Hanna s’est suicidée à 18 ans: "Une vie comme ça, je n'en veux pas. Vous serez mieux sans moi"
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Publié le 28-01-2020 à 11h34 - Mis à jour le 28-01-2020 à 16h00
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"Heureusement qu’elle n’a pas su que l’euthanasie était possible… C’était beaucoup trop tôt. Elle était si jeune et elle n’était en traitement que depuis 7 mois. Mais elle cherchait sur internet comment se tuer." Le procès devant les assises de Gand de trois médecins poursuivis pour l’euthanasie d’une patiente psychiatrique de 38 ans en raison de souffrances psychiques insupportables remue Marie*, ravive sa douleur. En juin 2013, sa fille Hanna*, l’aînée de ses trois enfants, s’est suicidée. Elle avait à peine 18 ans. L’adolescente souffrait d’un grave trouble mental, sur lequel les médecins n’ont jamais voulu, devant elle, mettre le mot exact : schizophrénie.
La maladie s’est déclarée quand Hanna avait 16 ans. Mais elle couvait. Après la mort de leur fille, les parents ont retrouvé des écrits. À 11 ans, la fillette avait rédigé un petit texte sur la mort. À 14 ans, elle confiait sur papier qu’elle ne se sentait pas bien - "Quelque chose ne va pas dans ma tête" - mais qu’elle ne pouvait pas le dire à ses parents. "On n’a rien vu", regrette Marie.
Des notes en chute libre
Avant d’entamer sa rhéto, l’adolescente, très bonne élève, artiste, sportive, part trois mois au Canada. "Quand on faisait des ‘skypes’, elle était bizarre et agressive. Elle me disait : ‘Tu ne me poses pas les bonnes questions’." Au retour de son voyage, Hanna, qui n’a jamais posé problème, se rebelle, s’oppose à tout, devient difficile. "Un peu étrange aussi", ajoute Marie. Les parents s’attendent à affronter une crise d’adolescence un peu tardive, mais solide.
Aux examens de Noël, les points de la rhétoricienne sont en chute libre. Les parents sont appelés à l’école. Les profs interrogent : on ne la reconnaît pas, que s’est-il passé ? "On a cru qu’il était arrivé quelque chose de grave au Canada. Mais non, rien…", indique Marie.
À Pâques, son année est en jeu. Ses notes de cours sont décousues, il manque des pages. "Elle qui était si organisée et responsable : elle était à côté de la plaque", se souvient sa maman. La jeune fille accepte de consulter un psychiatre, qui évoque une décompensation.
Hanna réussit pourtant sa rhéto. Au cocktail qui suit la proclamation, elle est là, les cheveux teints en brun. "Elle a fait ça le matin : je l’ai à peine reconnue." Les parents sont catastrophés après la rencontre avec les professeurs : ils ont laissé passer Hanna, pourtant en échec majeur dans trois matières. Le conseil de classe précise qu’il n’y a pas de souci intellectuel, "mais tu dois encore résoudre tes problèmes dans les mois qui viennent". Marie comprend que le mal-être de sa fille est total, qu’elle n’a pas repris pied.
"Elle dit alors n’importe quoi"
Au retour du voyage de fin de rhéto, Hanna est en crise majeure quand sa maman la ramène à la maison. Elle crie dans la voiture : "Il y avait plein de gens, plein de bruit. Je n’irai plus jamais". Sa maman l’interroge sur une éventuelle rupture amoureuse. "Tu ne comprends rien !", hurle l’adolescente.
Marie apprendra ensuite par un enseignant que sa fille avait été "ingérable". Elle faussait compagnie au groupe dès que possible. Elle a une fois disparu pendant trois heures et a été retrouvée hagarde sur la plage. "Ils ont cru qu’elle se droguait", confie la maman.
Ses parents sont désemparés. Par moments, leur fille est "normale". À d’autres, "elle dit n’importe quoi". On voit quelque chose qui passe dans son regard, comme si une réaction chimique se produisait dans son cerveau, décrit Marie.
En septembre, Hanna entame la médecine à Namur. Vu les circonstances, ses parents ne souhaitent pas qu’elle kotte : elle intègre une résidence pour étudiantes. Début octobre, sa maman, de passage à Namur, lui propose de déjeuner. "Quand je suis entrée dans sa chambre, il y avait de la confiture étalée sur les étagères, pas de draps sur le lit, un désordre indescriptible." Hanna lui tient des propos sans aucune cohérence.
Le jour de ses dix-huit ans
Elle accepte un suivi chez une psychologue, mais n’est pas très régulière. Les semaines s’écoulent. Hanna passe ses examens, vaille que vaille. En janvier, le jour de son dix-huitième anniversaire, grosse crise. Après une visite de sa marraine, elle hurle : "Elle a des poignards dans les yeux, je ne veux plus la voir". Les parents amènent la jeune fille aux urgences psychiatriques. Elle fera trois séjours de plusieurs semaines, en service fermé. La prise en charge à l’hôpital est catastrophique, juge la maman. On n’y suit pas correctement ses prises de médicaments.
Au total, Hanna sera vue par au moins dix psychiatres. "Ce qui était incroyable, c’est qu’ils refusaient de poser un diagnostic clair : ils disaient que c’était trop lourd à porter. Ils évoquaient des troubles schizoïdes…" Hanna, à qui on donnait des neuroleptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs avait pris 15 kg. Elle se décrivait comme "débile", "folle", "nulle". "Elle aurait aimé qu’on lui dise de quoi elle souffrait".
Une première tentative
Le week-end, elle peut sortir. Un jour de mai, où Hanna est censée être au cours, sa maman l’appelle vers midi. Elle ne répond pas. "Je m’inquiète à mort". Elle retrouve Hanna dans l’appartement de son papa, complètement délirante. Elle a bu de l’alcool et ingurgité des Xanax. Tentative de suicide. Marie la conduit aux urgences de l’hôpital le plus proche.
Début juin, Hanna est (enfin !) prise en charge dans un centre thérapeutique pour adolescents. "L’encadrement était bienveillant. Le suivi était impeccable. J’ai cru qu’on allait la guérir."
Mais la jeune fille disait qu’elle ne serait jamais normale, qu’elle ne pourrait jamais travailler. Même sans diagnostic explicite, elle était lucide sur son état. "Elle disait : je ne veux pas vivre comme ça." Gavée de médicaments qui l’avachissent et la rendent amorphe ou en proie aux démons de sa maladie quand elle ne les prend pas. Elle ne savait plus enchaîner les choses de la vie quotidienne, absorbée tout le temps par des pensées négatives et des voix, explique Marie. Elle avait aussi des hallucinations visuelles.
"Elle ne supportait pas les couleurs. Il est arrivé qu’elle ne puisse pas entrer dans une pièce "parce que l’armoire est trop bleue", ni écouter le cours "parce que le pull de la fille assise à côté dans l’auditoire est trop jaune". Dans son cerveau, toutes les sensations étaient exacerbées à la puissance mille. Tout était trop."
Plus aucun élan de vie
L’adolescente exprime clairement son souhait d’en finir. Sa maman tente de tempérer : "C’est une question de temps, on va trouver l’équilibre, le bon dosage de médicaments". L’adolescente y croit un temps, et puis plus. "Une vie comme ça, je ne veux pas. Vous serez mieux sans moi", dit-elle.
La veille de sa mort, les parents étaient allés chercher Hanna au centre. Elle s’était coupé les cheveux elle-même, n’importe comment. "Je l’ai emmenée manger un bout, avec son frère. On s’est installés. Elle ne disait rien. Je n’ai jamais vu personne comme ça : elle n’avait plus aucun élan de vie."
Le lendemain matin, Hanna part faire un jogging et ne revient pas. Elle sera retrouvée dans un hôtel du Nord de la France. Elle avait payé une chambre sans petit-déjeuner. "Elle était déterminée. Son plan était conçu à l’avance : elle avait subtilisé des ordonnances chez son grand-père trois mois plus tôt. On a retrouvé un plan de la ville où elle se trouvait : elle avait entouré le nom de deux pharmacies. C’est là qu’elle a acheté les médicaments."
Hanna a laissé une lettre pour sa famille et le numéro de GSM de son papa, pour qu’on puisse prévenir ses proches. La vie lui était devenue insupportable.
*Prénom d’emprunt.