Nombre de doses, anticorps, obligation, effets secondaires... : la campagne de vaccination en dix questions
La première phase de la vaccination contre le Covid commence ce mardi. Elle concerne dans un premier temps les membres des maisons de repos et de soins. Le défi logistique est énorme.
- Publié le 05-01-2021 à 08h34
- Mis à jour le 05-01-2021 à 10h07
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C’est une campagne de vaccination inédite qui va démarrer officiellement et à grande échelle ce mardi 5 janvier, même si elle a déjà commencé la semaine dernière dans plusieurs maisons de repos du pays. Là même où l’on a pu observer un taux de vaccination de 85 %. Clairement, le taux d’adhésion à la vaccination progresse dans notre pays. En Wallonie, on estime que 83 % des résidents de maison de repos veulent se faire vacciner. Et selon un dernier rapport de Sciensano, plus de 60 % de la population totale annoncent vouloir se faire vacciner, soit un taux en nette progression par rapport au dernier sondage (49 %).
Alors que la campagne de vaccination va s’accélérer dans les prochains jours, il faudra cependant encore des mois avant que toute la population soit vaccinée. Pour que 70 % de la population soit vaccinée, soit le seuil nécessaire généralement évoqué pour atteindre l’immunité collective en Belgique, il s’agira de patienter : "Ce ne sera pas avant la fin de l’année, peut-être le mois d’octobre si tous les vaccins qui sont dans le pipeline reçoivent bien l’autorisation", a fait savoir lundi, sur la Première, Yvon Englert, délégué Covid-19 en Wallonie et membre de la task force "vaccination".
Reste à espérer que l’entreprise sera moins hasardeuse et laborieuse que l’ont été celles du testing et du contact tracing.
1. Qui va être vacciné ? Et quand ?
La première phase qui commence ce mardi concerne les résidents des maisons de repos et de soins, qui ont payé un lourd tribut à l’épidémie, et sont particulièrement vulnérables. Dans cette même phase, le personnel travaillant dans les établissements (y compris les bénévoles) aura accès au précieux vaccin. Cette première phase devrait durer jusqu’au début du mois de février. À partir de ce moment, ce sera au tour des membres du personnel soignant des hôpitaux et des établissements de soins. Viendra ensuite le tour des personnes de plus de 65 ans, des personnes à risque (diabétiques, cardiaques, obèses) de plus de 45 ans ainsi que des personnes qui occupent une fonction essentielle (la liste doit encore être fixée mais il devrait y avoir les policiers, les enseignants, les facteurs, etc.). Cette phase devrait se dérouler en mars et avril et concerner 3 à 4 millions de personnes.
Timing plus difficile à établir
La deuxième phase visera la population à risque de moins de 45 ans avant de concerner le reste de la population. Le timing est plus difficile à prévoir. Il va dépendre de la disponibilité des vaccins et de l’adhésion de la population. Les autorités espèrent pouvoir lancer cette phase en été. Les citoyens concernés devraient recevoir une convocation dans leur boîte aux lettres.
Qui précisément ? "Toute personne résidant légalement en Belgique et dont nous avons les coordonnées sera vaccinée", ont indiqué ce lundi les membres de la task-force vaccination.
2. Pourquoi certains pays vaccinent bien plus vite que nous ?
Ailleurs dans le monde, les campagnes de vaccination ont déjà commencé. Avec une cadence parfois bien plus rapide. En Israël par exemple, en deux semaines, près d’un million de citoyens ont reçu la première injection (sur une population de neuf millions d’habitants). Idem au Royaume-Uni. Depuis début décembre, un million d’Anglais ont déjà reçu la première injection. Ce lundi, le Royaume-Uni commençait même à injecter le vaccin d’AstraZeneca et Oxford, qui ne sera pas disponible en Europe avant le mois de février.
Une stratégie de la prudence
Chez nous, à la veille du début de la grande campagne de vaccination, seules 700 personnes avaient pu bénéficier d’un vaccin. Comment expliquer ce qui semble être un retard de la Belgique ? D’une part, on peut y voir les conséquences du temps pris pour la validation des vaccins à l’échelon européen, comme cela apparaît en comparant avec le Royaume-Uni. "Quand cela se joue dans un mouchoir de poche, à quelques semaines près, parler de retard n’a pas beaucoup de sens", justifiait même le "Monsieur Covid" wallon Yvon Englert, soulignant, derrière la rapidité britannique, une volonté politique dans un contexte de Brexit.
D’autre part, on peut y voir une stratégie belge de la prudence, ainsi que le choix de commencer par les maisons de repos, alors que d’autres pays commencent par le personnel hospitalier, ce qui rend la logistique plus rapide à mettre en œuvre.
3. Quid de l’option d’administrer une seule des deux doses de vaccin avant la seconde bien plus tard ?
En annonçant qu’il allait administrer une seule des deux doses de vaccin prévues dans le protocole à un maximum de personnes pour obtenir l’immunité de groupe le plus vite possible, le Royaume-Uni a soulevé une question qui est aujourd’hui débattue au niveau européen, comme l’a encore rappelé sur RTL, ce lundi, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A). "L’autorisation de mise sur le marché est donnée par l’Agence européenne du médicament. Cette décision est basée sur un protocole d’usage qui prévoit deux doses. Et donc, dévier de ce protocole d’usage requiert un débat et une décision européenne. En ce qui concerne le fond, nous manquons de données robustes à l’heure actuelle pour justifier l’utilisation des vaccins avec une seule dose. Même s’il est vrai que les vaccins semblent déjà montrer une efficacité après une seule dose, la majorité des sujets étudiés ont pris la seconde dose et donc les données d’efficacité robuste sont connues après deux doses espacées d’au moins 21 jours."
En d’autres mots, l’immunité conférée après l’administration d’une dose s’avère inférieure à celle obtenue après les deux doses. "Sans étude complémentaire à l’heure actuelle, c’est un pari risqué que de ne donner qu’une seule dose de vaccin aux personnes sachant qu’elles n’atteindront pas le même degré d’immunité qu’après deux doses, a pour sa part indiqué lundi, sur la Première, Sabine Stordeur, responsable de la coordination de la task force vaccination. On peut certes vacciner plus de personnes en ne donnant qu’une dose mais en conférant une immunité moindre. Le gain espéré sera donc probablement moins important que le but visé en accélérant le processus de vaccination. Dès que l’Union européenne aura statué sur l’intérêt ou pas de procéder à une seule dose de vaccination, la Belgique s’alignera sur la procédure recommandée."
L’exemple du Royaume-Uni
Quelques jours plus tôt, le virologue Pierre Van Damme (UAntwerpen) avait abondé dans le même sens. À ce stade, il a été décidé que toutes les personnes remplissant les conditions nécessaires pour se faire vacciner contre le nouveau coronavirus recevront deux doses à l’intervalle indiqué par le fabricant. Toutefois, si l’option - prise en Grande-Bretagne - de n’administrer qu’une seule des deux doses du vaccin s’avère efficace, il n’est pas exclu qu’une telle stratégie soit adoptée en Belgique. "La situation au Royaume-Uni, avec cette variante bien plus contagieuse, est différente de celle que nous connaissons actuellement chez nous, a précisé le Dr Van Damme. Mais nous gardons cette option de vaccination échelonnée en tête."
4. Faut-il s’inquiéter de la rapidité de la mise au point du vaccin ?
L’extrême rapidité avec laquelle les firmes ont pu mettre au point et produire les vaccins contre le Covid-19 fait douter certains de leur sécurité. À entendre les divers experts interrogés, on peut être rassuré à ce niveau. Il existe plusieurs éléments pour expliquer le temps record dans lequel l’élaboration de ces vaccins a été permise. Si les inquiétudes à ce sujet sont légitimes, dans la mesure où l’on a toujours parlé de plusieurs années voire décennies nécessaires à la mise au point d’un vaccin, "il ne faut pas oublier que, pour les vaccins à ARN messagers, la plateforme technologique a été développée il y a une dizaine d’années, a rappelé à ce titre, lundi sur La Première, Muriel Moser, chercheuse au laboratoire d’immunobiologie de l’ULB. Scientifiquement, nous étions donc prêts". Pour ce qui est du nombre de sujets enrôlés dans les essais cliniques, "la phase 3 a compris, non pas 3 000 volontaires, ce qui est la norme habituellement pour tester l’efficacité, mais bien plus de 30 000 pour le vaccin de Moderna et 43 000 sujets pour celui de Pfizer BioNTech. Rapidement, on a voulu prendre le moins de risques possible en augmentant le nombre de volontaires. Le risque qui a été pris était essentiellement financier dans la mesure où les États se sont engagés. La Commission européenne a très largement soutenu CureVac, par exemple, pour accélérer les étapes, permettre de les faire en parallèle et produire des vaccins avant même qu’ils n’obtiennent les autorisations des instances des médicaments de mise sur le marché".
5. Si l’on a eu le Covid, doit-on encore se faire vacciner ou a-t-on assez d’anticorps ?
Le fait d’avoir développé des anticorps après avoir été infecté par le Covid-19 confère-t-il pour autant une protection suffisante, au point d’affirmer qu’il n’est plus nécessaire de se faire vacciner ?
Si l’on manque encore de données précises, on peut néanmoins affirmer que la durée de la présence d’anticorps chez les personnes ayant contracté l’infection est variable d’un individu à l’autre, mais aussi en fonction de la sévérité des symptômes. "Jusqu’ici, les personnes qui ont été vraiment malades ont généralement produit plus d’anticorps que celles qui ont eu une infection sans symptômes, ou qui auraient fait une forme beaucoup plus légère, nous a répondu le Pr Pierre Coulie, professeur d’immunologie à l’UCLouvain, Institut de Duve. Mais il est trop tôt pour savoir si ceux qui ont été très gravement malades seront ensuite mieux protégés que les autres. Quoi qu’il en soit, si nous n’avons pas encore assez de recul pour définir avec précision la durée, à ce jour, on peut avancer qu’une protection pendant 3 à 6 mois semble presque certaine. Probablement plus, on verra."
En tout état de cause, le fait d’avoir développé la maladie n’est pas une contre-indication à la vaccination et n’offre pas une protection suffisante pour éviter de se faire vacciner.
Une protection d’au moins un an
Une autre question est de savoir si l’immunité que l’on va développer après un vaccin sera supérieure à celle développée après avoir été infecté par le virus. "Il y a beaucoup de raisons de le penser, selon le Pr Coulie, même si ce n’est pas encore démontré. Pourquoi ? Parce que, quand on vaccine, on fait tout pour que l’immunisation soit la plus forte possible. C’est l’objectif de la vaccination, et le rôle des adjuvants", produire plus d’anticorps mais aussi éventuellement plus de cellules tueuses, très importantes pour la protection. Si l’on sait qu’en principe, un vaccin fonctionne bien 10 à 14 jours après l’administration, on pense à ce stade qu’il devrait offrir une protection d’au moins un an.
6. Où se fera la vaccination ? Et par qui ?
Pour la première phase, la réponse est assez simple. La vaccination se fera soit dans les maisons de repos, soit dans les hôpitaux. Pour la suite en revanche, difficile d’y voir clair. La phase II, celle qui verra la nécessité d’élargir les lieux de vaccination, ne devrait pas commencer avant la fin du printemps. Mais le défi logistique s’annonce d’ores et déjà complexe.
"Les structures existantes, telles que les hôpitaux et les centres de vaccination, seront utilisées au maximum", peut-on lire sur la plateforme dédiée à la vaccination, puisqu’elles offrent une infrastructure adéquate. Mais cela pourrait ne pas être suffisant, quand il s’agira d’étendre la vaccination à l’ensemble de la population. Plusieurs scénarios sont actuellement sur la table, avec notamment des campagnes dans les entreprises, les écoles, ou encore les centres de dépistage actuels qui seraient transformés. Mais il ne s’agit là que d’hypothèses qui devront être discutées avec les acteurs de première ligne. Chaque région devra établir son plan précis d’action. À l’heure actuelle, aucune stratégie n’est définitivement arrêtée.
"Seules les personnes formées à la vaccination pourront inoculer le vaccin", explique l’expert en sécurité vaccinale Jean-Michel Dogné (UNamur), comme les médecins ou des infirmières. Il n’est pas question de confier la tâche aux pharmaciens, comme il en avait été un temps question.
7. Que se passe-t-il si l’on refuse le vaccin ? Peut-on revenir sur sa décision ?
On l’a dit, le vaccin n’est en aucun cas obligatoire. Chaque citoyen sera libre de refuser la vaccination. Le grand enjeu pour les autorités sera donc de parvenir à convaincre un maximum de la population pour parvenir au fameux niveau des 70 % de la population vaccinée. De nombreux Belges ont déjà indiqué leur intention d’attendre avant d’accepter la piqûre, arguant par exemple que le délai exceptionnellement court pour le développement du vaccin éveillait les doutes, ou préférant voir les éventuels effets secondaires avant de se laisser convaincre. Que se passera-t-il pour les Belges qui auraient refusé dans un premier temps, avant de finalement passer le cap ?
"Il est clair que si la personne passe son tour, elle ne devra pas attendre un an avant de pouvoir se faire vacciner, pose Jean-Michel Dogné, membre de la Task-Force vaccination et directeur du département de pharmacie à l’Université de Namur. Les personnes qui refusent dans un premier temps et qui changent d’avis pourront bien entendu être reprises dans la suite de la campagne."
La question de l’approvisionnement et du stockage se pose encore une fois. Le vaccin Pfizer/BioNTech est fourni par cinq doses. "Il faudra donc s’organiser pour regrouper les demandes au sein, par exemple, d’une même maison de repos." Mais la situation pourrait évoluer avec l’arrivée des autres vaccins, et la mise en place des autres dispositifs de vaccination. Il sera évidemment possible de revenir sur son choix, même si, "à l’heure actuelle, les modalités précises ne sont pas encore définies", explique l’expert.
8. Une personne vaccinée peut-elle encore transmettre le coronavirus ?
L’une des motivations évoquées quant à la perspective de se faire vacciner est, outre le fait d’être protégé contre la maladie, le désir de pouvoir reprendre une vie normale. Alors, question : une fois vacciné, peut-on encore être porteur du virus et le transmettre ? Peut-on pour autant négliger tous les gestes barrière ? Peut-on retrouver une vie "normale" ?
Pas de retour immédiat à la vie normale
Clairement, on peut affirmer que le retour à une vie normale ne sera pas instantané. Les experts s’accordent à dire que, par mesure de précaution, et dans un premier temps, il faudra maintenir les mesures de distanciation sociale, port du masque, lavage des mains et autres, en vigueur depuis plusieurs mois.
Quant à savoir si, une fois vacciné, on ne devrait plus être porteur et transmettre le virus, "en théorie, si l’on se base sur les connaissances en immunologie, oui, on ne devrait en effet plus transmettre le virus, dit Muriel Moser, spécialiste en immunobiologie à l’ULB. Mais encore faut-il le prouver. Cela dit, c’est quand même fort probable si l’on observe la concentration d’anticorps et la réponse immunitaire des personnes vaccinées ; c’est remarquable".
9. Faut-il craindre d’éventuels effets secondaires ?
S’il est évidemment trop tôt pour évoquer d’éventuels effets indésirables sur le long terme, les essais n’indiquent aucun signe alarmant. Pour ce qui est des effets secondaires immédiats, ils sont, dans la toute grande majorité des cas, similaires à ceux provoqués par d’autres vaccins. Localement, certains participants ont éprouvé des douleurs et des rougeurs au site d’injection. Au niveau systémique, on a recensé de la fatigue, des raideurs musculaires, des maux de tête, des douleurs musculaires et plus rarement (10 % des cas) de la fièvre (plus de 38,9 °C). S’ils peuvent certes s’avérer désagréables, ces effets secondaires ne nécessitent pas de prise en charge médicale et disparaissent en quelques jours. Si les effets secondaires demeurent limités, la prudence reste toutefois de mise chez les femmes enceintes et les personnes ayant des réactions allergiques sévères aux vaccins ou à certains médicaments.
10. Pourra-t-on choisir le vaccin que l’on se fera inoculer ?
Aujourd’hui, la question ne se pose pas vraiment. Seul le vaccin développé par Pfizer/BioNTech sera administré lors de cette première phase de la campagne. Mais, déjà, plusieurs autres firmes ont reçu les commandes de la Belgique et devraient être disponibles quand il s’agira de vacciner une plus grande partie de la population. Avec, d’emblée, la question du choix. En effet, chaque vaccin présente ses particularités, soulevant de nombreuses questions. La fuite sur les prix des différentes doses révélée par la secrétaire d’État au Budget, Eva De Bleeker (Open VLD), a également attiré l’attention sur les grandes différences de prix entre les vaccins.
Le citoyen aura-t-il dès lors le choix ? "C’est très difficile à dire pour le moment mais il est possible que, plus tard, certains vaccins soient proposés à certains publics, selon les caractéristiques du produit qui serait plus adapté", explique Jean-Michel Dogné, en prenant l’exemple des personnes âgées et des femmes enceintes. Pas question actuellement d’envisager un choix "au hasard", seulement la seule décision du patient. "Mais cela va aussi fortement dépendre de l’approvisionnement et des doses disponibles."