quand le gouvernement devient minoritaire. Être minoritaire est tout aussi dommageable. Si on compare avec la crise de 2010-2011, c’est une des grandes différences. Si un budget a alors été voté, c’est parce que le gouvernement avait une majorité. Le ton n’est donc pas à la dramatisation. C’est comme si ce n’était pas grave, notamment parce qu’on pourrait bientôt aboutir avec l’arc-en-ciel… Alors que les négociations n’ont même pas encore commencé et qu’on ignore combien de temps un processus de formation pourrait durer. Bref, on patiente. Je m’attends à une montée en puissance de l’inquiétude en janvier, lorsqu’on fonctionnera pour la deuxième année de suite sur le budget de 2018."
L’absence de question communautaire
Le troisième facteur relève du fonctionnement de l’État : le Parlement tourne, des propositions de loi aboutissent et le turn-over au sein même du gouvernement fédéral est important. "Et puis, la notion d’affaires courantes s’élargit de plus en plus. On parle d’élargir le budget consacré à l’Otan, de celui des soins de santé. Tout ceci contribue à donner l’impression que le gouvernement fonctionne", observe l’historienne.
Caroline Sägesser marque une pause. Et sort un quatrième argument, lorsqu’on mentionne l’origine de la chute de Michel Ier (le Pacte de l’Onu sur les migrations). Et, en parallèle, celle de la chute de Leterme II (le dossier Bruxelles-Hal-Vilvoorde, dit BHV). "Comme il n’y a pas de question institutionnelle sur la table, que les deux communautés ne se déchirent pas, la population n’a pas l’impression que la Belgique est remise en cause. C’était le cas avec BHV, plus aujourd’hui. La profondeur de la crise est donc moins visible."