Le manque de transparence de Sciensano pointé du doigt : "Cela donne l'impression que la communauté scientifique est prise en otage"
Des scientifiques voudraient avoir accès aux données récoltées par Sciensano.
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- Publié le 07-01-2021 à 16h20
- Mis à jour le 07-01-2021 à 16h42
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Depuis le début de l'épidémie du coronavirus en Belgique, de nombreux experts se plaignent de ne pas avoir accès à toutes les données de Sciensano. L'Institut de santé publique collecte en effet d'innombrables données qu'il ne partage qu'avec une petite partie de la communauté scientifique, empêchant certains autres de faire leur travail comme ils le souhaiteraient. Epuisé par la situation, Pierre Schaus, qui avait ouvert le site "Covid Data" avec son collègue Guillaume Dorval afin d'analyser la situation et de suivre les tendances, a décidé de le fermer. Le professeur à l'école polytechnique de Louvain est fatigué du manque de transparence de Sciensano. "Malgré nos nombreuses alertes sur ce point, le fossé est grandissant entre les données collectées par Sciensano et les données réellement mises à disposition des citoyens et de la communauté scientifique. Si nous constatons un changement et que des données importantes sont mises à disposition, nous reviendrons, promis !"
Interviewé par LaLibre.be, Pierre Schaus explique n'être que la partie émergée de l'iceberg. En mars déjà, Marius Gilbert interpellait Sciensano à ce sujet, expliquant que le manque d'accès aux données était un "problème majeur". Depuis, les choses ont très peu bougé.
"C'est très fatiguant pour nous", souligne l'expert en analyse de données qui échange "tous les jours" avec d'autres scientifiques qui se plaignent également de ne pas pouvoir travailler correctement. "Sans avoir accès à toutes les données, on ne sait pas apporter de perspectives, alors qu'il y aurait plein de choses à dire", regrette-t-il. "Nous n'avons pas accès à l'âge des personnes testées alors que c'est hyper important pour comprendre les tendances dans les écoles. On ne connait pas non plus le lieu des décès des résidents de maisons de repos, alors qu'on sait que ces lieux sont particulièrement sensibles."
Selon lui, le manque de transparence de Sciensano est également contreproductif en ce qui concerne l'adhésion des citoyens aux mesures. "Certaines sont utiles, mais d'autres le sont moins. Avec les chiffres adéquats, on pourrait le démontrer. Par exemple, on s'est rendu compte que l'heure du couvre-feu n'avait pas d'impact étant donné qu'il n'y a pas de différences de tendances entre la Flandre (qui impose un couvre-feu dès minuit) et la Wallonie (dont le couvre-feu démarre à 22h). Dans le cas des métiers de contact, des chiffres pourraient également permettre d'objectiver ou non l'obligation de fermeture, pareil pour les voyages."
Pourquoi Sciensano ne partage-t-il pas tous les chiffres?
Pierre Schaus explique que son premier refus a été justifié par le fait qu'il n'était "qu'un site internet" alors qu'il est chercheur en sciences des données depuis 20 ans. Après cela, les refus se sont enchaînés. "La seule avancée que j'ai pu obtenir, c'est pour la localisation des tests. J'ai alors compris qu'on testait moins en Wallonie, et surtout dans le Hainaut." Pour sa dernière demande, qui date de fin décembre, l'Institut ne lui a carrément pas répondu. D'autres scientifiques qui souhaitaient mener des recherches sur base des données de Sciensano ont également fait chou blanc.
Pourtant, comme il l'explique, certains membres médiatisés de Sciensano trouveraient normal que ces données soient partagées. "Certains m'ont confié qu'ils ne comprenaient pas pourquoi ce n'était pas le cas."
"Je pense que le rôle des analystes de données n'est pas assez bien compris. Pourtant, toutes les grandes avancées en termes de compréhension de l'impact des mesures ont été faites par des profils tels que les nôtres. Mais nous ne sommes pas représentés dans l'équipe de virologues de Siensano", déplore-t-il. "Au final, cela donne juste l'impression que quelques personnes chez Sciensano prennent en otage toute la communauté scientifique qui pourrait faire avancer les connaissances mais n'a pas le droit de le faire."
Sciensano "confronté à certaines contraintes"
Interrogé par nos soins, Sciensano tient à revenir d'abord sur "quelques principes de base" qui guident son travail.
La porte-parole indique, par écrit, que l'institut rassemble les informations "dont il a besoin pour remplir sa mission, qui est notamment de décrire l’état de santé de la population et les conséquences des maladies, a fortiori des épidémies, sur celui-ci afin de permettre une prise de décisions, en termes de prévention et de contrôle, par les autorités de santé".
Sciensano souligne aussi qu'il développe de nombreuses collaborations avec des scientifiques "de tous horizons et est en faveur de la réutilisation des données".
L'institut signale néanmoins être "confronté à certaines contraintes". "Les données rassemblées sont des données relatives à la santé et à ce titre, sont considérées comme hautement sensibles et soumises aux lois sur le respect de la vie privée. "De plus, les données rassemblées par les épidémiologistes de Sciensano grâce à la participation de professionnels de la santé sont utilisées selon le protocole d’études définis avec les partenaires. Sciensano n’est donc pas le propriétaire de toutes les données dont le résultat des analyses figure dans les rapports et est donc tenu de respecter les conditions d’accès définies par le prioritaires des données."
Sciensano tient également à faire une distinction entre ses propres épidémiologistes et le service Healthdata. "Le service Healthdata est un prestataire de services mis en place dans le cadre du projet eHealth. Il est chargé de fournir le cadre, répondant à tous les pré-requis de sécurité – sécurité informatique, respect vie privée…- , pour rassembler, stocker et conserver des données. Par exemple, Healthdata preste des services pour des clients externes comme les entités fédérées. Healthdata-Sciensano est donc mentionné par les entités fédérées comme ayant les données mais les propriétaires des données sont les communautés. Les épidémiologistes de Sciensano ont l’usage des données selon les modalités définies avec le propriétaire des données."
L'institut précise en outre que la mise à disposition des données se fait selon l’une des modalités suivantes :
"1. Les données dont Sciensano est le propriétaire sont mises à disposition en open access et sont mises à jour quotidiennement.
2. Une collaboration est établie avec un groupe de scientifiques qui joue un rôle opérationnel dans la gestion de l’épidémie. Ces scientifiques ont accès à l’ensemble des données nécessaires sur un serveur sécurisé et selon des modalités définies dans un contrat.
3. Les données sont disponibles pour les professionnels de la santé qui participent aux réseaux de collecte de données et souhaitent effectuer des recherches.
4. Les données sont mises à disposition des chercheurs qui ont invité Sciensano à être partenaire de projets de recherche.
5. Des données complémentaires peuvent être obtenues pour des projets de recherche via une procédure qui est disponible en ligne."