"Les ados ont été mis de côté tant qu’ils n’étaient pas un problème"
Pour le directeur du service d’accueil de crise Abaka, on n’a pas expliqué correctement le confinement aux jeunes.
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- Publié le 03-06-2020 à 11h16
- Mis à jour le 03-06-2020 à 14h35
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Pour le directeur du service d’accueil de crise Abaka, on n’a pas expliqué correctement le confinement aux jeunes.
Si on n’a pas demandé l’avis des enfants au cours de la crise sanitaire, les adolescents vulnérables ont aussi été "mis de côté", constate Eric Fairier, directeur de l’ASBL Abaka, à Ixelles, qui propose un hébergement d’urgence pour les 12-18 ans. Ce service n’a pas fermé boutique pendant le confinement. "On a dit aux ados, comme à tout le monde : rentre chez toi. Et tant pis s’il y a des problèmes à la maison… Au début, ils étaient sur leur GSM et les réseaux sociaux. Ils ne faisaient pas de vagues. On ne s’est intéressé à eux que quand le confinement est devenu plus dur et qu’ils devenaient un problème." Notamment parce qu’ils ne respectaient pas les règles du confinement. "Ils vivaient ça de manière étrange : ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient devenus une menace. Tout cela était un peu compliqué pour eux. Mais il n’y a jamais eu d’informations claires qui leur ont été adressées."
Mis à la porte de son appartement
Au plus fort de la crise, des institutions du secteur de l’aide à la jeunesse ont arrêté les mandats de prise en charge résidentielle, poursuit Eric Fairier. Un gamin de 16 ans, placé en semi-autonomie, a ainsi été mis à la porte de son appartement parce qu’il y avait ramené une jeune fille qui avait besoin d’aide. Il ne s’était montré ni violent, ni agressif, ni vulgaire : il avait juste dépassé les limites. Résultat : l’ado s’est retrouvé à la rue, sans aucune solution.
Il est venu frapper à la porte d’Abaka. Le Projet éducatif particulier (PEP) accueille les adolescents, en urgence et sans conditions, 24 heures sur 24, les héberge (jusqu’à 7 jours) et les accompagne. Une trentaine de jeunes dans le même cas, ou qui ont fugué de leur famille ou de l’institution dans laquelle ils étaient placés, sont passés par Abaka pendant le confinement. Il a fallu adapter les pratiques. "On leur a expliqué qu’on pouvait les héberger mais que les mesures sanitaires étaient importantes pour le personnel. Les termes du contrat sont clairs : tu peux faire ta crise, mais tu portes un masque. Ils ont tous adhéré à ce qu’on leur demandait, sans broncher."
Renvoi de patate chaude
Ce service non mandaté de l’aide à la jeunesse travaille - en principe - à la demande des adolescents et de leur famille. Pendant le confinement, les admissions étant "gelées" dans les institutions, pour cause de coronavirus, Abaka a fait office de service d’urgence du secteur. Quand la police appelait, à 14 heures, pour une gamine de 15 ans qui cassait tout chez elle ; quand des policiers débarquaient à minuit avec un gamin menotté, avec une main cassée… "On nous renvoyait la patate chaude. On a bien voulu jouer le jeu, entre le cœur et la raison", explique encore le directeur, mais il manquait un maillon dans la crise, qui aurait pu être gérée de façon plus globale. "Les associations sont restées esseulées."
L’équipe d’Abaka (8 éducateurs, une assistante sociale, une psy, un coordinateur, un secrétaire, une femme de ménage) a tenu bon. "À 20 heures, quand j’applaudissais les soignants, j’applaudissais aussi mes éducateurs qui faisaient la nuit pour offrir à ces jeunes quelque chose d’apaisant."
Tous les fugueurs interpellés
La première semaine, tous les fugueurs étaient interpellés à Bruxelles, à Dinant, Arlon… et adressés à Abaka par un service d’aide à la jeunesse ou un service de protection judiciaire, raconte le directeur. "On passait beaucoup de temps pour être à l’écoute de ces jeunes qui n’avaient pas de solution."
Sans compter les ados renvoyés en famille pour cause de coronavirus. "Ne sachant combien de temps la crise sanitaire allait durer, le cabinet (Glatigny, NdlR) a demandé de remettre les enfants chez eux. Les parents défaillants devenaient soudain responsables, sans coaching", s’étonne Eric Fairier. Pendant la crise, le service a maintenu un lien avec les ados et leurs familles, souvent précarisées, sans réseaux autour d’elles et vivant dans la promiscuité.
La famille est d’ailleurs toujours invitée à prendre part à l’accompagnement proposé par l’association. "On met les parents au travail, en actionnant leur rôle positif." Comme la maman de cet adolescent qui se montrait violent en famille - son seul mode de réponse quand il ne comprend pas. Mi-mars, il n’y avait aucune solution de placement possible. "On a coaché la maman pour qu’elle voie aussi le bon côté de son fils. Pendant 8 semaines, ils ont réussi à essayer de s’apprécier." L’histoire a connu une jolie fin : la famille vient d’emménager dans un autre appartement, plus spacieux. "C’est lui qui a trouvé la solution."