Retarder la seconde dose de vaccin ou les combiner : de fausses bonnes idées ?
Muriel Moser, chercheuse et professeure d’immunologie à l’ULB tente d'apporter des réponses à ces questions.
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- Publié le 07-01-2021 à 11h16
- Mis à jour le 08-01-2021 à 12h48
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Pour maximiser le nombre de personnes susceptibles de bénéficier des vaccins disponibles contre le Covid, face aux stocks limités de produits et à l’apparition de nouveaux variants du virus a priori plus contagieux, certains pays ont choisi ou envisagent de s’écarter du protocole d’administration établi par les fabricants sur base des essais cliniques. En l’occurrence, pour ce qui concerne Pfizer, deux doses de vaccin espacées de 21 jours et, pour Moderna, de 28 jours. Suivant ces prescriptions, ces deux vaccins à ARN messager sont efficaces à environ 95 %, sept jours après la vaccination complète.
Alors que le Royaume-Uni, qui a déjà autorisé le vaccin Pfizer-BioNTech début décembre, donc avant le feu vert donné par l’Agence européenne du médicament, laisse s’écouler jusqu’à douze semaines entre les deux injections, le Danemark a annoncé lundi son intention d’espacer les deux doses de jusqu’à six semaines. Dans d’autres pays, dont l’Allemagne, les autorités sanitaires ont été sommées d’évaluer les options consistant à rallonger les délais recommandés par les firmes pharmaceutiques.
La position de l’OMS
Dans ce contexte très disparate, le Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) sur la vaccination de l’OMS faisait savoir, mardi, que s’il "recommande l’administration de deux doses de ce vaccin dans un délai de 21 à 28 jours", il était possible de retarder l’administration de la seconde injection de quelques semaines - six au maximum - "dans des circonstances exceptionnelles de contextes épidémiologiques et de contraintes d’approvisionnement".
Ce à quoi le laboratoire BioNTech a réagi, prévenant que l’efficacité maximale de son vaccin développé avec le laboratoire américain Pfizer n’était pas démontrée si la seconde injection était retardée. "L’efficacité et la sécurité du vaccin n’ont pas été évaluées pour d’autres calendriers de dosage" que les deux injections espacées de 21 jours appliquées lors de l’essai clinique.
Et voilà à présent que surgit une autre option encore : combiner des doses de différents vaccins.
Une réponse immunitaire 10 fois plus élevée à la seconde dose
De fausses bonnes idées ? Tentatives de réponses avec Muriel Moser, chercheuse et professeure d’immunologie à l’ULB. "Les modalités que l’on décide pour la vaccination même dépendent des résultats obtenus en phase 3, rappelle la scientifique. C’est-à-dire des bases scientifiques. Ainsi, Pfizer a vraisemblablement mené ses essais sur deux doses, dont la seconde au 21e jour et Moderna, au 28e. L’administration de deux doses à ces intervalles a démontré une efficacité de 95 % environ."
Qu’en est-il de l’efficacité du vaccin après une seule dose ? "On a pu observer qu’à la seconde dose la réponse immunitaire était dix fois plus élevée, nous dit Muriel Moser. C’est un phénomène bien connu en immunologie. Quand le système immunitaire détecte un intrus, ici le Covid-19, il réagit endéans les dix jours pour la première réponse, en produisant un certain nombre d’anticorps ou de cellules antivirales capables de tuer les cellules infectées par le virus. À la seconde injection du même antigène, la réponse est beaucoup plus rapide et la concentration d’anticorps dans le sérum et de cellules tueuses est beaucoup plus forte et, de surcroît, de meilleure qualité. Cette réponse, dite de mémoire, est clairement bien meilleure et plus efficace." D’où la nécessité et l’importance de la seconde dose pour une protection optimale.
Il y a un risque à ne pas administrer la seconde dose
Outre le fait de ne pas être suffisamment protégé, pourrait-il y avoir un risque à ne se voir administrer qu’une seule dose ? "De manière générale, on sait que, dans certains cas, lorsque la réponse immunitaire n’est pas complète ou trop faible, il peut y avoir une ‘facilitation’. Ceci signifie qu’il peut y avoir des anticorps qui facilitent l’entrée du virus dans les cellules et donc y avoir un effet exactement inverse. Donc, oui, il pourrait y avoir un effet délétère après l’administration d’une dose unique, même si cela n’a pas été testé."
En retardant de jusqu’à trois mois l’administration de la seconde dose, le Royaume-Uni prend-il des risques ? "À mon avis, oui. Je ne le ferais pas. En retardant, on prend un risque, mais il faut comparer ce risque avec celui couru par des personnes qui ne seraient pas du tout vaccinées. Les personnes qui n’auront reçu qu’une dose seront vraisemblablement mieux protégées que celles qui n’en auront pas reçu du tout, mais on prend un risque sur le niveau de protection."
Quoi qu’il en soit, pour la chercheuse, on ne peut en aucun cas postuler que le vaccin est efficace après une seule dose. Il faut sans aucun doute suivre le protocole tel qu’établi à la base.
En revanche, d’après le Dr Moncef Slaoui, directeur scientifique de l’opération Warp Speed ("vitesse de l’éclair") aux États-Unis, le vaccin de Moderna pourrait être administré à une dose plus faible - soit réduite de moitié en quantité - tout en conservant une certaine efficacité pas encore bien définie. "Au lieu d’administrer 100 microgrammes, on pourrait n’en donner de 50 pour une réponse immunitaire très semblable, soit un même taux d’anticorps dans le sérum, d’après les résultats de certains essais menés auprès des 18-55 ans, confirme la spécialiste en immunologie. Mais il reste maintenant à voir ce qu’il en est pour la protection. Si elle s’avère équivalente, cela permettrait de vacciner deux fois plus de personnes."
Combiner des doses de vaccins différents n’a pas été testé
Et que penser de l’idée de combiner deux doses de vaccins différents ? "En théorie, cela devrait conférer la même protection puisqu’il s’agit de deux vaccins à ARN messager, codant pour la même molécule. Mais encore faudrait-il savoir si cet ARN a été modifié (pour éviter une réponse inflammatoire trop forte) de la même façon. Cela dit, je ne vois pas l’intérêt de combiner deux vaccins. En outre, il n’y a pas eu de phase 3 pour tester cette option avec le vaccin numéro 1 et avec le vaccin numéro 2. Une fois encore, l’idéal est évidemment de conserver les mêmes conditions d’essais que celles utilisées dans la phase 3 pour ces vaccins."
En donnant l’impression que l’on joue un peu à l’apprenti sorcier, ne risque-t-on pas d’anéantir les campagnes de vaccination ? "Même si, dans les médias, on peut avoir le sentiment que tout ceci fait un peu désordre, c’est comme cela que la science progresse en fonction des outils dont elle dispose et des circonstances exceptionnelles…"