A l'auberge des gens de la rue, la vie de galère se met en pause
A cause de la crise sanitaire, l'auberge de jeunsese Jacques Brel, au centre de Bruxelles, a été convertie d'urgence en centre de jour pour les personnes précarisées. Visite.
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Publié le 24-04-2020 à 11h04 - Mis à jour le 24-04-2020 à 14h42
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Mieke reste cinq bons mètres à l’écart de la file qui s’étire, en respectant les consignes de distanciation physique, devant l’auberge de jeunesse Jacques Brel. Cet hôtel pour jeunes, situé entre les stations de métro Botanique et Madou, au centre de Bruxelles, a été convertie – temporairement, pour cause de coronavirus – en centre de jour pour sans-abri. Les personnes sans logement ou en extrême précarité y trouvent une pause dans leur vie de galère.
“J’ai mal aux pieds. Ça a trop frotté”, dit-elle en montrant ses bottes. “J’attends que la file avance”. Malgré le chaud soleil de la mi-journée, la sexagénaire, emmitouflée dans deux vestes enfilées l’une sur l’autre, porte un bonnet de laine. Elle voudrait prendre une douche. “Ah mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il y a beaucoup de monde et plus de tickets. Il ne faut pas hésiter à venir plus tôt”, lui explique gentiment Amélie Deprez, coordinatrice du centre de jour pour Médecins du Monde. “Tous les repas sont partis aussi ! Mais il reste de la soupe et du pain, si vous voulez...”.
Un endroit précieux
Dans la cour ombragée de l’auberge de jeunesse, quelques hommes discutent, café à la main, avec des bénévoles, masque chirurgical sur le nez. Le lieu est devenu précieux depuis que les services d’aide classiques ont dû réduire leur offre, voire la mettre entre parenthèses. Parce que les infrastructures y rendent impossible le respect des règles imposées par crise sanitaire. Et que les bénévoles habituels des associations, dont beaucoup sont retraités, ont été obligés de prendre un peu de recul : au-delà de 65 ans, on risque davantage de contracter le Covid-19.

Pour les gens à la rue, il est devenu (encore plus) compliqué de trouver à manger, de laver ses vêtements, de prendre une douche.
“Aujourd’hui, c’est la folie...”
Sous l’impulsion de Bruss’Help (Centre d’appui au secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri), Rolling Douche, Bulle, la Source et le centre Athena conjuguent leurs forces pour faire tourner ce centre de jour géré par Médecins du Monde.
Dans ce pôle de jour ouvert, en urgence, il y a deux semaines par des acteurs de première ligne, les publics les plus fragilisés de la capitale trouvent, entre 9h et 17h, un portail d’accès à des services de première nécessité.
“Aujourd’hui, c’est la folie! À 14 heures, il y a déjà eu 150 entrées”, commente Amélie Deprez. Une affluence exceptionnelle. Le bouche-à-oreille a bien fonctionné dans les publics précarisés. Le centre est pensé pour pouvoir accueillir jusqu’à maximum 80 personnes en même temps, pour éviter la contamination par le Covid-19. Des marquages ont été tracés au sol pour faire respecter la distanciation physique.

À l’accueil, à droite en entrant, les bénéficiaires doivent indiquer quel service ilss souhaitent : prendre une douche, faire une lessive, manger et/ou faire une sieste (il y a dix lits à disposition).
On croise des hommes, des migrants qui gravitent d’ordinaire autour du parc Maximilien, des Belges, des “maroxellois”, des citoyens d’origine algérienne ou bulgare, qui vivent dans la précarité, quelques femmes, très minoritaires.
“On a réussi la mixité du public. L’ambiance est assez zen. Il y a parfois un peu d’énervement dans les files ou une bagarre, mais c’est très rare. La plupart du temps, il y a vraiment du respect les uns envers les autres”, se réjouit la coordinatrice. Une quarantaine de bénévoles s’activent dans le centre de jour, répartis en 15 postes différents. “On a lancé un appel et 650 volontaires se sont proposés. C’est incroyable de voir cette solidarité !”.
Les copains d'avant
Il n’y a pas de consultations médicales sur place, mais le centre Athena, qui accueille toutes les personnes qui n’ont pas accès aux soins, est à quelques minutes à pied de là. Les gens peuvent aussi, en fonction de leurs besoins, être réorientés vers d’autres dispositifs d’aide ou d’accompagnement. Si quelqu’un ne se sent pas bien, il est immédiatement dirigé vers le centre médical Athéna.

Dans la cour intérieure de l’auberge, trois copains refont le monde. Des habitués du premier jour. “On se connaît d’avant”, explique Laurent, 45 ans. “On a un logement mais quand on a payé le loyer, il ne reste plus grand-chose. Alors on vient ici”. Avant l’épidémie de coronavirus, c’étaient des fidèles de l’opération Thermos.
Christian, 71 ans, touche une trop petite pension. “Sans colis alimentaires, je ne m’en sors pas”. Alessandro, 38 ans, intervient : “Financièrement, il ne peut pas se permettre de rester confiné à la maison. Il doit sortir pour manger”. Christian hausse les épaules. “Il ne faut pas se rapprocher les uns des autres. Mais le coronavirus ne me fait pas peur. Je ne suis jamais malade. La grippe, je ne sais même pas ce que c’est”.