"Si une partie de la population n'arrête pas son comportement dangereux, on sera obligé d'aller vers un lockdown total"
'En une semaine, on est passé de Maggie De Block qui dit que "c'est une grosse grippe, ne vous tracassez pas, on s’en fiche" à "attention, on va tout fermer" ' --- "Il faut que tout le monde soit conscient qu'un jour ou l'autre la ministre va annoncer un lockdown complet"
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Publié le 16-03-2020 à 17h34 - Mis à jour le 17-03-2020 à 14h56
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Les mesures de confinement prises par le gouvernement sont elles suffisantes ? Philippe Devos, médecin intensiviste au CHC de Liège et président de l'Absym, estime qu'elles sont indispensables et, si la population ne les respecte pas à la lettre, elles devront être renforcées. Mais il critique aussi vertement la dualité du discours de Maggie De Block, la ministre fédérale de la santé. Selon lui, sa communication paradoxale est en partie responsable des comportements dangereux actuels. Pour lui, nous sommes au début de l'épidémie et des mesures plus fortes seront prises prochainement.
Nous sommes au début de l'épidémie, comment va-t-elle évoluer ?
On sait que c'est une maladie où le nombre de patients double en quelques jours. Entre 3,5 et 5 jours selon les pays. Donc plus la population a un comportement de contact entre individus, plus le temps de doublement est rapide. Si on fait des "lockdowns party" comme ce vendredi partout en Belgique, il faut s'attendre à ce que le délai pour que le nombre de malades double se raccourcisse très fort. En tout cas, il fallait des mesures très fortes.
Début de l'épidémie ?
Oui, si on regarde la courbe épidémique, on est au tout début de l'épidémie, on est dans la phase montante que tous les pays ont rencontrée avant nous. On va encore monter de manière importante. Si on n'avait rien fait, on se serait retrouvé dans la même situation que la Lombardie, voire pire. Plus on prend des mesures fortes, plus le pic va s’aplatir.
Est-ce que le gouvernement n'aurait pas mieux fait d'attendre lundi pour annoncer ces mesures pour éviter les "lockdown party" ?
Avec un temps de doublement de 3,5 jours, c'est difficile. Ça pourrait représenter plus de 100 morts...
Mais ce n'est pas pire finalement ?
Je pense qu'ils ont tellement passé de temps à justifier pourquoi ils se sont disputés à prendre la décision qu'ils n'ont pas pris suffisamment de temps d'expliquer la situation à la population et le pourquoi de ces mesures. En particulier Madame De Block. Et quand les gens ne comprennent pas pourquoi, fatalement ils ont des comportements anormaux. Ça doit donc s'accompagner d'éducation. La France a commencé les spots télévisés, radios et dans la presse plus d'une semaine avant nous.
Mais ils ont pris les mesures de confinement après nous par contre.
Oui, mais les gens les ont appliquées. Je pense vraiment que quand on ne comprend pas, on ne le fait pas. On est Belges, on a un peu ce sentiment latin où on aime bien désobéir, mais il faut vraiment que les gens respectent ces mesures. L'autre problème, c'est le paradoxe de la communication. En une semaine, on est passé de Maggie De Block qui dit que "c'est une grosse grippe, ne vous tracassez pas, on s’en fiche" à "attention, on va tout fermer". A cause de cette communication paradoxale, une partie de la population se dit que finalement, la vérité est entre les deux. Encore ce week-end, Maggie De Block parlait de son nombre maximal de 300 admissions en soins intensifs alors que le plan d'urgence s'est déclaré pour pouvoir accueillir plus de 1000 patients en soins intensifs. Il y a une discordance entre ce qu'elle déclare dans les journaux et ce à quoi le gouvernement nous demande de nous préparer. Cette dualité de discours, elle entraîne des comportements anormaux. Elle a une responsabilité dans les comportements problématiques des gens.
Vous militez pour un confinement intégral ?
Je suis persuadé qu'on va devoir y arriver, et assez rapidement. Les pays qui ont réussi à endiguer le virus sans avoir une situation désastreuse et prolongée ont dû passer par là. La Lombardie, en Italie, est partie pour des mois de galère avant que les hôpitaux puissent se "reconstruire" de l'intérieur. Il faut que tout le monde soit conscient qu'un jour ou l'autre, à 22h, la ministre va annoncer un lockdown complet. On verra pour la date. Mais en tout cas il faut prendre aussi en compte le côté psychologique de cette décision. Si une partie de la population n'arrête pas son comportement dangereux de refus de confinement, la ministre sera obligée de mettre en marche ce lockdown avant la date recommandée scientifiquement. Pour marquer un coup sec et permettre à la police de disperser tout rassemblement de personne. Aujourd'hui, la police n'en a pas les moyens.
On voit que la Corée du Sud s'en sort bien dans l'endiguement du virus, sans ce lockdown. Pourquoi ?
Oui mais ils avaient la chance que leur premier "cluster" (petit foyer de moins de 60 individus, NdlR), c'était une espèce de secte. Ils ont donc pu les pister et les tracer facilement. Nous, en Belgique, on a deux problèmes. Le premier, c'est que Maggie De Block n'avait pas prévu les choses, donc on n'a pas commandé suffisamment de réactifs et pu tester tous les gens en hôpitaux. On aurait voulu le faire qu'on en aurait pas été capable... Et par ailleurs, l'autre difficulté, c'est que la Corée du Sud est entourée de mer (sauf au Nord, mais la frontière avec la Corée du Nord est complètement fermée, NdlR.), nous on est entourés de pays. On a vu des patients qui venaient d'Italie d'abord, mais ensuite d'autres pays, comme les Pays-Bas et l'Allemagne. Dans un pays comme le nôtre, avec un tel trafic international, c'est impossible de gérer de cette façon.
On pourrait monter à un taux de 20% d'hospitalisation des personnes infectées. C'est beaucoup, non ?
Oui, ça dépend. Dans mon scénario qui avait fait débat, je parlais de 8%. D'autres parlent de 50%. Mais j'espère toujours que ces mesures vont fonctionner. Si 80% de la population respecte un confinement complet, on le voit avec les épidémies précédentes, on peut y arriver. Mais donc il faut maximum 20% d'inciviques...
On voit qu'il y a 1800 morts en Italie, pour 25.000 cas. C'est un taux élevé... Est-ce juste à cause de l'âge de la population et du système médical ?
Oui il y a l'âge moyen. Il est 4% plus élevé que l'âge moyen belge, ce n'est pas tant que ça. Si c'est l'unique facteur, on est dans de mauvais draps... Après, ils ont une capacité hospitalière par nombre d'habitants qui est 15% inférieure à la nôtre. On a plus d'hôpitaux et on arrivera à saturation moins vite. Mais par contre, une fois que les soins intensifs seront complets, ce sera l'hécatombe. C'est toute l'importance de se confiner le plus vite possible. En soins intensifs, 25% meurent environ, et 75% survivent. Fatalement, quand on a plus de lits en soins intensifs, ils peuvent tous mourir. Donc les gens qui font un infarctus, qui ont un accident de voiture grave, etc. risquent de mourir si les lits de soins intensifs sont pris.
Mais le taux de morts lié au coronavirus est tout de même élevé, hormis cela, non ?
Oui, mais je pense qu'il est faussement élevé. Ils sont tellement noyés qu'ils ne testent plus que les cas présents dans les hôpitaux, comme en Belgique. Donc le ratio entre le nombre de morts et le nombre de cas est trop élevé. En réalité, toute une partie de la population est contaminée mais pas déclarée. Vous allez voir aussi que le taux de mortalité en Belgique sera élevé, mais faussement élevé.
Est-ce qu'il y a différentes souches du virus ?
Il y a quelques papiers scientifiques qui montrent qu'il y aurait des sous-groupes, avec des comportements plus agressifs, mais ce n'est pas encore clair. Mais le virus qui est chez nous, c'est celui qui vient de Lombardie. Enfin, c'est une maladie un peu vicieuse, car on sait que c'est au 7e jour de contamination qu'on risque une hospitalisation. Le pic d'admission hospitalières aura donc lieu environ une semaine après le pic de contamination.