"Il faut bien qu’ils continuent dans l’entraide, sinon ils crèvent": les difficultés des plus démunis face à ce second confinement
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Publié le 04-11-2020 à 13h08 - Mis à jour le 15-11-2020 à 17h31
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Ils n’ont pas de villa quatre façades. Ils n’ont pas de jardin - sinon public. Ils n’ont pas de boulot qui permet le télétravail. Ils n’ont pas la santé. Ils n’ont pas de vacances. On ne les voit pas, on ne les entend pas - ou si peu. Comment les ménages pauvres, les familles monoparentales, les personnes isolées, les mal-logés, les gamins touchés par la précarité même quand leurs parents rament pour que ce ne soit pas le cas, vont-ils vivre ce second confinement ?
Une autre réalité
"Ce sera long, exigeant et difficile, soupèse Christine Mahy, secrétaire générale et politique du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP). Quand on entend dire à la population : soyez patients et obéissants, il faut faire cet effort pour que le monde hospitalier ne s’écroule pas, le discours reste généraliste. Comme si tout le monde pouvait facilement faire ces efforts et les comprendre ! On entend encore peu de nuances par rapport aux conditions de vie dans lesquelles se trouvent les gens en situation de pauvreté ou appauvris. Ce n’est vraiment pas simple pour eux."
Comment fait-on pour isoler un membre de la famille positif au Covid quand on vit entassés à huit dans trois pièces ? Comment refuser de faire entrer chez soi plus d’une personne quand on (sur)vit de la solidarité et d’échanges de petits services : je garde tes gosses quand tu craques ; tu fais de même quand je suis de service la nuit… "Il faut bien qu’ils continuent dans l’entraide, sinon ils crèvent", tranche Christine Mahy. Comment on fait pour acheter du gel hydroalcoolique ou des masques quand on doit frapper aux Restos du cœur pour manger ?
Par rapport à la première vague, il y a cette fois une certaine prise de conscience par rapport à cette autre réalité vécue par une partie non négligeable de la population "oubliée, invisible ou invisibilisée, reconnaît Christine Mahy. On se rend compte, par exemple, que les masques, ça coûte cher".
Le même masque pendant (trop) longtemps
Impossible, pour les publics plus fragiles, d’acheter des masques chirurgicaux en pharmacie. Des protections en tissu ? Les gens dans la pauvreté ne sont pas en mesure de laver ce carré de coton à 60° après chaque usage ; ils n’ont pas de machine ou économisent le nombre de lessives. Alors ils portent le même bout de tissu pendant (trop) longtemps, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. "Au cours de la première vague, on avait pris des contacts pour que des masques en tissu soient fournis en quantité, dix par personne par exemple, gratuitement ou à un prix modique. On n’a rien vu venir…" constate Mme Mahy.
Des solutions devraient aussi être proposées aux personnes contaminées qui ne peuvent pas se mettre en isolement en raison de l’exiguïté de leur logement ; on pourrait par exemple organiser des quarantaines dans des auberges de jeunesse ou des hôtels, poursuit la représentante du RWLP.

Le déni, un moyen de défense
"Les pouvoirs publics devraient montrer qu’ils cherchent des pistes. Le fait qu’ils ne prêtent pas assez attention aux conditions de vie des gens cultive le déni. Si on n’a pas la possibilité de respecter l’impératif de sécurité sanitaire, alors on dit que le virus n’existe pas ou qu’il n’est pas si dangereux… Sinon, ces personnes seront toujours mises devant la contradiction de ne pas faire assez bien ce qu’il faut. Le déni par rapport au coronavirus, c’est leur moyen de défense." Il faut communiquer vers cette partie de la population, qui se sent toujours déconsidérée, mais il faut surtout mettre des moyens en place pour soutenir ces publics, insiste Christine Mahy. "Ce n’est pas par hasard que des groupes de jeunes racontent sur les réseaux sociaux qu’ils ne croient pas au coronavirus, que c’est une invention des autorités pour encore plus les contrôler dans l’espace public. On doit entendre ce qu’ils ont à dire dans leur colère. C’est très compliqué après plusieurs décennies d’abandon de politiques de prévention."
"Il faut un accès gratuit à Internet"
Comment "tenir" en confinement dans ce contexte ? Un courrier est parti vers les ministres responsables aux niveaux fédéral et fédérés pour leur demander de négocier avec les fournisseurs un accès gratuit à Internet pour tous les ménages en situation de précarité. Soit, au minimum, pour les bénéficiaires de l’intervention majorée pour les soins de santé, de bourses d’études ou d’allocations familiales majorées. "Y compris pour les mauvais payeurs, ajoute Mme Mahy. On est en situation de crise. Quand l’univers se rétrécit, il faut prévoir des soupapes. On peut encore sortir, mais les maisons de jeunes ne peuvent plus organiser d’activités, ni en intérieur, ni en extérieur. Les ados doivent pouvoir rester en contact avec leurs copains et, quand l’école reprendra à distance, suivre les cours. Il faut garantir que les technologies de la communication restent accessibles tout le temps."
Au plus près des jeunes
C’est aussi une question de santé mentale. Le gouvernement s’est montré plus sensible à cet aspect en abordant le second confinement. "C’est vrai que la situation des personnes isolées a été terrible pendant la première vague. Donc c’est très bien qu’on prévoie des moyens pour des consultations psychologiques. Mais, dans une société, la santé mentale se travaille à travers les conditions de vie, les possibilités de communiquer, la continuité des services publics, aussi. Je reste inquiète. Qu’est-ce qu’on va offrir à ces jeunes qui sont déjà en décrochage scolaire et dans le déni par rapport au coronavirus ? Il faut mobiliser toutes les ressources : animateurs, associations d’éducation permanente, associations de jeunes pour aller au plus près d’eux et créer du lien."