Comment expliquer que la mortalité liée au Covid-19 reste élevée en Belgique ?
Si les indicateurs-clés de l'épidémie de coronavirus sont presque tous à la baisse, le taux de mortalité, lui, reste élevé en Belgique. Comment expliquer ces chiffres? Réponse avec quatre scientifiques.
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- Publié le 04-12-2020 à 08h56
- Mis à jour le 04-12-2020 à 15h44
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Nombre de contaminations, d’hospitalisations, de personnes aux soins intensifs… Jour après jour, on se réjouit de voir que les courbes fléchissent. Si elle diminue aussi, lentement, la mortalité Covid-19 reste cependant élevée en Belgique avec un taux de létalité (nombre de décès sur les cas confirmés) supérieur à 15 %."On parle bien ici de létalité hospitalière, c'est-à-dire le nombre de décès hospitaliers par rapport au nombre d'admissions, nous précise le Dr Yves Coppieters, et non de létalité "communautaire", notion que l'on utilise peu car on va plutôt calculer un taux de mortalité dans la population (nombre de décès totaux sur la population générale). La létalité est donc le reflet de la mortalité chez les "cas graves"".
Précision faite, comment peut-on expliquer ce chiffre ? Plusieurs facteurs sont à prendre en considération, comme nous l’ont expliqué quatre scientifiques : le Pr Pierre-François Laterre, chef du service des soins intensifs aux Cliniques universitaires Saint-Luc ; le Dr Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur à l’École de santé publique de l’ULB ; le Pr Catherine Legrand, biostatisticienne à l’UCLouvain ; et le Pr Niko Speybroeck, épidémiologiste à l’UCLouvain.
1 Un décalage tout à fait logique
"Il faut avouer que nos chiffres ne sont pas bons, commente le Pr Niko Speybroeck. Cela dit, le taux de mortalité est l’indicateur qui diminue en dernier lieu et qui suit d’autres indicateurs. Il est donc tout à fait normal que le nombre d’hospitalisations baisse d’abord et, seulement, ensuite, le taux de mortalité. Avec un pic d’hospitalisations relativement élevé, qui nous a fait évoluer vers un niveau proche de la saturation des hôpitaux, la Belgique ne faisait pas partie des bons élèves. On peut cependant constater aujourd’hui que l’on se situe en dessous du pic, même si la descente reste lente."

"Entre une admission à l’hôpital, et le décès (éventuel), le calendrier habituel est le suivant : admission à l’hôpital, aggravation en moyenne au jour 3-4 et transfert aux soins intensifs (SI) avec oxygénation par techniques dites non invasives, amélioration au bout de quelques jours ou aggravation, intubation et ventilation mécanique. À ce stade, le patient peut rester ventilé de 5-6 jours à plusieurs semaines (trois en moyenne pour les formes sévères)", explique le Pr Laterre, des Cliniques Saint-Luc.
"À titre d’exemple, poursuit-il, nous avons 18 patients sur les 26 adultes encore présents qui sont en respiration artificielle depuis plus de 5 semaines… Si l’évolution est défavorable, le décès va survenir de 2 à 10 semaines après l’admission en SI. Alors que la courbe de contaminations tombe fortement, celle des décès reste élevée beaucoup plus longtemps. Mais en l’absence de remontée des admissions à l’hôpital, elle ne fera que diminuer dans les deux semaines à venir."
2 La méthode de comptage
Si, lors de la première vague, on pouvait expliquer ce grand écart entre pays par des différences au niveau des méthodes de comptage, "la méthode de comptage de la mortalité a été nettement mieux standardisée lors de la seconde vague (avec tous des cas confirmés), indique le Dr Coppieters. Cela dit, il est clair qu’un certain nombre de décès sont notifiés Covid-19 comme cause principale (parce que positifs au test) alors que les personnes sont décédées de problèmes cardiovasculaires ou d’autres événements aigus. Il y a donc sans doute toujours une surestimation des décès directs liés au virus".
3 Le système d’enregistrement
Un autre élément dont il faut tenir compte est "le système d’enregistrement qui n’est probablement pas toujours très précis dans certains pays, pauvres en général, ce qui entraîne une sous-estimation du nombre des décès, fait remarquer le Pr Speybroeck. En Belgique, nous avons aussi une déclaration obligatoire des décès Covid-19, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres pays, tels que les Pays-Bas. Une équipe d’Oxford a estimé le rapport entre la surmortalité et la mortalité par Covid-19 au printemps. Cette analyse indique que nous n’étions pas le pire pays du monde lors de la première vague, même pas de l’Europe. Mieux vaut donc étudier la surmortalité, ou, au moins, la surmortalité en plus de la mortalité Covid-19."
4 Le profil de la population
Si l’on se compare à nos voisins, "l’âge moyen et les comorbidités ne sont pas très différents dans les pays voisins, estime le Pr Laterre. L’incidence de diabète, de l’hypertension artérielle, du surpoids… ne diffère pas grandement de nos voisins. Il en va de même pour l’âge moyen."
"Le nombre de décès reste toujours élevé actuellement (125 décès journaliers en moyenne) avec plus d’un tiers de ces décès en maison de repos (MR), relève le Dr Coppieters. Donc, on reste avec ce même problème de gestion des clusters en MR, comme lors de la première vague. Si la situation est sans doute mieux gérée grâce à la disposition du matériel, à la formation des personnels et aux mesures préventives prises, elle reste préoccupante. Sans une gestion plus efficace des malades Covid-19 en MR, et un accès prioritaire aux hôpitaux pour les personnes qui le désirent, un excès de mortalité dans ces collectivités risque d’être à nouveau ‘visible’ lors de cette seconde vague. Laquelle semble aussi avoir touché des populations plus vulnérables et précarisées, qui souvent cumulent des facteurs de risque et plus de comorbidités (obésité, diabète, asthme…) avec des risques accrus de complications."
"Enfin, la mortalité semble aussi plus élevée en Région wallonne qu’en Flandre. Des études ultérieures devront essayer de comprendre les facteurs explicatifs (profil de population plus à risque, adhésion aux mesures de prévention, etc.)."
5 La prise en charge médicale en cause ?
"La prise en charge est relativement uniforme en Europe de l’Ouest et suit des recommandations assez identiques, selon le Pr Laterre. Ce n’est pas dans la prise en charge qu’il faut trouver des explications. De plus, l’accès aux SI est plus aisé en Belgique que dans d’autres pays d’Europe car disposant de plus de lits de SI par habitant. Nous nous situons après l’Allemagne et l’Autriche en disponibilité de lits SI."
Bien qu’élevée, "la létalité est, lors de la seconde vague, plus faible due à une prise en charge plus précoce des malades et à une meilleure efficacité thérapeutique de formes cliniques compliquées grâce aux techniques d’oxygénothérapie, à la prévention des complications vasculaires et à l’utilisation de corticostéroïdes pour certaines complications pulmonaires, signale le Dr Coppieters. Entre 20 et 30 % des patients Covid-19 en SI décèdent, ce qui est nettement inférieur à la première vague."
6 L’impact de la stratégie de testing
"Le taux de mortalité est aussi impacté par la stratégie de testing, selon le Pr Catherine Legrand, biostatisticienne. L’effet sur le taux de mortalité peut aller dans différentes directions car la stratégie de testing peut impacter à la fois le numérateur et le dénominateur dans l’estimation de la mortalité. Par exemple, si on fait plus de tests ciblés sur les personnes à risques de décès pour d’autres causes (par exemple, en testant toutes les personnes hospitalisées, et ce, quelle que soit la raison de l’hospitalisation), on va augmenter le nombre de personnes décédant ‘avec’ le Covid et donc le numérateur. D’un autre côté, si on fait plus de tests sur des personnes moins à risque ou asymptomatiques, cela va gonfler le dénominateur (nombre de personnes positives), mais sans impacter le nombre de décès avec Covid et donc diminuer notre estimation de la mortalité."