Des certificats médicaux pour aller à l’école sans passer les examens, pour le bien-être mental des jeunes: "Parce qu’ils ont besoin de socialisation"
"Il y a une situation d’urgence face à des ados en détresse", plaide la pédopsychiatre Sophie Maes.
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Publié le 26-05-2021 à 19h47 - Mis à jour le 27-05-2021 à 11h49
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L’année Covid a été rude pour les adolescents et les jeunes, en particulier pour les 13-25 ans. Les mesures liées à la crise sanitaire les ont empêchés de se retrouver entre copains, les ont privés d’école à plein temps et obligés à un enseignement hybride. Entre autres.
Les examens qui se profilent ajoutent une dose de stress dans les établissements scolaires à la fin d’une année scolaire pourrie par le Covid. Des familles déjà durement sollicitées pour coorganiser l’enseignement de leurs enfants sont aujourd’hui inquiètes d’un éventuel échec aux évaluations de fin d’année ou aux épreuves certificatives. Si la ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS), a fait appel à la bienveillance pour que les élèves ne pâtissent pas de ce contexte inédit, les écoles avancent en ordre dispersé.
"Les enfants sont oubliés"
"Certaines ont compris l’enjeu et adapté la fin de l’année, en annulant les examens, à l’exception des évaluations certificatives externes, et en offrant des activités et des espaces où les ados peuvent se retrouver. Mais dans beaucoup d’autres on met une énorme pression sur les ados, en maintenant les évaluations sans aménagement. On ne voit que les élèves : les enfants sont oubliés", constate Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant. "C’est extrêmement inquiétant."
De nombreux témoignages dénonçant le climat difficile et stressant auquel sont livrés les jeunes remontent vers le délégué général, la Fédération des parents de l’enseignement officiel (Fapeo) et le Comité des élèves francophones (Cef), qui alertent à nouveau, ensemble, les responsables politiques et administratifs, ainsi que les directions d’écoles.
Aucune réponse dans un délai raisonnable
Le Dr Sophie Maes, pédopsychiatre, responsable de l’unité pour adolescents au centre hospitalier psychiatrique Le Domaine, à Braine-l’Alleud, avait déjà tiré le signal d’alarme en janvier. En vain. Le réseau de soins de santé mentale est aujourd’hui complètement saturé, dit-elle. Elle s’exprime après une concertation avec ses collègues francophones. En Flandre, on a déjà répertorié 24 000 jeunes en attente de soins de santé mentale. On peut facilement doubler ce chiffre pour avoir une idée du nombre d’adolescents en grande détresse, indique-t-elle. Sans aucune réponse à leur donner dans des délais raisonnables : l’attente est de trois mois à un an pour les hospitalisations et, en ambulatoire, on ne prend plus de nouvelles demandes. "La situation est dramatique. Des parents se présentent en pleurs dans les services hospitaliers parce que leurs enfants se sont déjà mis en danger à plusieurs reprises", décrit-elle. Une deuxième vague de décompensations psychiques est en cours chez les 13 à 25 ans, impossible à absorber par le réseau de pédopsychiatrie. "Nous constatons la faillite totale du système de santé mentale. Nous sommes aujourd’hui obligés de trier les jeunes de 14-15 ans que l’on va soigner. C’est inacceptable !"
Un système de santé mentale "en faillite"
Dans ce contexte, il faut tout mettre en œuvre pour prévenir ces décompensations, poursuit Sophie Maes. Comment ? "Ces jeunes ont besoin de penser en groupe pour élaborer ce qui se passe et sortir du trauma. C’est la seule mesure de prévention véritablement efficace", indique la pédopsychiatre. Vu les mesures sanitaires toujours en place, il n’y a que les groupes classes qui permettent de soutenir une résilience, dit la pédopsychiatre. "Ce n’est pas la responsabilité des ministres de l’Enseignement de compenser les systèmes de santé mentale en faillite, convient-elle. L’école n’est pas faite pour faire de la prévention en santé mentale, mais on se trouve en situation d’urgence : on n’a pas le choix."
Elle insiste avec force : "Qu’on arrête de mettre la pression sur des jeunes traumatisés et des profs épuisés !" La reprise des enseignements, "à marche forcée", pour coller au progra mme, n’a pas de sens, plaide le Dr Maes. "Le temps ne se rattrape pas et ces jeunes ne sont de toute façon plus capables d’apprentissages. Ils n’ont pas la disponibilité psychique nécessaire."
En cette fin d’année, bien plus que d’examens, ces jeunes ont besoin d’espaces de parole - de dire et d’être écoutés. "On ne peut pas encore les renvoyer seuls à domicile pour étudier ! On leur a demandé énormément pendant cette crise sanitaire. Trop, probablement. Il faut maintenant leur répondre, avec une prise en charge engagée et collective, au niveau des classes avec les services PMS."
Vu la saturation du système de prise en charge pédopsychiatrique, Sophie Maes invite ses confrères ainsi que les médecins généralistes confrontés à des adolescents qui vont mal à rédiger des certificats médicaux permettant à ces jeunes d’aller à l’école tout en les dispensant de présenter les examens. "Parce qu’ils ont besoin de socialisation." Sans pression.