Les 75 moutons saisis lors de la fête de l'Aïd au coeur d'une guerre administrative : "C’est inadmissible qu’on fasse du chantage avec le bien-être animal”
Destinés à un abattage interdit, ils ont été refusés par des refuges qui se méfient de l’Administration. Un refuge pour… chevaux a dû les accueillir dans l’urgence.
Publié le 02-08-2020 à 09h16
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Ce vendredi, dans le cadre de la fête de l’Aïd, 75 moutons ont été saisis chez des particuliers à Marcinelle, Walcourt et Wavre. Ces animaux étaient destinés à un abattage rituel non-autorisé. Ces saisies ont été orchestrées par l’Unité wallonne du Bien-Être Animal (UBEA), avertie par les trois polices locales.
La suite a viré au surréalisme symptomatique du profond malaise qui chaotise le secteur du Bien-être animal wallon et de la guerre qui oppose la moitié des refuges aux autres et à l’administration.
La question était simple. Que faire de ses moutons ? La réponse ne l’a pas été. “Nous avons appelé un refuge qui ne pouvait les prendre en charge. Puis, un deuxième, Silence Animal à Mouscron, qui a refusé “, explique un fonctionnaire de l’UBEA.
Finalement, les animaux ont tous atterri au refuge Natur’Horses, à Braine-le-Comte : “Il n’était pas agréé pour recevoir des moutons, nous avons dû signer une dérogation”, poursuit le fonctionnaire.
Pas agréé, pas directement équipé non plus. À Braine-le-Comte, Silvia Cardella s’est démultipliée : “Quand nous avons été contactés par l’UBEA,, nous avons cherché dans d’autres refuges. Refus partout ! Pas de places, ou pas question, tant que ce n’est pas une saisie ordonnée par un bourgmestre. Nous avons aménagé un enclos provisoire, à l’aide 47 barrières fournies par l’échevin du Bien-Être animal. Les bénévoles couraient dans tous les sens pour préparer les arrivées successives pendant que j’installais les premiers moutons. Très vite, ma clôture de fortune n’a pas suffi. Vite du filet de chantier et des ficelles à ballots. 22 h 30 quand je termine de les installer, de les nourrir et abreuver. Ils étaient affamés et assoiffés. Certains boitent, toussent et ont le nez qui coule. 75 bouches à nourrir pas prévus dans mon budget déjà bien serré. Et un besoin d’un bâtiment et un enclos de contention pour les faire examiner par un vétérinaire. J’ai besoin de bénévoles.”
L’improvisation a été totale. Aurait-elle pu être évitée ? Oui et non.
En fait, en contactant le refuge de Mouscron, l’UBEA savait qu’il y avait risque de refus. Silence Animal fait partie de l’Union wallonne pour la Protection Animale (UWPA), une association qui regroupe la moitié des refuges, dont la plupart de ceux qui se chargent des animaux de ferme. Cette association a été créée dans la foulée de la fameuse “Grève des refuges”, qui, il y a deux ans, pestaient contre une décision de l’UBEA de restituer, après saisie, des animaux maltraités à leur marchand. Ensuite, le ministre Carlo Di Antonio (cdH) avait octroyé aux bourgmestres le pouvoir d’ordonner des saisies, ôtant ainsi le monopole d’action à l’UBEA.
Depuis, c’est le schisme, les refuges de UWPÄ ne travaillent plus qu’avec les bourgmestres. Les autres continuent à collaborer avec l’UBEA.
Celle-ci, ayant rapidement reçu des informations comme quoi les autres refuges de UWPA refuseraient tout autant ces 75 moutons, s’est donc retournée, vendredi, vers Natur’Horses. “Sur ce coup-ci, on aurait pu faire une trêve”, peste Silvia Cardella. “Le contexte était particulier. On savait que ce vendredi serait chaud. C’est la première année que la Région wallonne interdit l’abattage sans respecter certaines règles d’étourdissement (NdlR. D’où l’émergence d’abattoirs clandestins et de ventes de moutons en stoemelinckx). Et on savait qu’à cause du Covid, beaucoup de musulmans qui d’habitude retournent dans leur pays pour l’Aïd., seraient ici pour célébrer leur fête. C’est inadmissible qu’on fasse du chantage avec le bien-être animal.”
De trêve, il n’y en a point eu…
“Aucun de nos refuges n’aurait accepté”
Un leader de l’UWPA dénonce le manque de respect de l’administration et de la ministre
Dehlia Vandendriessche, de Silence Animal, a-t-elle sondé des leaders de l’UWPA ou d’autres refuges de son clan avant d’exprimer son refus d’accueillir 12 des 75 moutons ? Les intervenants dans ce dossier ne sont pas loin de l’affirmer. La présidente du refuge a une autre version : “L’UBEA m’appelée. J’ai dit que je donnerais ma réponse dans cinq minutes. On ne m’a plus rappelée.” Peu importe… “J’aurais de toute façon été solidaire avec mes confrères de l’UWPA.”
À ce titre, Jean-Marc Montegnies, président de la Fédération francophone des refuges agréés pour chevaux et animaux de ferme (FeFRACAF), affilié à l’UWPA, et fondateur d’Animaux en Péril (Ath), assure ne pas avoir été contacté ce vendredi. “De toute façon nous aurions refusé. Des dizaines de moutons prêts à se faire abattre sans étourdissement, bien sûr que cela nous touche. Ne pas pouvoir intervenir est terrible. Mais voilà qu’on nous demande une trêve. Je veux bien mais la trêve aurait tout aussi bien pu venir de l’autre camp. Il suffisait que l’UBEA demande aux bourgmestres, avec qui nous travaillons, d’ordonner, eux-mêmes les saisies. Ils ne l’ont pas fait. Résultat, ces 75 moutons sont aujourd’hui dans un refuge qui n’est pas prévu pur eux.”
Sur le fond, il y a bras de fer en fait.
L’UWPA reproche à l’UBEA un présumé laxisme, un manque de réactivité d’effectifs, une approche un peu trop sociale qui mènerait à des restitutions à des propriétaires saisis, voire des préoccupations économiques lorsqu’il s’agit de couper la tête de gros marchands. Militantistes, ces refuges veulent un droit de regard et d’avis sur la destination des animaux après saisie. Ils se sentent libres de ne pas obéir à l’administration alors qu’ils ne sont pas subsidiés.
Du côté de l’UBEA et des autres refuges, on reproche à l’autre clan d’agir comme des “cow-boys”, dans l’urgence, n’hésitant pas à bafouer les procédures. Pour ces refuges, chacun doit rester à sa place. L’UBEA décide, les refuges exécutent et accueillent des animaux saisis.
“Là, tout d’un coup, on nous demande de lâcher du lest alors que la ministre wallonne Céline Tellier nous avait promis une réunion en janvier”, poursuit Jean-Marc Montegnies.” Elle n’a jamais eu lieu. Nous laissons pourtant la porte ouverte à toute velléité réconciliatrice. Mais on nous manque de respect.”