Comment la Belgique a acheté 2,9 millions de doses d'un vaccin malgré un rapport défavorable
Le Fédéral a fait peu de cas de l'avis "mitigé" du Comité Consultatif, mis en place pour analyser les dossiers d'achat des candidats vaccins.
- Publié le 21-11-2020 à 19h33
- Mis à jour le 11-12-2020 à 10h44
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Le 25 novembre dernier, le gouvernement et l’Agence des médicaments et produits de santé (AFMPS) se fendaient d’un communiqué indiquant que la Belgique se joignait au contrat négocié par la Commission européenne concernant le candidat vaccin CureVac. “Le Comité consultatif (composé d’experts en charge de l’analyse des dossiers d’achat des vaccins, NdlR), a donné un avis pour le vaccin candidat de CureVac”, nous apprend le communiqué, qui annonce donc que sur “le contrat européen [concernant] l’achat de 225 millions de doses, la Belgique achètera 2,9 millions de doses”.
Les experts partagés
En fait, l’avis rendu par le Comité n’était pas positif, et ne préconisait vraisemblablement pas un opt-in (souscription à l’achat), comme cela fut le cas pour AstraZenecca, Pfizer-BioNTech, Moderna et Johnson&Johnson (et comme le précisaient les précédents communiqués sur les candidats vaccins, tous soulignant l’“avis positif” du comité).
Renseignements pris, l’avis concernant CureVac “comportait différentes options dont l’opting out” (une notification explicite que la Belgique ne souhaite pas acheter le vaccin), nous a-t-on confirmé au sein du cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A). Selon nos informations, les experts du Comité étaient partagés, et ont donc rendu un rapport “mitigé”, principalement dû au fait que la phase 3 pour ce vaccin n’avait pas encore commencé (rendant certaines données indisponibles). Un procès-verbal de la conférence interministérielle de Santé publique précise que seul le cabinet du ministre bruxellois de la Santé Alain Maron (Écolo) a, sur base de ce rapport, plaidé pour l’opt-out… avant de se raviser et de se rallier à l’opt-in. “Le fédéral a fait un argumentaire pour l’opt-in”, au nom de “la solidarité européenne et du besoin de certitude sur les quantités (de doses, NdlR), et donc nous nous sommes ralliés”, confirme le ministre.
L’importance d’un portefeuille de vaccins bien diversifié
Si le rapport du Comité n’était pas positif, cela ne remet pas en cause l’évaluation en elle-même du vaccin proposé par CureVac, qui est assurée par l’Agence européenne du médicament (EMA), comme pour tous les autres vaccins. Pour rappel, celle-ci ne s’est prononcée sur aucun des vaccins précommandés par la Commission européenne, ni même sur les candidats vaccins ayant demandé une autorisation de mise sur le marché (Moderna et Pfizer-BioNTech). Si l’EMA devait se prononcer en défaveur d’un vaccin, quel qu’il soit, le contrat d’achat serait alors dissous et les pays ayant souscrit au contrat perdraient de l’argent, puisque l’Europe finance une partie de la production des vaccins.
Le risque financier est cependant mesuré, selon Stefan de Keersmaecker, porte-parole de la Commission européenne pour les questions de santé publique. “Nous savons que si le vaccin n’est pas accepté, c’est en quelque sorte une perte d’argent, mais nous voyons cela plutôt comme un investissement : il suffit qu’un vaccin marche pour avoir un retour sur cet investissement. Et il ne faut pas oublier que même si un vaccin n’est pas autorisé, le fait d’avoir investi dans des capacités de production dans l’Union européenne est aussi une bonne chose à plus long terme.” Sans oublier que si les gains sont mutualisés… les pertes le sont aussi entre tous les États membres de l’Union.
Quand l’Union porte… bien son nom
À ce jour, aucun État membre n’a fait valoir un opt-out à l’égard des contrats négociés par la Commission européenne. “Cela démontre que cette approche commune marche bien”, confirme Stefan de Keersmaecker. “Il faut aussi savoir que lorsque nous signons ces contrats, il n’y a jamais de certitude que ces vaccins seront acceptés par l’EMA ; donc il y a toujours le risque que ce ne soit pas le cas et c’est pourquoi nous développons un portefeuille de vaccins bien diversifié. C’est pour cette raison-là que les États membres veulent participer à tous ces contrats, afin d’avoir cette assurance…”
Et si la Belgique avait suivi l’option opt-out, comme le proposait le rapport du Comité, aurait-elle été privée du vaccin ? “Si un État dit non, il est vrai qu’il ne sera pas couvert par le contrat”, explique Stefan de Keersmaecker. “Ceci étant dit, les contrats prévoient toujours que les États puissent donner une partie de leurs doses à d’autres États membres, donc il y a toujours moyen d’arranger les choses. La philosophie, c’est que si pour une raison ou une autre un État disait : ‘on n’est pas dedans’ ou ‘on a un problème’, en théorie il devrait négocier un contrat avec le laboratoire. Cela irait un peu à l’encontre de l’objectif de notre approche.” Et pourrait coûter bien plus cher à l’État membre, qui ne bénéficierait plus des conditions de prix avantageuses négociées par la Commission européenne auprès des laboratoires…
Note: À la suite de la publication de cet article, l'AFMPS a tout de même répondu que le Comité aurait proposé deux avis. Un opt-out mais aussi un opt-in pour "un nombre réduit de vaccins". L'agence ne précise pas plus mais rappelons ici qu'il est tout de même question de l'achat de 2,9 millions de doses.
Que disent les contrats ?
Transparence. La course au vaccin met les autorités et les entreprises sur les nerfs. Pas étonnant, étant donné les enjeux exceptionnels qui y sont liés. Cependant, des voix se lèvent contre le manque de transparence par rapport aux contrats négociés entre la Commission européenne et les firmes pharmaceutiques.
En France, le manque de clarté sur l’avancée dans le développement des vaccins et des données sur l’efficacité fait grincer des dents dans le milieu scientifique. Chez nous, l’association de consommateurs Test Achats pointe le manque de clarté sur les contrats négociés au niveau européen. L’AFMPS, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé, avance qu’il est compliqué d’être transparent étant donné les négociations en cours au niveau européen.
Cependant, il serait possible d’avancer des ordres de grandeur ou au moins les clauses dans les contrats. Par exemple, les firmes pharmaceutiques ont visiblement fait pression sur les États pour qu’ils prennent en charge les éventuels soucis liés aux effets secondaires potentiels et donc faire porter le poids financier, in fine, sur le contribuable. Y a-t-il des clauses spéciales à ce propos ? Étant donné les fonds publics investis dans le développement de ces vaccins, ce serait légitime, selon l’association de consommateurs. A.Msc