Grâce à la série phénomène The Queen’s Gambit sur Netflix, la folie des échecs s’empare de la Belgique : “Je vends deux fois plus de plateaux !”
Le 1er confinement avait remis en selle les échecs, la série de Netflix achève d’en faire un phénomène en Belgique aussi.
Publié le 26-11-2020 à 13h00
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À la Maison des échecs, on n’a pas attendu The Queen’s Gambit pour conseiller et vendre des plateaux et des livres de tactique sur ce jeu aux amateurs comme aux joueurs les plus chevronnés. Mais Pierre Moulin le voit chaque jour : sa boutique bruxelloise spécialisée reçoit des appels et des commandes en ligne d’un tout nouveau type de clients. "J’ai pu constater un engouement très important puisque je vends environ deux fois plus d’échiquiers en ce moment qu’en novembre 2019", explique le propriétaire. Référence nationale en matière d’échecs et de jeux de stratégie, la Maison des échecs reçoit aussi de nombreuses demandes : comment commencer, comment se lancer ? Il suffit de s’y mettre ! "Un bon livre pour débuter, apprendre les règles du jeu et déjà, on peut jouer contre un adversaire du même niveau et s’amuser."
Mais pourquoi a-t-il fallu une série américaine pour que la terre entière, les tout jeunes y compris, ces accros de la console et des écrans, aient envie de se mettre à un jeu qui existe depuis le Xe siècle en Europe où il a été introduit par les Arabes ? "C’est qu’elle est réaliste, qu’elle sort des clichés. L’équipe s’est entourée des meilleurs, dont Kasparov, et cela se ressent : c’est crédible pour les pros et les amateurs éclairés qui y voient une façon télégénique de montrer leur jeu tandis que les spectateurs qui ne connaissaient pas les échecs en ont découvert la magie. On comprend à travers The Queen’s Gambit qu’il se passe quelque chose lorsque l’on joue à ce jeu. Et c’est vrai", analyse le marchand et joueur invétéré qui apprécie la série.
Et puis surtout, elle a le mérite de "briser les clichés d’un jeu inaccessible, élitiste et incompréhensible". Et de montrer qu’une femme y a toute sa place. Laurent Wéry est vice-président de la fédération francophone belge d’échecs, vice-président de la fédération nationale et président du club d’échecs de Braine-l’Alleud en est ravi. "On s’est longtemps demandé pourquoi les filles, et ce, dans tous les pays du monde, qui commençaient à jouer arrêtaient presque toutes vers l’âge de 12 ou 13 ans, alors que les garçons non. De grandes joueuses ont mené l’enquête et ont pu comprendre qu’à cet âge-là, les copains, c’est très important. Or, les filles, étant moins nombreuses que les garçons, peuvent bien moins développer ce cercle amical", explique ce passionné qui ne joue pas lui-même mais qui passe son temps à promouvoir ce jeu, notamment auprès des jeunes.
Mais qu’est-ce que cela apporte de si nourrissant ? "Le premier bienfait que les parents me rapportent souvent, c’est que leur enfant a appris à perdre sans plus faire de crise. Et c’est vrai qu’on apprend vite aux échecs que la défaite apprend, presque de la même façon que la victoire, à progresser."
Cela aiguise le sens de l’observation. "On élabore des plans que l’on doit sans cesse remettre en question chaque fois que l’adversaire joue. Il faut aussi gérer son temps : dans les tournois de jeunes, on joue souvent en 15 minutes. Doit-on prendre 5 minutes pour un coup qui fera tout basculer où jouer rapidement sur un schéma connu ? Cela aiguise la confiance en soi !"
Le jeu d’échecs, c’est aussi une histoire de concentration. "Bien sûr, on n’est pas concentré sept heures d’affilée ! Lorsque l’adversaire prend 30 minutes pour un coup, l’esprit décroche mais on ne peut ni parler ni prendre son téléphone pour attendre ! C’est tout un travail de discipline qui est appris là."
D’incroyables parties
"Pour progresser, il faut beaucoup s’entraîner pour se confronter à de multiples situations que l’on maîtrisera peu à peu", souligne Laurent Wéry, vice-président de la Fédération francophone. Et c’est vrai que les chevronnés jouent et rejouent les parties des maîtres célèbres. "On ne peut pas tout retenir par cœur. D’abord, on estime qu’au bout du 4e coup, il y a 300 milliards de milliards de combinaisons possibles ! Le but de chacun, c’est de retomber dans des positions et des manœuvres que l’on (re) connaît. Les grands joueurs passent par là aussi."
C’est cette quasi-infinité de possibilités qui fait que les joueurs professionnels passent des années à étudier les ouvertures et continuent à les approfondir leur carrière durant.
De la graine de grand maître en Belgique ?
Il n’y a pas énormément de joueurs d’échecs en Belgique. Et c’est là aussi tout l’intérêt de la série pour Laurent Wéry : elle pourrait amener à ce jeu bien plus de monde, ce qui permettrait alors de découvrir encore plus de pépites. "Si cela pouvait suivre le chemin du hockey qui a été totalement boosté par les résultats de l’équipe nationale aussi bien m asculine que féminine, ce serait fantastique."
En Belgique, il y a 130 clubs actifs dont 42 pour la partie francophone du pays. Au sein de cette communauté, un jeune Belge francophone, Daniel Dardha, maître international à 15 ans, perce de façon très prometteuse selon le vice-président. Il a remporté en octobre sa 1re norme de Grand-Maître à Chartres. Sa carrière est à suivre !
On peut aussi s’intéresser aux Red Unicorns, l’équipe nationale belge féminine "qui joue honorablement et participe à des championnats européens et mondiaux". À retrouver en ligne sur lichess.org, l’équipe recherche des jeunes joueuses de moins de 18 ans.