Laurence Flachon, pasteure protestante:"Cette crise nous donne l’occasion de repenser notre place dans la Création"
La pandémie vue par les courants philosophiques. Cette semaine, La Libre rencontre une représentante de chacun des grands courants philosophiques du pays pour dresser le bilan de l'année. Aujourd'hui: Laurence Flachon, pasteure protestante.
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- Publié le 21-12-2020 à 08h20
- Mis à jour le 21-12-2020 à 19h16
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La pandémie du corona aura bousculé les habitudes. Elle aura en particulier ébranlé les liens sociaux, qu’il a fallu limiter en catastrophe pour tenter de contenir la propagation. L’obligation de se confiner a fortement perturbé les rassemblements religieux et les cérémonies laïques. Comment les différents courants philosophiques se sont-ils adaptés en Belgique ? Et, surtout, quelles leçons ces courants tirent-ils de ces dix mois qui ont fait basculer de nombreuses vies.
La Libre a rencontré cinq femmes appartenant, chacune, à une des plus importantes spiritualités du pays. Cinq femmes qui jettent un regard singulier sur ce monde qui n’est déjà plus tout à fait le même qu’il y a un an. Aujourd'hui: Laurence Flachon, pasteure protestante.
Laurence Flachon rêvait d’une carrière auprès des institutions européennes. Finalement, elle est devenue pasteure protestante. Née en France, cette diplômée de l’Institut d’études politiques de Lyon décide de suivre un cycle d’études “Religion et intégration européenne : groupes de pression et acteurs politiques” à l’ULB. Après avoir été assistante à l’Institut romand d’éthique de la Faculté de théologie de Genève, elle entame des études de théologie pour devenir pasteure. Elle travaille deux ans à Genève, notamment à la paroisse protestante de Bernex-Confignon, à l’aumônerie de l’hôpital cantonal universitaire et au Conseil œcuménique des Églises.
À l’âge de 32 ans, elle choisit de revenir en Belgique, dont elle garde un très agréable souvenir. Elle postule pour le poste vacant de pasteur à la paroisse du Musée jouxtant l’Albertine. Sa candidature est retenue et elle est nommée pasteure de Bruxelles-Musée, appelée la “Chapelle royale”. Le roi Léopold Ier, de religion protestante, y assistait régulièrement au culte. De père catholique et de mère protestante, Laurence Flachon accorde beaucoup d’importance à l’unité des chrétiens. Enfant, elle allait à la messe et au culte. C’est à l’adolescence qu’elle a fait le choix de devenir protestante.
Laurence Flachon rappelle que la diversité est une richesse, pas un fardeau. Elle aurait même avoué, un jour, que “marcher à la suite du Christ, c’est le but que nous poursuivons tous, même si nous empruntons des chemins différents”.
Laurence Flachon, comment l’Église protestante unie de Belgique a-t-elle traversé la pandémie ?
Dès le début du premier confinement, nous avons essayé d’être créatifs en proposant des alternatives aux paroissiens. Un dimanche, j’ai ouvert mon ordinateur pour voir ce qui se passait en France, en Suisse et en Belgique. Certains collègues étaient déjà en train de filmer dans les églises. J’ai recommandé à mes étudiants d’aller voir sur place dans les églises et les paroisses. C’était l’occasion pour eux de se familiariser avec les différents types de cultes, d’apprendre à connaître les différentes sensibilités. Avec les moyens dont nous disposions, nous avons appris à réaliser nous-mêmes des podcasts pour les diffuser auprès des paroissiens.
Avez-vous proposé une autre solution pour les personnes non connectées à Internet ?
Nous sommes allés porter dans les boîtes aux lettres des prédications imprimées aux personnes âgées qui n’ont pas accès à Internet. Une collègue a enfourché son vélo pour aller déposer les textes des cultes. Des bénévoles nous ont aussi donné un coup de main. Il était important de garder le lien, même à distance, avec tous les paroissiens.
Cette crise a été vécue comme une véritable souffrance pour beaucoup de vos paroissiens ?
Oui, il y a eu des malades, des décès… En tant que pasteure, j’ai fait des enterrements à dix personnes en plein air ou dans un crématorium. Certains n’ont même pas pu enterrer leur proche. J’ai senti comme une immense détresse. La fermeture des maisons de repos a aussi causé un vrai traumatise. Il faudra prendre le temps de l’accompagnement pastoral, car je pense que l’écoute des personnes qui ont perdu un être cher est vraiment prioritaire. Ensuite, la crise va générer d’autres souffrances : économique, sociale, psychologique… Le politique devra arbitrer, mais nous serons disponibles pour toute personne qui veut être écoutée.
Dans votre tradition, l’engagement social a-t-il toujours été primordial au fil du temps ?
Chez les protestants, comme chez d’autres, de multiples initiatives ont vu le jour au fil des siècles pour aider les plus pauvres dans notre société. Dès 1836 en Allemagne, le ministère des diaconesses a été créé pour venir en aide aux plus démunis. C’était un ministère réservé aux femmes dans la plupart des Églises protestantes à travers l’Europe. En France, ce sont des femmes protestantes qui ont créé le planning familial. Aujourd’hui, nous avons le diaconat qui s’occupe des appels à l’aide et ils sont nombreux aujourd’hui.
Comment les protestants ont-ils vécu le fait d’être privés d’offices religieux pendant la crise ?
Les lieux de culte ne sont pas sacrés chez les protestants. Nous pouvons "faire Église" n’importe où, à partir du moment où nous nous rassemblons au nom de Jésus-Christ. Pendant la pandémie, nous n’avons pas (ou peu) eu accès à nos églises, mais en fin de compte l’Église, c’est nous ! Nous avons continué à célébrer le culte avec nos propres moyens à travers les ondes, via Internet. Depuis le début de la pandémie, le président de l’Église protestante unie de Belgique (Epub), Steven Fuite, a insisté pour que chaque paroissien protestant respecte les consignes du gouvernement. Pas question de demander tel ou tel régime de faveur. L’important pour nous a toujours été d’être solidaires avec le reste de la population. Le modérateur de notre consistoire (conseil de paroisse), un médecin, a insisté sur le fait de ne pas transformer les églises chrétiennes en clusters. La santé publique prime sur le reste. Nous serons évidemment très heureux de reprendre les cultes au plus vite. Mais nous ne le ferons pas avant que le gouvernement ne donne son feu vert.
Les mesures imposées ont eu un impact sur vos activités en général ?
Non seulement le culte dominical était concerné, mais également nos activités de formation d’adultes, de jeunes, etc. Je dirais que les nouvelles technologies nous ont été d’une aide précieuse pour continuer à accompagner nos paroissiens puisque même les aînés étaient massivement connectés. Pour nos études bibliques, le nombre de personnes connectées était plus important que le nombre de personnes en présentiel. Certains ont même apprécié le fait de ne plus devoir se déplacer en voiture ou en transports en commun pour rejoindre leur paroisse.
Les règles propres à votre religion ont pu être respectées ?
Je pense moins en termes de règles qu’en termes de pratiques, pratiques qui nous permettent de vivre ensemble notre foi. Le culte en présentiel n’a pu avoir lieu, pas plus que les deux sacrements conservés par les protestants - le baptême et la Cène - qui prennent place pendant ce culte. Cela a été un manque réel, car des baptêmes étaient prévus et préparés, tout comme le partage du pain et du vin, la communion - ce moment où nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, est très important. La Cène n’a pas lieu chez nous tous les dimanches. Le rythme de la célébration varie selon les paroisses. Dans la mienne, elle a lieu une fois par mois. Invoquer la présence du Christ ensemble est un beau moment de partage communautaire. Il est difficile de ne pas pouvoir le vivre. Nous avons découvert sur Internet que les Anglicans avaient mis au point des petits sets de doses individuelles de pain et de vin. Nous en avons commandé mais, malheureusement, sans en avoir fait usage jusqu’à présent.
Comment les protestants vont-ils fêter Noël ?
Certains vont faire des cultes qui associent plusieurs pasteurs. Nous réalisons des cultes en podcast. Il nous arrive également d’inviter des collègues, des artistes ou des représentants d’autres confessions. Les documents sonores et les textes du culte sont envoyés à chacun et disponibles sur notre site internet.
Cette pandémie nous invite-t-elle à renouveler notre manière d’être au monde ?
Oui. Pendant le premier confinement, nous réfléchissions déjà à l’après-corona. Les pasteurs et les paroissiens pouvaient poster des réflexions sur notre blog. Certains questionnements portaient sur notre rapport à la société de consommation et ses excès, d’autres sur le changement possible dans nos manières d’habiter ce monde ou de nous déplacer. D’autres encore sur les moyens d’être solidaires pour lutter contre l’isolement. Les questions capitales me semblent être : sommes-nous assez fous pour aimer sans mesure ? Sommes-nous prêts à soutenir les arts et la culture ou à valoriser les métiers qui ont une réelle utilité sociale ?
Vivement un retour à la vie normale ?
Lorsque nous attendions la fin du premier confinement, il y avait peut-être une certaine candeur à croire que les manières de vivre pouvaient changer radicalement et rapidement. Mais je crois tout de même que cette crise dévoile quelque chose de notre rapport au monde et à l’autre et qu’elle nous donne l’occasion de repenser notre place dans la Création. J’aimerais, comme beaucoup, à nouveau pouvoir embrasser mes proches, bien sûr. Mais la pandémie nous interpelle sur notre capacité à revisiter non seulement notre rapport à la "maison commune", mais aussi notre appartenance à une humanité commune. Elle nous confronte à des choix : empathie solidaire ou indifférence, prise en compte des limites des ressources naturelles, prédation ou résilience ?
Faut-il redécouvrir les vertus de la vie associative ?
Oui, je pense qu’il faut être plus attentif aux plus fragiles. Les personnes âgées, les personnes de la rue qui sont dans la pauvreté. J’insiste sur la solitude et particulièrement sur celle du grand âge. Il est important de continuer à "faire société" avec les personnes âgées.
Cette pandémie est-elle une punition de Dieu ?
Je n’interprète pas cette pandémie comme un châtiment de Dieu. L’être humain est capable de créer les conditions de son enfer tout seul sur cette Terre (rires). Et je ne crois pas à l’enfer comme un "lieu" après la mort. Mais nous pouvons prier Dieu pour qu’Il nous donne des forces et du courage afin que chacun puisse agir là où il en est capable. Dieu agit à travers nos bras et nos mains d’humains pour que l’amour et la justice progressent en ce monde.