Statues du roi Léopold II déboulonnées: "Retirer ces symboles ne va rien résoudre !"
Éradiquer des représentations de l’ancien fait-il avancer le débat sur le racisme ? Patrick Weber ne le pense pas.
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Publié le 12-06-2020 à 07h02 - Mis à jour le 19-06-2020 à 15h23
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Éradiquer des représentations de l’ancien temps fait-il avancer le débat sur le racisme ? Patrick Weber ne le pense pas.
La chasse aux statues est ouverte, que ce soit à Bruxelles, en France, en Angleterre ou aux États-Unis. Les représentations de Léopold II, de Colbert (l’auteur de la loi de portant sur les rapports entre maîtres et esclaves dans les colonies françaises d’Amérique, NdlR), de Christophe Colomb ou de la reine Victoria sont priées de dégager de l’espace public. Il faut cesser de glorifier des tyrans, clament leurs plus fervents opposants.
Historien de l’art et archéologue de formation, les statues, Patrick Weber connaît ça. "Je n’ai pas l’impression qu’en déboulonnant une statue, on résout un problème. Au contraire, dit-il. Le cacher ou le nier n’est jamais la bonne solution. On est dans le registre du symbole. Ériger une statue en est un, la déboulonner en est aussi un. Et cette dernière pratique n’a rien de neuf. Il y a 4 000 ans, on faisait la même chose. Quand un empereur voulait vouer aux gémonies le souvenir de l’un de ses prédécesseurs, il faisait détruire les statues. En Égypte, Ramsès II allait plus loin en récupérant à son compte les représentations de ses prédécesseurs. Il virait le nom pour mettre le sien à la place. Si ça devait régler les problèmes, ça se saurait."
Dès lors, pourquoi vouloir les éradiquer ?
"Je comprends qu’il y ait une sensibilité aujourd’hui. Ça tient au fait que, dans certains pays - le nôtre en fait partie - on ne veut pas regarder l’histoire en face. Il y a vraiment, chez nous, un problème avec ça. En France, aussi. Un peu moins chez les Anglo-Saxons. Ou alors, l’histoire est si effroyable que le pays ne peut faire autrement que de la regarder en face. C’est le cas de l’Allemagne. À Berlin, il y a un extraordinaire musée de l’histoire allemande. Il n’évacue aucun des sujets qui fâchent, qu’il s’agisse de la colonisation allemande en Afrique de l’Ouest et en Namibie, qui a été terrible, ou de ce qui s’est passé en Europe au XXe siècle."
Que faire pour avancer ?
"Changer des noms de rue et déboulonner des statues, c’est facile. Et après ? On n’a rien expliqué. On juge l’histoire d’hier avec notre regard d’aujourd’hui, ce qui est une erreur. Il faut se plonger dans l’époque et se poser les bonnes questions. Une statue raconte un morceau d’histoire. Ce qui est important, c’est de la contextualiser. J’ai eu l’occasion de visiter le musée de l’esclavage, en Guadeloupe. Il est formidable et j’en suis sorti les larmes aux yeux. Tout y est expliqué à la fois du point de vue des Européens - les esclavagistes -, des victimes et aussi de la traite négrière dans le monde arabe. Quand un musée est aussi bien fait, ce n’est pas grave d’avoir une statue de Colbert ou de Louis XIV. Parce qu’on comprend les choses."
Comment matérialiser cela chez nous ?
"Plutôt que de tout casser, si on fait une exposition ou un musée qui raconte vraiment ce qu’est l’esclavage à un moment précis de notre histoire, et que l’on met cela en parallèle avec cette révolution industrielle qui a fait que l’Europe s’est inventé une mission colonisatrice à travers le monde, alors c’est intéressant. Ce n’est pas facile, beaucoup moins que de mettre à terre une statue ou de la vandaliser, et ça coûte cher. Mais ça en vaut la peine."
Les tensions actuelles ne radicalisent-elles pas chaque camp ?
"Il faut dépasser le stade de l’émotion pour rentrer dans la réflexion. Il faut savoir demander pardon et présenter des excuses. Longtemps, on ne l’a pas fait. Puis, on l’a beaucoup fait. Mais par-delà, il faut savoir se parler. Il ne faut jamais faire l’économie d’un débat. Le problème, aujourd’hui, est qu’on ne se parle plus. Ou pas."