Plongée d’un anthropologue dans le monde du trafic de cocaïne à Anvers
Teun Voeten connaissait le Mexique et a vu la montée des périls à Anvers. Bart De Wever a accepté ses services. Son étude de cas est passionnante.
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Publié le 21-08-2020 à 10h23
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En 2018, une grenade explose à Deurne dans la rue où vit Teun Voeten, un Néerlandais installé de longue date en Belgique. C’était là un nouvel épisode dans la lutte que se livrent des gangs de cocaïne dans la métropole. Teun Voeten est anthropologue et journaliste. Photographe de guerre, il a couvert de nombreux conflits.
Il a étudié la guerre sans merci des cartels de la drogue mexicains, y consacrant une thèse en 2018. D’où l’idée d’étudier de plus près la situation anversoise. Il l’a soumise à Bart De Wever, qui a accueilli favorablement l’idée.
Il a interrogé plus d’une centaine de personnes. Et notamment - c’est cela l’originalité de son travail - des trafiquants, petits ou grands, rencontrés en prison, parvenant à gagner leur confiance avec sa connaissance de la situation mexicaine qu’il expliquait en prison.
Teun Voeten a synthétisé dans un ouvrage sa recherche. C’est "Drugs : Antwerpen in de greep van nederlandse syndicaten" (Drogues : Anvers sous l’emprise des syndicats de la drogue néerlandais). L’ouvrage, publié chez Van Halewyck, n’est pas traduit en français.
L’ombre des Pays-Bas
L’auteur voit la source des problèmes d’Anvers aux Pays-Bas car 90 % de la cocaïne qui arrive par le port est destinée aux Pays-Bas, d’où elle repart dans toute l’Europe. Le milieu de la drogue y est devenu de plus en plus violent ces dix dernières années, dépassant un palier en septembre 2019 avec l’assassinat par un tueur à gages de l’avocat néerlandais Derk Wiersum, devant son domicile amstellodamois.
À Anvers, où la violence est bien moindre, ce sont ces groupes néerlandais, rapporte encore M. Voeten, qui tirent les ficelles. "Les groupes criminels à Anvers sont surtout actifs dans la récupération de la cocaïne cachée dans les conteneurs qui arrivent au port tandis que les groupes installés aux Pays-Bas gèrent les transports, financent et blanchissent les gains."
Les Anversois travailleraient un peu comme des free-lances ou des intérimaires, pour des groupes criminels néerlandais. Ceux-ci préfèrent Anvers à Rotterdam car il y a moins de contrôle. Petite anecdote, Teun Voeten relate que la cocaïne est bien souvent cachée dans des sacs Nike car eux seuls résisteraient aux charges de 50 kg.
Les gains pour les petites mains du port peuvent être hallucinants. Un conducteur de grue peut ainsi recevoir 50 000 euros pour déplacer un conteneur au bon endroit. Un ouvrier du port peut recevoir 1 000 euros par kilo de cocaïne pour son aide, relate M. Voeten.
Côté vente au détail, un dispatcheur qui a deux courriers qui livrent pour lui peut ainsi se faire entre 1 500 et 1 700 euros par soirée de week-end. Son actif le plus important est sa liste de clients, avec numéro de GSM pour les relancer régulièrement par SMS du type "3+1 gratuit" ou WhatsApp. De telles listes peuvent atteindre le millier de noms.
Une affaire de famille
Le dispatcheur garde jalousement cette liste qui peut se vendre 10 000 euros, voire se transmettre de père en fils. Car cela est régulièrement une affaire de famille. Un dealer lui a même raconté qu’un fils avait débuté en volant une partie du stock de son père caché dans le garage.
Teun Voeten a rencontré 15 dealers détenus. Aucun n’a dit que c’était la pauvreté qui l’avait conduit à cette activité. Au contraire, écrit-il, beaucoup ont indiqué qu’ils avaient eu des chances dans la société qu’ils n’ont pas saisies. Si une femme raconte que son frère voulait vendre de la drogue tant qu’il n’avait pas gagné de quoi s’acheter une maison, c’est une exception.
La plupart préfèrent flamber en vêtements ou chaussures. "Tu gagnes 200 à 300 euros par jour. Tu travailles pour toi-même, sans patron. C’est agréable et intéressant. C’est mieux que d’être huit heures par jour en entreprise", lui a raconté un dealer de cocaïne.
D’aucuns estiment que la légalisation de toute drogue ferait chuter la criminalité. Pour Teun Voeten, cela ne serait pas une bonne idée, d’abord pour des questions de santé publique. De plus, ajoute-t-il, le crime organisé est si flexible qu’il trouverait rapidement des alternatives : si, par exemple, la cocaïne était en vente libre, les réseaux criminels se recycleraient vers le crack…