Révolution chez les francs-maçons: le Grand Orient de Belgique ouvre ses rangs aux femmes
Pour la première fois, des loges du Grand Orient de Belgique pourront initier des femmes. Il s'agit d'une décision historique pour la plus grande obédience du pays. Mais une décision qui ne fut pas facile à prendre.
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Publié le 16-09-2020 à 06h43 - Mis à jour le 16-09-2020 à 11h36
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Il aura donc fallu plus d’un siècle pour que le Grand Orient de Belgique (GOB), la principale obédience franc-maçonne du pays, sorte des sables mouvants que constituait pour lui le débat sur la mixité en son sein.
Le 15 novembre prochain en effet, l’Assemblée du GOB entérinera officiellement l’ouverture de ses rangs à la mixité, votée le 16 février dernier. Si depuis 2001, les 120 loges du Grand Orient pouvaient recevoir en visite, dans le cadre de leurs ateliers, des "sœurs" issues d’autres obédiences, elles pourront désormais les affilier et les initier en leur sein.
Trois fédérations
C’est en 1910 que le débat sur la mixité fut explicitement posé dans les loges belges. Mais ce sont ces dernières décennies qu’il s’enflamma, au point de laisser apparaître des risques de schisme du Grand Orient de Belgique, à l’instar d’autres obédiences à travers l’Europe.
Au niveau international en effet, alors que la très conservatrice franc-maçonnerie anglo-saxonne (qui représente 90 % des 5 millions de maçons dans le monde) n’entend pas aborder la question de son ouverture à la mixité, la franc-maçonnerie latine, dont l’essentiel des maçons belges sont issus, s’est historiquement montrée plus ouverte sur ce point. En Belgique, au sein du GOB, les frères se sont pourtant toujours écharpés sur ce débat, malgré l’évolution de la société, les exemples français, luxembourgeois ou belges. Dans notre pays, l’obédience "Le Droit humain" et la confédération de loges "Lithos" sont en effet mixtes et ont d’ailleurs vu croître leurs rangs, pour cette raison de la mixité, ces dernières années.
"Poussée par une majorité soucieuse de faire avancer le débat, l’Assemblée de frères a décidé en 2017 que mon mandat de trois ans - qui se terminera en novembre - devait tenter de régler une fois pour toutes cette question", explique Henry Charpentier, Grand maître du GOB.
Le débat, porté initialement par une minorité de frères, resta houleux tout au long de son mandat et nécessita plusieurs votes, avant un compromis accepté et voté par plus de deux tiers des membres le 16 février dernier. "Le compromis final consiste à modifier les statuts de l’obédience pour qu’elle devienne une instance fédéraliste comprenant trois fédérations : une fédération de loges exclusivement masculines pour celles qui souhaitent le rester, une fédération de loges mixtes et une fédération de loges féminines. Les 120 loges actuelles choisiront donc de rejoindre une fédération ou une autre, alors que tous les frères et les sœurs seront rassemblés sous le même statut", précise Henry Charpentier, satisfait du consensus. "Je ne parlerais cependant pas de révolution, nuance-t-il au moment de qualifier ce vote historique. Il consacre plutôt une évolution des mentalités et rappelle que la masculinité n’est en rien une valeur maçonnique."
Des francophones plus conservateurs ?
En 2020, qu’une telle mixité puisse faire l’objet de débats si difficiles et si longs, peut apparaître étonnant, admet encore le Grand maître. Ils s’expliquent en réalité par le poids de la tradition, historiquement promue avant tout par la franc-maçonnerie anglo-saxonne, précise-t-il. "Sans oublier que l’âge moyen des frères au GOB est légèrement supérieur à 60 ans. Ils sont donc, pour une part, entrés dans les loges alors que les débats sur l’égalité hommes-femmes n’étaient pas encore aussi importants qu’aujourd’hui." De plus, au-delà de la tradition et du souhait de rester "entre hommes", "certains souhaitaient demeurer sur la ligne masculine parce qu’ils considéraient que les femmes pouvaient être initiées dans d’autres obédiences et que la question était en ce sens réglée ; qu’il ne fallait donc pas faire perdre au GOB sa caractéristique masculine".
En définitive, la solution votée en février, qui permet aux loges qui le désirent de pouvoir rester masculines, se présente comme un compromis indispensable face à la rudesse des débats. Un consensus qui aura donc convaincu certains francophones, majoritaires au sein du GOB et plutôt réservés quant à cette évolution. Au contraire, les néerlandophones "pratiquent davantage les visites interobédientielles et reçoivent plus souvent des sœurs", constate Henry Charpentier. "Ils se sentaient donc peut-être plus libres vis-à-vis de cette tradition. Ce qui n’infère en rien que les débats aient mis en présence des néerlandophones unanimement favorables à la mixité et des francophones opposés à celle-ci."
Des sœurs et une minorité de loges attendent la mise en application, dès la mi-novembre, de ces changements institutionnels, conclut le Grand maître. Rien ne dit encore pour autant si cela bouleversera, ou non, la représentation des femmes au sein de la franc-maçonnerie en Belgique.
En chiffres
Avec ses 10 000 frères , le Grand Orient de Belgique (GOB) est la plus importante obédience parmi les plus de 25 000 maçons que l’on compte en Belgique (un chiffre qui reste stable). Outre le GOB, on dénombre cinq autres obédiences ou fédérations : Le Droit humain, mixte et majoritairement féminine avec près de 8 000 membres ; La Grande Loge de Belgique, masculine, avec plus de 4 000 frères ; La Grande Loge régulière de Belgique, masculine elle aussi, avec moins de 2 000 frères ; La Grande Loge féminine de Belgique, un peu plus grande ; et Lithos, mixte, qui est née en 2006 et compte plus de mille frères et sœurs. On peut estimer que les femmes remplissent un tiers des rangs maçonniques en Belgique.