"Mouroir", "(trop) cher", "tristesse", "solitude" : les maisons de repos ne doivent pas devenir des copies d’hôpitaux
Comment les résidences pour personnes âgées vont-elles se relever ? Un récent colloque interrogeait "L’accompagnement bousculé des aînés". Stéphane Adam (ULg) pointe le risque d’une médicalisation accrue du secteur.
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Publié le 12-10-2020 à 06h39 - Mis à jour le 12-10-2020 à 09h37
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Les maisons de repos vont devoir se remettre de la crise liée au Covid-19. Il ne leur fallait pas ça. L’épidémie a chamboulé un secteur gériatrique déjà sous forte tension avant l’arrivée du coronavirus. L’irruption du coronavirus a exacerbé des réalités complexes et (re)mis en lumière les besoins multiples des résidents, des proches et des professionnels, souligne la coordination Infor-Homes/Home-Info. Mais, à côté des témoignages d’angoisse, de tristesse et de révolte, on a aussi vu apparaître des initiatives inspirantes et solidaires.
Comment maintenir la flamme, où trouver du soutien, par quels moyens générer de nouvelles collaborations ? Le colloque annuel de l’ASBL, organisé récemment à distance, interrogeait "L’accompagnement des aînés bousculé" pour mieux comprendre et rebondir.
Des couloirs sans déco
Les maisons de repos devraient être des lieux de vie où, accessoirement, des personnes âgées sont soignées, place Stéphane Adam, neuropsychologue, responsable de l’Unité de psychologie de la sénescence à l’Université de Liège.
C’est loin d’être le cas. La majorité des résidences sont de grande taille : en dessous de 100 lits, les structures soumises à de multiples normes et agréments ne sont pas viables financièrement. Surtout, les maisons de repos et de soins (MRS) ressemblent à des hôpitaux. Il suffit de considérer l’aménagement intérieur. "L’exemple le plus frappant, ce sont les couloirs", décrit Stéphane Adam. "Ils sont vides, longs, avec des portes qui se ressemblent toutes et peu de déco." Les seuls objets qu’on trouve sont des poubelles PMC, des boîtes de gants jetables, un lève-personne dans un coin et, "le plus rencontré, le chariot médicalisé". Cela rend saillante la dépendance du public dans un univers médicalisé, poursuit le neuropsychologue.
Où sont les psychologues ?
Avant la crise du Covid, les maisons de repos étaient déjà touchées par la médicalisation, au détriment des aspects psychosociaux (santé mentale, qualité de vie, bien-être…). Il suffit de considérer les normes en matière de personnel : pour 30 résidents MRS, il faut 5 équivalents temps plein (ETP) infirmiers, 5,2 ETP aides-soignants, 1 ETP kiné et/ou ergo et/ou logothérapeute et… 0,1 ETP éducateur ou psy. Le Covid a encore déplacé le curseur vers les aspects de santé, d’hygiène, de sécurité, souligne Stéphane Adam.
Ce contexte et l’image très négative des maisons de repos ont forcément un impact sur les résidents et ceux qui y travaillent. Les premiers mots qui viennent à l’esprit des personnes âgées quand on évoque la maison de repos sont "mouroir", "(trop) cher", "tristesse", "solitude"…
Toutes les études montrent une insatisfaction professionnelle dans les maisons de repos. On trouve davantage de burn out dans le personnel infirmer des homes que dans ceux des hôpitaux ou du secteur psychiatrique.
Peu de contrôle sur leur vie
Une étude montre qu’un soignant passe 10,7 % de son temps, pendant une journée-type, à s’adresser aux résidents ; les professionnels parlent deux fois plus avec leurs collègues… L’interaction est aussi plus fonctionnelle ("faites ceci ou cela", "levez-vous"…) que véritablement relationnelle, en s’intéressant à la personne âgée et à son histoire de vie.
Dans ce système, les résidents sont au bas de l’échelle, avec peu de contrôle sur leur vie, alors qu’il est établi que laisser à la personne un espace de liberté et de choix a un rôle déterminant sur sa longévité. La crise sanitaire a diminué cette autodétermination dans l’ensemble de la population et l’a encore fait reculer dans les maisons de repos. Pour les protéger du virus, les seniors ont été enfermés dans leur chambre, sans qu’on leur demande leur avis.
"Communiquer, c’est soigner"
Les problèmes de détresse psychique des résidents sont antérieurs à la crise du Covid. Des études menées sur les 20 dernières années montrent que 61 % de résidents disent souffrir de solitude et, pour un tiers d’entre eux, de solitude extrême. Avant le passage du coronavirus, la dépression touchait déjà 50 % des aînés en institution (contre 5 % de ceux qui sont à domicile).
La crainte existe qu’on renforce encore cette approche orientée sur les soins et qu’on envisage une gestion exclusivement sanitaire des maisons de repos, alors que c’est du côté inverse qu’il faut aller, insiste Stéphane Adam.
Le spécialiste du vieillissement questionne le port de la blouse blanche. "L’uniforme instaure une distance relationnelle, avec un rapport d’aidant/aidé." Il y aurait aussi beaucoup à gagner à ce que les professionnels laissent tomber la blouse (qu’elle soit blanche, bleue ou rose), affirme le chercheur de l’ULg. "Quand les gens travaillent en civil, on constate qu’il y a plus d’échanges verbaux, plus de relations." Et donc plus de vie. La formation des professionnels devrait aussi être améliorée, notamment en matière de communication, verbale et non verbale. "Les contenus des formations, ce sont souvent des savoirs et des techniques, mais on n’apprend pas comment s’adresser aux personnes âgées, à leurs proches, à leurs familles. Communiquer, c’est soigner."